L'invasion russe de l’Ukraine a surpris le monde entier, malgré les menaces et le déploiement des troupes en amont. Cette guerre marque un changement d'époque et la fin de l'ordre de paix et de sécurité en vigueur depuis l'effondrement de l'Union soviétique.
Des milliers de civils et de soldats sont déjà morts. Des millions de personnes sont en fuite. Les conséquences économiques et politiques à long terme sont encore imprévisibles, d’autant plus que la fin de la guerre n’est pas en vue. Mais une chose est sûre: Ces événements vont laisser d’énormes séquelles.
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A présent, reste à savoir comment les choses vont évoluer, surtout sur le plan militaire. Pour l'instant, les deux parties se trouvent dans une impasse et tout est encore possible: l'armée russe peut apprendre de ses erreurs et parvenir à faire valoir sa supériorité numérique. Mais une débâcle d’un des deux camps est aussi possible.
L'armée russe a déclaré, vendredi, qu'elle allait désormais se concentrer sur l'est de l'Ukraine. Elle affirme avoir atteint les objectifs initiaux de l'opération militaire qu'elle mène dans ce pays depuis le 24 février. L'adjoint au chef de l'état-major russe, Sergueï Roudskoï, dans l'est de l'Ukraine, a déclaré que l'effort allait se concentrer «sur l'objectif principal: la libération du Donbass». Dans sa propagande, la Russie estime avoir assez entamé les troupes ukrainiennes.
Un mois après le début de la guerre, on peut faire le constat suivant: le redoutable rouleau compresseur russe s'est enlisé. Si le premier jour, les troupes de Poutine avançaient rapidement en direction de Kiev et de Kharkiv, l'attaque s'est ensuite rapidement calmée. L'armée russe n'a pu enregistrer que de modestes gains de terrain, principalement dans le sud-est et l'est, où elle est parvenue à établir une liaison terrestre entre la Crimée et le Donbass. Depuis plusieurs semaines, l'évolution du front ne change que très peu: ce n’est plus une avancée rapide et décisive comme Poutine avait prévu au départ.
Même dans la guerre de position qui s'est développée sur presque tous les fronts depuis l'arrêt de l'avancée russe, l'armée de Poutine ne fait pas bonne impression. On pensait qu’elle écraserait toute résistance grâce à ses systèmes d’armes modernes et à sa supériorité numérique. A cela s'ajoute l'expérience du combat acquise par certains officiers russes lors d'opérations en Syrie ou en Tchétchénie.
Mais les officiers de haut rang sont en train de perdre en Ukraine. Jusqu'à présent, 5 des 20 majors généraux engagés ont été tués. Cela traduit les problèmes de commandement dans l'armée russe. Ils ont probablement dû se rendre à proximité du front pour imposer leurs ordres, ce qui laisse supposer un manque de discipline ou de moral des troupes.
La panne des systèmes de communication modernes, qui a poussé les soldats russes à transmettre des messages par téléphone portable, a révélé une autre faiblesse de l'armée.
De plus, l'armée de l'air russe n'a étonnamment pas encore réussi à s'assurer la souveraineté aérienne au-dessus de l'Ukraine. Il semble que les forces aériennes n'agissent pas de manière coordonnée avec les troupes au sol.
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— 🇺🇦Ukraine_Weapons Tracker (@UWTracker) March 22, 2022
Désormais, la négligence de la Russie en matière de logistique se retourne contre elle. Il existe de nombreux rapports sur des chars qui ont tout simplement été abandonnés par leurs équipages en raison du manque de carburant. Il y aussi des soldats qui ont dû voler des denrées alimentaires parce qu'ils n'avaient pas de quoi se nourrir.
Mais c'est la population civile ukrainienne qui paie les conséquences de ces problèmes. Face à l'impasse, il semble que l'armée se réfugie dans des tactiques de combat qu'elle avait déjà utilisées pendant la guerre en Tchétchénie. A Grozny, les Russes avaient tenté de briser toute résistance en détruisant presque entièrement la ville.
Les tensions au sein de la population ukrainienne, qui existaient plus ou moins entre la partie occidentale du pays, majoritairement ukrainophone, et la partie orientale, plutôt russophone, ont été totalement reléguées au second plan – du moins pour le moment. L'invasion russe, que Poutine a sans doute ordonnée en pensant qu'une partie de la population ukrainienne la saluerait, a au contraire soudé les Ukrainiens et les a unis contre la haine.
L'armée ukrainienne, numériquement inférieure, s'oppose aux troupes russes avec un moral d'acier. La résistance contre les envahisseurs est féroce et tenace. Et la population civile fait également comprendre aux soldats russes ce qu'elle pense de la «libération», comme l'ont montré certaines vidéos sur les réseaux sociaux.
