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Comment les Soviétiques ont manipulé l'Histoire

Comment les Soviétiques ont manipulé l'Histoire

A travers l'histoire tumultueuse de l'Union soviétique, la manipulation d'images est devenue une arme puissante de contrôle politique. Cette pratique, utilisée de manière systématique depuis l'ère stalinienne jusqu'à la déstalinisation, reflète la nature oppressive du régime et son contrôle absolu sur l'information et la mémoire collective.
07.07.2024, 19:08
Daniel Huber
Daniel Huber
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Ce printemps, le président russe Vladimir Poutine a pris tout le monde de court en limogeant le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Considéré comme un ami personnel de Vladimir Poutine, l'homme a été nommé à un nouveau poste prestigieux, du moins en apparence.

Ce traitement privilégié contraste nettement avec le sort réservé à d'autres figures déchues dans l'entourage de Poutine. Cette bienveillance envers Choïgou est d'autant plus marquante quand on se souvient des méthodes du Kremlin à l'époque de Staline, où les carrières brisées se soldaient souvent par des issues fatales, notamment durant la période de la «Grande Purge» de 1936 à 1938.

C'est à cette période que la terreur imposée par le dictateur paranoïaque, dont presque personne n'était à l'abri, a atteint son paroxysme. Une anecdote, qu'elle soit vraie ou inventée, illustre bien ce climat de peur: Staline croise un général dans les couloirs du Kremlin, s'arrête pour le dévisager et lui lance:

«Ah, tu es encore en vie?»

En effet, l'espérance de vie des hauts responsables de l'époque avait dramatiquement chuté. Toutefois, même avant la période de la «Yezhovchtchina» – du nom de Nikolaï Yezhov, chef de la police secrète soviétique NKVD – les indésirables étaient déjà éliminés.

L'élimination physique des victimes ne suffisait pas au Kremlin: elles étaient également effacées des photographies, comme si elles n'avaient jamais existé. Cette forme soviétique de damnatio memoriae (condamnation de la mémoire) est illustrée par plusieurs exemples célèbres que nous présentons ici:

Des marches d'escalier au lieu de Trotski et Kamenev

5. Mai 1920: Vor dem Bolschoitheater in Moskau hält Wladimir Iljitsch Lenin eine Rede vor Rotarmisten. Rechts auf der Treppe sind auf diesem Originalfoto sichtbar: Kamenew (oben) und Trotzki (unten).
Le cliché de Grigori Goldstein montre Lénine prononçant un discours devant le théâtre du Bolchoï à Moscou, le 5 mai 1920, à l'intention des soldats de l'Armée rouge.Image: Staatliches Historisches Museum Moskau/Grigori Petrowitsch Goldstein

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5. Mai 1920: Vor dem Bolschoitheater in Moskau hält Wladimir Iljitsch Lenin eine Rede vor Rotarmisten. In dieser retuschierten Version des Bilds sind Kamenew und Trotzki von der Treppe rechts entfernt ...
Dans cette version retouchée de la photo, il manque deux personnes. Il s'agit de Léon Trotski (la personne du bas sur la photo originale) et de Lev Kamenev, deux figures importantes de l'élite du pouvoir soviétique. Image: Staatliches Historisches Museum Moskau/Grigori Petrowitsch Goldstein

Cet exemple de censure des images soviétiques, l'un des plus connus, illustre deux luttes de pouvoir. La première a été perdue par Trotski, organisateur de la révolution d'Octobre et fondateur de l'Armée rouge, qui fut un temps l'homme le plus puissant après Lénine. Après la mort de Lénine en 1924, Trotski fut écarté par Staline et qualifié de «déviationniste de gauche». Staline, initialement soutenu par Kamenev et Zinoviev, forma avec eux le triumvirat.

Après avoir réussi à évincer Trotski, Staline s'est débarrassé de Kamenev et Zinoviev en 1927 lors d'une deuxième lutte pour le pouvoir, les qualifiant alors de «déviationnistes de droite». Tous deux furent condamnés à mort et exécutés en 1936 lors du premier procès-spectacle de la Grande Purge. En 1940, Trotski fut assassiné au Mexique par un agent soviétique.

Trotski, l'adversaire le plus redoutable de Staline, a été systématiquement effacé de la mémoire visuelle soviétique après sa déchéance de nationalité. Pendant la période stalinienne, seule une partie de la photo de Goldstein était montrée – la moitié droite de l'image, où figuraient Trotski et Kamenev, était tout simplement supprimée. Dans les années 1960, ils ont été effacés et remplacés par des marches d'escalier.

Lénine fait de la place

7. November 1919: Die sowjetische Führung bei der Feier zum zweiten Jahrestag der Oktoberrevolution.
Le 7 novembre 1919, des dirigeants bolcheviks célèbrent le deuxième anniversaire de la révolution d'octobre sur la place Rouge à Moscou. Au centre, Lénine, à côté de lui - avec des lunettes et en saluant - Trotski. L'homme à lunettes à gauche, qui se tient à côté de l'homme à casquette qui salue, est Kamenev. L'homme barbu à casquette devant à droite est Artemic Khalatov, directeur de la maison d'édition d'Etat. Image: PD
7. November 1919: Die sowjetische Führung bei der Feier zum zweiten Jahrestag der Oktoberrevolution. In diesem Bild sind mehrere Personen, darunter Trotzki, wegretuschiert.
Ils ont tous été supprimés sur la version retouchée, sauf Lénine, et la personne à droite derrière Lénine.Image: PD

Le retrait des personnes tombées en disgrâce, comme dans l'exemple ci-dessus, n'était qu'une partie de la damnatio memoriae. Trotski, par exemple, dont l'existence ne pouvait être simplement niée, était présenté comme un adversaire de Lénine, et ses contributions à la révolution et à la création de l'Armée rouge étaient passées sous silence ou minimisées.

Après la destitution et l'exécution du puissant chef des services secrets, Lavrenti Beria, son entrée dans la grande encyclopédie soviétique disparut soudainement l'année suivante. A la place, les lecteurs découvrirent un article étonnamment long sur la mer de Béring.

Gratté et...

Führungsriege der Bolschewiki auf dem provisorischen Lenin-Mausoleum in Moskau am 3. November 1925 bei der Beerdigung von Michail Frunse an der Kreml-Mauer. Stalin hält die Totenrede. Unliebsame Polit ...
Les dirigeants soviétiques le 3 novembre 1925 sur le mausolée provisoire de Lénine sur la place Rouge à Moscou. Staline - l'homme moustachu au centre - prononce l'oraison funèbre de Mikhaïl Frunzé, décédé le 31 octobre, qui est enterré sur le mur du Kremlin. Les personnes indésirables sur la photo ont été égratignées par la suite. Image: Wikimedia

La première technique de manipulation d'images consistait principalement à gratter le négatif avec un scalpel ou une aiguille, puis à peindre de fines lignes directement sur l'émulsion.

...retouché

Kirov und Kalinin auf der Tribüne des Lenin-Mausoleums, Ende der 1920er-Jahre. Die erste Variante hier zeigt die für die Retuschierung vorgesehenen Bildbereiche (angekreuzte Köpfe).
Sergei Kirov et Mikhaïl Kalinin à la fin des années 1920 dans la tribune du mausolée de Lénine. Sur cette photo, les personnes destinées à être retouchées sont marquées par des croix.Image: PD
Kirov und Kalinin auf der Tribüne des Lenin-Mausoleums, Ende der 1920er-Jahre. In dieser Variante sind die Retuschen bereits ausgeführt.
Ici, la retouche est terminée: Kirov (à gauche) et Kalinin sont désormais seuls dans la tribune.Image: PD

Des passages étaient aussi coupés dans les imprimés ou des tirages entiers étaient supprimés. Si une publication ne pouvait être évitée pour des raisons politiques, les visages ou les personnes étaient grattés ou noircis.

Des privés ont également adopté cette pratique avec leurs propres livres, magazines et photographies. En effet, tout document pouvait devenir illégal du jour au lendemain et représenter un danger mortel pour son propriétaire. Même le haut fonctionnaire du parti, Anastas Mikoyan, noircissait dans ses archives privées les personnes tombées en disgrâce.

