Il y a 16 jours, un message de ma petite soeur tombe sur mon téléphone.
En pièce jointe, un mail du rectorat adressé à la communauté estudiantine: «INVITATION - Rencontre à l'UNIL d'Alain Berset avec Emmanuel Macron». J'éclate de rire méchamment. On dirait bien que l'université de Lausanne s'est fait hacker par de petits rigolos.
Un minuscule doute subsiste, pourtant. Juste assez pour me pousser à vérifier le programme de Sa Majesté Macron sur Google. Un article publié quelques minutes plus tôt par 24 heures achève de me convaincre. Bon sang de bonsoir, c'est vrai.
Emmanuel Macron. Mon crush assumé. Mon chouchou au point d'en devenir une blague. Son portrait officiel a été accroché au-dessus de mon lit avec plus ou moins de second degré. Mon lapin bélier porte son nom.
Aussi absurde que cela puisse paraître, Emmanuel Macron l'humain et président de la VIe République sera effectivement de passage à Lausanne à la mi-novembre, pour une «discussion». Un échange strictement réservé aux étudiants et aux enseignants. Il en faudra plus pour m'arrêter.
Jeudi 16 novembre, 8h30. Finalement, je n’ai pas eu besoin de tuer un universitaire innocent pour lui piquer sa place. Ni d'usurper frauduleusement l'identité de ma petite sœur. (Je n'aurais d'ailleurs eu aucun scrupule.)
Munie d'une précieuse accréditation, je rejoins la file indienne des quelques centaines de chanceux et curieux ayant réussi à se dégoter un siège. Sur le site, tout a été pris d'assaut en moins de cinq minutes. Ma sowur a échoué - la faute sans doute à son karma de gauchiste.
Devant le premier portique de sécurité, c'est un défilé de baskets blanches, jeans Hugo Boss, casquettes Rolex, gilets en cachemire et trench-coat beiges. Je compte les gilets matelassés pour passer le temps. Pas de doute, le futur de la start-up nation s'est donné le mot pour venir acclamer son leader spirituel.
La sécurité est rodée. Au contrôle d'identité succèdent la truffe des chiens renifleurs, puis une fouille corporelle et un passage au scanner. L'aéroport, à côté, c'est laxiste.
Derrière moi dans la queue, une équipe de TF1 se demande ce qu'ils vont bien pouvoir raconter de ce voyage présidentiel, dans cette petite Suisse toute mollassonne. Avant de rigoler face à la liste interminable des objets interdits à l'intérieur du bâtiment.
Les stylos, on ne sait pas. En tout cas, parapluies, sacs, valises, compresses ou liquides sont rigoureusement prohibés. Et tant pis pour cette malheureuse représentante de la délégation française qui espérait pouvoir conserver sa gourde en métal pour se rincer le gosier. Hop, poubelle.
9h25. Une alarme stridente se déclenche au niveau du troisième scanner. Les vigiles froncent les sourcils. Panique à bord. Ah non, pitié, pas d'alerte à la bombe! Personne ne pourra me priver de voir Emmanuel Macron. Pas même une poignée d'étudiants rebelles.
«La situation rétablie», nous sommes finalement autorisés à pénétrer librement dans l'auditoire. Je me déniche une place tout au fond, bien en face de la scène. Trop loin à mon goût, mais l'angle est idéal.
9h55. Caméras, appareils photo, microphones, projecteurs et regards braqués sur la scène, c'est le début d'une nouvelle attente interminable. Un peu de blabla diplomatique et quelques invités pour meubler, sur fond de sonneries de téléphones portables et d'arrivée de retardataires.
Etudiants, profs, journalistes, dignitaires et officiels aux sourcils froncés et aux costumes-cravates encore couverts des miettes du café-croissant avalé à la va-vite, prennent place fébrilement. Quelques minutes avant la fermeture des portes, le Conseil d'Etat vaudois in corpore arrive enfin. Il faudra attendre encore une nouvelle demi-heure.
J'aurais dû prendre un café.
10h59. Enfin. Les voilà.
Les deux compères entrent dans la salle, avides des spotlights et des applaudissements nourris d'une foule déjà acquise à leur cause. Alain Berset ouvre le bal et la discussion.
Citer le penseur Léopold Sédar Senghor en guise d'introduction, fallait oser. Me voilà de retour sur les bancs d'uni. N'empêche qu'il a de la classe, notre Alain. Si on avait dû assumer un président de la Confédération enfoncé dans son veston trop large pour clamer: «Le rire, c’est bon pour la santé!». On aurait eu l'air malin.
Ceci étant dit, le président invite son «homologue français et ami» à le rejoindre sur scène. Nouvelles tapes dans le dos. Décidément.
Je découvre un Macron inspiré et inspirant, l’orateur éloquent qu’on m’a toujours vendu. Attitude calme et posée, pas un regard vers ses notes, ses mains accompagnent sa parole comme pour mieux ensorceler son auditoire. Il goûte l'exercice et ça se voit.
Sur le fond, pas de surprise. Le président français est là pour nous faire plaisir. Union européenne, innovation, urgence climatique, crises internationales. Quelques références historiques et géographiques, un trait d’humour, un énième sourire éclatant, une évocation inévitable des Lumières, de Voltaire et Rousseau (lui qui a quand même fini par être lapidé dans le canton de Neuchâtel).
Poli, policé, convenu, politiquement correct. Bref, un peu plat. Personne pour mettre nos présidents en difficulté au moment des questions spontanées dans le public. Pas un courageux pour demander au Français s'il a digéré l'abominable aspic servi la veille lors du gala au Bernerhof. Ni même s'il préfère le chocolat suisse au français.
12h11. L'heure avance, les estomacs grondent, les délégations trépignent. Emmanuel Macron achève sa réponse à une quatrième et dernière question sur le thème de la crise migratoire. Tout le monde a été très sage.
Alain Berset et Emmanuel Macron quittent la scène pour un ultime bain de foule. Mon heure est venue. Ma première tentative de selfie s'est soldée par un échec.
Ni une, ni deux, je fends la foule pour une (deuxième) tentative d'approche. Trop tard. Macron est déjà pris d'assaut par une horde de journalistes et d'universitaires plus réactifs. C'est à peine si j'arrive à me hisser sur une chaise, à trois mètres de l'élu, pour planter mes yeux dans les siens. Dramaturgie oblige.
Alors qu'il remercie la foule avec un «Merci! A bientôt! Le futur vous appartient!», j'arrive enfin à établir un contact visuel.
Deux secondes, soutenues et palpitantes (pour moi hein), avant qu'il ne détourne le regard et tourne les talons.
Le futur de la start-up nation prend congé dans le calme. Pas de trace des quelque 200 personnes venues s'opposer à l'allocution présidentielle, encerclées pendant plus de deux heures par un cordon d'une cinquantaine de policiers. Seul règne un mélange confus d'excitation et de bonne humeur.
Moi, je repars de là sans selfie. Mais plus pom-pom girl que jamais.