Il est probable que Poutine ait sous-estimé l'Occident, qui est décadent et faible à ses yeux. Il est difficile d'expliquer autrement le fait que le président russe ait ordonné une attaque militaire massive contre un Etat souverain européen en 2022.
Il a en tout cas manqué son objectif de diviser l'Occident et de l'affaiblir davantage. Au contraire, la communauté des Etats occidentaux a condamné l'invasion de Poutine de manière unie et a réagi par des sanctions extrêmement sévères. Ce n'est probablement que la crainte d'une escalade de violence incontrôlable qui retient l'Occident de soutenir l'Ukraine par des moyens militaires.
La Russie est désormais isolée comme jamais auparavant. Seuls quelques Etats soutiennent encore le Kremlin, qui est devenu le paria de la communauté internationale. Même la Chine, qui tient également à un affaiblissement de l'Occident, se tient nettement en retrait.
A moyen terme, la Russie risque d'être reléguée au rôle de partenaire de Pékin et fournira des matières premières exclusivement à l'économie chinoise. De plus, on ne sait pas comment l'économie russe pourra faire face à la perte prévisible des importations d'énergie occidentales.
Quels que soient les objectifs du président russe, il ne les a pas (encore) atteints. Mais au vu des éléments mentionnés ci-dessus, il est plutôt mal parti: La guerre éclair a échoué, l'armée russe n'avance plus, les Ukrainiens combattent les troupes russes avec acharnement et l'Occident a réagi à l'invasion de Poutine avec une dureté inattendue.
La démonstration de force militaire russe a également échoué jusqu'à présent. L'armée russe s'est ridiculisée et a surtout semé la terreur en frappant brutalement la population civile.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, est lui aussi toujours en place, bien que l'objectif déclaré de l'invasion était de destituer le gouvernement ukrainien. Contrairement à Poutine, Zelensky joue d'ailleurs avec virtuosité sur les médias sociaux et donne l'impression d'être totalement souverain.
L'objectif principal de l'invasion, l'intégration de l'Ukraine dans la sphère russe, paraît pour le moment impossible. Même s’il y a un revirement militaire, il sera très compliqué pour Poutine de rattacher l’Ukraine à la Russie. La population ukrainienne est désormais antirusse pour longtemps.
De plus, la tentative de l'Etat russe de réintégrer le cercle des grandes puissances dirigeantes en intégrant l'Ukraine et en affaiblissant l'Occident a probablement échoué.
Personne ne sait comment cette guerre va se terminer. Jusqu'à présent, l'armée russe ne s’est emparée d’aucune grande ville ukrainienne. Même la grande ville de Marioupol, assiégée depuis des semaines, n'est pas encore sous le contrôle russe.
Il est, toutefois, toujours possible que les troupes russes puissent forcer un tournant. Elles pourraient par exemple avancer vers le sud depuis le nord de la région de Kharkiv, afin d'encercler les puissantes unités ukrainiennes dans l'est du pays. Si Marioupol tombe, les forces russes qui y sont actuellement engagées pourraient être libérées et attaquer les troupes ukrainiennes à l'est.
Il est également possible que la Biélorussie passe d'un soutien passif à un soutien actif de l'opération russe et intervienne dans les combats avec ses propres troupes.
Si la Russie parvient tout de même à remporter cette guerre, la question reste de savoir si et comment elle peut pacifier et contrôler l'Ukraine. Une politique de répression brutale devrait à terme avoir l'effet inverse. En tout état de cause, les coûts humanitaires et politiques seraient exorbitants.
En revanche, si l'impasse se poursuit, on assistera à une guerre d'usure – dont la population civile sera, comme toujours, la principale victime. Il est difficile de dire qui aura le plus de souffle. Si la guerre continue, l'Occident devra augmenter ses livraisons d'armes, ce qui augmenterait le risque qu'il soit entraîné dans la guerre.
Plus la guerre dure, plus les pertes sont importantes et plus la situation devient difficile pour Poutine. Pour le moment, il contrôle encore la situation en Russie et la majorité de la population le soutient probablement encore. Mais la censure massive des informations indésirables et la répression sans précédent de toute protestation pendant la durée de son mandat montrent que Poutine sait à quelle vitesse la situation peut se retourner contre lui. La démission de son conseiller de longue date, Anatoli Tchoubaïs, indique que ses proches commencent déjà à le laisser tomber.
En cas d'impasse persistante ou même de défaite, Poutine pourrait donc se contenter d'une sécession du Donbass, y compris d'une liaison terrestre avec la Crimée. Mais comment pourrait-il faire de cet objectif minimal un succès ? Quel que soit le scénario de fin, une chose est certaine: Il ne peut plus changer la situation actuelle de la Russie et son déclin économique.
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz