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Etats-Unis vs Chine: «La guerre n'est plus improbable»

Etats-Unis vs Chine: «La guerre n'est plus improbable»
Nancy Pelosi, peu de temps avant de quitter Taïwan. Taipei, 3 août 2022.image: keystone

Tensions entre les Etats-Unis et la Chine: «La guerre n'est plus improbable»

Nancy Pelosi, la présidente de la Chambres des représentants aux Etats-Unis, est repartie ce mercredi de Taïwan, où sa visite a provoqué la colère de la Chine. Le géopolitologue français Dominique Moïsi analyse les enjeux de ce coup d'éclat.
03.08.2022, 16:4904.08.2022, 08:47
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Pourquoi la visite à Taïwan de la cheffe des députés américains, Nancy Pelosi, met-elle la Chine en colère?
Dominique Moïsi: Parce que, du point de vue chinois, cette visite apparaît comme une remise en cause du statu quo en vigueur depuis 1971. Soit l’année où la République populaire de Chine (RPC), autrement dit la Chine communiste, a été reconnue par la communauté internationale comme la seule incarnation de l’Etat chinois, Taïwan, que Pékin considère comme sa 23e province, n’étant officiellement pas un Etat. C’est la première fois depuis 1997 et la venue à Taïwan de Newt Gingrich, alors également président de la Chambre des représentants à Washington, qu’un personnage américain de cette importance se pose sur l’île.

Pourquoi, connaissant la susceptibilité de la Chine sur ce dossier, Nancy Pelosi s’est-elle rendue à Taïwan?
Première interprétation possible. Sur le plan international, renoncer à cette visite, c’est céder au chantage de la Chine. A l’inverse, se rendre à Taïwan, c’est, pour le troisième personnage de l’Etat américain, dire que Taïwan est un enjeu pour les Etats-Unis et dire aux Chinois: «Je ne me laisse pas impressionner par votre nationalisme toujours plus agressif, vos multiples manœuvres en mer de Chine. La preuve, c’est que je me rends moi-même à Taïwan pour faire passer un message d’amitié, de solidarité et d’alliance à ce pays.» Voilà pour l’interprétation externe, de politique étrangère.

«Aux Etats-Unis, sur la question chinoise et celle de Taïwan, il y a plutôt une forme de consensus entre républicains et démocrates»

Quelle est l’autre interprétation possible?
C’est une interprétation interne, liée à la politique intérieure américaine. On est à quelques mois des élections de mi-mandat au Congrès (réd: à la Cambre des représentants et au Sénat). Cette visite à Taïwan renforce plutôt la position démocrate, le parti de Nancy Pelosi, en vue de cette échéance électorale, quand, au même moment, l’ex-président républicain Donald Trump accuse les démocrates de mener les Etats-Unis vers le déclin. Or, on voit bien que, sur la question chinoise et celle de Taïwan, il y a plutôt une forme de consensus entre républicains et démocrates, les républicains disant que Nancy Pelosi a eu raison de se rendre à Taïwan, que c’est une très bonne chose. Il y a donc certainement, dans cette visite, un mélange de politique étrangère, qui consiste à faire preuve de fermeté, et de politique intérieure, dans une perspective électorale.

Que penser de ce mélange des genres?
C’est troublant, même si ce n’est pas rare dans les démocraties. Dans une phase aussi tendue, est-ce que ce voyage de Nancy Pelosi était vraiment la meilleure chose à faire? Fallait-il effectuer ce déplacement en ce moment? En pleine guerre en Ukraine, est-ce que ça ne risque pas de jeter un peu d’huile sur le feu? Est-ce que ça ne risque pas de consolider encore davantage l’alliance entre la Chine et la Russie?