Eloigné de Staline

Rechts NKWD-Chef Nikolai Jeschow, daneben Stalin und Molotow. Jeschow wurde später aus dem Foto heraus retuschiert, nachdem er 1938 in Ungnade gefallen war.
Staline (au centre) avec Viatcheslav Molotov (à gauche) et le chef du NKVD Nikolai Yeshov (à droite) en 1937 sur les rives du canal Volga-Don. Image: PD
Stalin und links von ihm Molotow. NKWD-Chef Nikolai Jeschow wurde aus dem Foto herausretuschiert, nachdem er 1938 in Ungnade gefallen war.
Il manque ici Yeshov, le «nain empoisonné» sadique.Image: PD

Yezhov était le chef de la police secrète soviétique, le NKVD, pendant la Grande Terreur. La Yezhovschina, qui a causé près de 800 000 morts documentées, ciblait d'abord les dirigeants du parti et de l'armée, puis s'est étendue de manière arbitraire aux membres du parti à tous les niveaux, et enfin à la population russe.

Mais en 1938, l'étoile d'Yezhov a commencé à pâlir; il était devenu trop puissant pour Staline et la terreur aveugle avait considérablement affaibli le parti et l'armée. A la fin de l'année, Yezhov a été destitué, puis il a subi le même sort que ses victimes et son prédécesseur, Genrikh Yagoda: il a été arrêté et exécuté. Après son exécution, le «nain toxique», comme Staline l'avait surnommé, a été effacé de plusieurs photos le montrant aux côtés de Staline.

Staline seul au monde

Leningrad 1926: Original photo shows from left to right: Nikolai Antipov, Josef Stalin, Sergei Kirov, and Nikolai Shvernik.
La photo originale en haut à gauche montre de droite à gauche Nikolaï Antipov, Joseph Staline, Sergueï Kirov et Nikolaï Schwernik en 1926 à l'Institut Smolny de Leningrad. Dans les versions suivantes, on voit de moins en moins de personnes, jusqu'à ce que Staline soit seul sur la dernière image. Image: PD

Cette célèbre combinaison d'images est souvent citée comme exemple de la manipulation radicale des images par les Soviétiques. Cependant, elle ne constitue pas un bon témoignage: d'une part, seule l'une des personnes représentées est tombée en disgrâce, à savoir Antipov, vice-président du Conseil des commissaires du peuple, qui a été exécuté en 1938. Kirov a été assassiné en 1934, et Schwernik n'a pas été inquiété jusqu'à sa mort en 1970. D'autre part, la dernière image est clairement une peinture et non une photographie.

Même Staline a été effacé

Auch Stalin selbst war im Rahmen der Entstalinisierung von einer damnatio memoriae betroffen: Beispielhaft ist die Geschichte des Gemäldes des Malers Wladimir Alexandrowitsch Serow aus dem Jahre 1947, ...
Vladimir Serov a réalisé en 1947 le tableau de propagande Lénine proclame le pouvoir des Soviets. Derrière Lénine, à droite de l'image, se trouvent Staline, Felix Dzerjinski et Jakov Sverdlov.Image: PD
Auch Stalin selbst war im Rahmen der Entstalinisierung von einer damnatio memoriae betroffen: Beispielhaft ist die Geschichte des Gemäldes des Malers Wladimir Alexandrowitsch Serow aus dem Jahre 1947, ...
En 1962, le tableau de Serov a été remanié sur ordre de Khrouchtchev. Staline, Dzerjinski et Sverdlov ont disparu. Image: PD

Même Staline a été en partie «cancellé» après sa mort en 1953. Dans le cadre de la déstalinisation lancée par son successeur, Nikita Khrouchtchev, le culte de la personnalité de Staline a été abandonné. Le tableau de propagande «Lénine proclame le pouvoir soviétique», où le dictateur se tenait encore derrière Lénine dans la version originale de 1947, illustre bien ce phénomène. En 1962, Serov a dû remanier le tableau. Outre Staline, Félix Dzerjinski, fondateur de la Tchéka, la police secrète soviétique, et Mikhaïl Sverdlov, brièvement chef de l'Etat soviétique et décédé prématurément, ont été retirés du tableau.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

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