S'il a envie de mourir? Il rit un instant, puis se tait, tire encore une bouffée de sa Lucky Strike. «Peut-être», répond Kai Strub*, aujourd'hui âgé de 19 ans. Ce n'est que lorsqu'il était assis dans le camion rempli de matériel humanitaire en direction de l'Ukraine qu'il a vraiment compris où il se rendait.
Un mois après l'invasion de la Russie, le jeune helvète s'est rendu à Lviv. L'œuvre d'entraide chrétienne pour laquelle il travaillait a loué quelques appartements dans la ville de l'ouest de l'Ukraine pour ses bénévoles. Il travaille dans l'entrepôt de l'association, triant des conserves, des couvertures, des bougies, des médicaments. «Je n'avais aucune expérience militaire ou médicale». Il n'a donc pas été affecté à des missions sur le front.
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Pourtant, il n'est pas resté plus de trois semaines dans l'entrepôt. Alors qu'un cameraman filmait son lieu de travail, Kai Strub l'a abordé. Celui-ci tournait un film afin de générer des dons. Le tournage suivant se déroulait dans un orphelinat qui devait être évacué. Comme le cinéaste n'était pas tout jeune, Kai Strub lui a proposé son aide. Et c'est ainsi qu'il a participé à sa première mission d'évacuation. Beaucoup d'autres suivront, y compris sur le front.
En racontant ces choses, Kai Strub n'a pas l'air de quelqu'un qui a pris un mauvais virage sur le chemin de la découverte de soi. Pour ce jeune homme de 19 ans, ce qu'il est et ce qu'il fait sont une seule et même chose. Et il a des idées précises sur ce qu'il est: «Je n'ai pas ma place dans cette société». Sa peur de devenir un mort-vivant est plus forte que la peur de la mort. Le cauchemar de Kai Strub en quatre étapes:
Bref, Kai Strub ne veut pas passer à côté de sa vie.
Ce désir repousse tout, même la peur de la mort. Car la vraie mort se cache dans l'insignifiance. Seul le sens garantit la vie. Le jeune Suisse se sent vivant lorsqu'il peut aider les gens, changer des vies. Et lorsque le sens rencontre aussi le frisson, chaque expérience devient existentielle:
Kai Strub a fait la connaissance d'innombrables toxicomanes en Ukraine. Son supérieur de l'époque, auparavant membre de l'AfD (parti d'extrême droite allemand), a vendu ses biens et s'est consacré entièrement à l'aide humanitaire dans la zone de guerre. «Mauvaise conscience, je suppose», dit le jeune Bâlois.
Le jeune homme a aussi côtoyé un homme d'affaires américain qui a quitté l'association du jour au lendemain en essayant de s'emparer d'une caisse remplie de médicaments contre la douleur très convoités. Pour les vendre sur le marché noir, suppose Kai Strub. Entre-temps, il est mort. «Il méritait une punition, mais pas ça».
Il évoque encore ces mercenaires étrangers qui se vantaient des actes de violence qu'ils avaient commis en Afghanistan. Ou encore ce soldat ukrainien qui lui a présenté son fusil d'assaut en lui disant combien de Russes il avait déjà abattus avec.
Une guerre semble attirer des gens du monde entier. Ce qui unit ces personnes, ce sont leurs parcours de vie instables, souvent aussi leurs doutes. Et au milieu de tout cela, un jeune Suisse de 18 ans avec un sac à dos rempli de seringues, de bandages et d'une boîte de raviolis.
Les responsables des missions avaient une expérience militaire: leur foi les avait poussés à s'engager dans cette organisation d'entraide chrétienne. C'est auprès d'eux que notre Helvète a appris à panser les plaies, à dégager les blessés, à poser des perfusions.
Sur le chemin du front, des provisions et des médicaments se trouvaient à l'arrière du véhicule de transport, sur le chemin du retour, il y avait souvent des civils.
Les missions se déroulaient généralement de manière similaire. Sauf cette fois-là. «Nous avons entendu parler d'un vieux couple qui n'avait pas été évacué», raconte le Bâlois. Bien que des formations russes aient rapidement pénétré dans le village, le chef d'intervention, Kai Strub et une interprète ont tenté le coup.
Au début, tout s'est déroulé comme prévu. Mais sur le chemin du retour, le système de navigation est tombé en panne:
Le groupe s'est perdu, a erré sur des routes de campagne. Alors qu'ils s'arrêtaient à un panneau routier, un soldat ukrainien a surgi. Il a informé le groupe qu'ils étaient pris entre deux feux et les a envoyés dans une autre direction. A la tombée de la nuit, ils ont vu les tirs de l'artillerie russe, raconte Kai Strub. D'autres images se sont également gravées dans sa mémoire:
L'expérience est immortalisée sur le haut du bras gauche du jeune Bâlois. Un tatouage de l'as de pique, le grand pic n'étant pour l'instant qu'une silhouette. «Il y aura encore une tête de mort». Pendant les heures où ils ont circulé entre les fronts sans moyens de communication, ils avaient été déclarés morts. «Ensuite, on nous a appelés "Death Squad"».
S'il n'a jamais frôlé la mort, Kai Strub le doit à bien des égards à la pure chance:
C'est aussi à cause de cette interdiction que Kai Strub souhaite rester anonyme. Les quatre mois passés en Ukraine l'ont convaincu de la nécessité d'une armée. En raison de son engagement, il craint d'être déclaré inapte. Il souhaite faire son service chez les ambulanciers.
«Peut-être qu'à l'époque, j'avais une sorte de désir de mort», dit Kai Strub. Mais c'est du passé. Il cherche maintenant une place d'apprentissage d'infirmier et veut devenir ambulancier. Trop d'étrangers ont déjà risqué leur vie pour lui, trop d'amis sont morts.
Traduit et adapté de l'allemand par Noëline Flippe