Quelle autre manière ont les Etats-Unis d’empêcher la Chine de s’emparer de Taïwan?
Le seul moyen qu’ont les Etats-Unis, c’est de faire preuve de manœuvres dissuasives. La dissuasion, ça passe par l’aide militaire toujours plus grande à Taïwan, ça passe par une présence toujours plus forte en mer de Chine et ça passe par le renforcement des alliances américaines dans la zone indopacifique. Il s’agit de faire comprendre aux Chinois que la solution de la force ne marche pas toujours. Preuve en est la situation empêtrée des Russes en Ukraine, qui n'ont pas atteint les objectifs qu’ils poursuivaient au début de la guerre, il y a de cela plus de cinq mois.

«Vous, Chinois, voulez-vous avec Taïwan répéter les erreurs commises par la Russie à l’Est de l’Europe?»

La Chine de Xi Jinping a-t-elle réellement l’intention d’annexer Taïwan?
Oui. Elle a réellement l’intention de réunifier la Chine, soit la Chine continentale et Taïwan. Idéalement, elle le ferait par la pression militaire, mais pas par l’action militaire. Le rêve chinois, c’est qu’à un moment donné, la République de Taipei en arrive à se dire qu’elle ne veut pas de guerre avec la Chine et accepte une forme de réunification sous un modèle «un Etat, deux systèmes», de type Hong-Kong.

Sauf que cela ne se passe pas bien entre la Chine et Hong-Kong...
En effet, le problème, c’est qu'avec la répression en cours à Hong-Kong, synonyme de mise au pas de la démocratie, la solution «un Etat, deux systèmes» apparaît de moins en moins crédible. Et deuxièmement, la montée des tensions en mer de Chine, les démonstrations de puissance du régime chinois, dernièrement avec des chars massés sur les plages chinoises comme un prélude à une invasion de Taïwan, renforcent la volonté d’indépendance des Taïwanais. Alors qu’à une époque, les Taïwanais se sentaient les Chinois de Taipei, appartenant, dans leur esprit, à la grande civilisation chinoise, avec le temps, ils se sentent avant tout comme des citoyens de Taïwan, par opposition à la Chine.

Est-ce que les Etats-Unis, qui restent la première armée du monde, ont les épaules pour tenir tête à la Chine encore longtemps en zone indopacifique?
Pour le moment, oui. Mais tout est dans le «pour le moment». La question complémentaire est la suivante:

«L’Amérique a-t-elle les moyens de mener trois fronts, en Ukraine face à la Russie, en mer de Chine face à la Chine, au Moyen-Orient face à al-Qaïda ou encore face à l’Iran? C'est ça, la question»

Pour le moment, donc, la supériorité américaine est claire. L’exécution du chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, tué par un drone, dimanche à Kaboul, est l’illustration de la supériorité militaire américaine. Je ne suis pas sûr que les Chinois ou les Russes auraient pu éliminer de la sorte un de leurs ennemis principaux.

Lundi à New York, en ouverture d’une conférence des pays signataires du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a mis en garde contre le risque d’une déflagration nucléaire. L’accumulation de crises majeures, en Ukraine comme en Chine, pourrait-elle conduire à l’emploi de l’arme nucléaire, dont le tabou semble s’effriter?
Je crois que l’avertissement de M. Guterres est parfaitement légitime, hélas, au moment où vous avez une multiplication de menaces de l’emploi de l’arme nucléaire tactique par Poutine, au moment où le régime nord-coréen joue avec le feu également en disant que les Sud-Coréens doivent se préparer à l’arme nucléaire nord-coréenne.

«Il y a donc une multiplication de provocations de Pyongyang à Moscou, qui font qu’on a l’impression que l’arme nucléaire n’est plus taboue, qu’elle est devenue un peu abstraite»

Pendant la guerre froide, les images d’Hiroshima et de Nagasaki étaient encore présentes dans l’esprit des gens. Maintenant, Hiroshima et Nagasaki, c’était il y a près de 80 ans. Le temps a passé. C’est cela qui est particulièrement dangereux et c’est ce qu’a raison de dénoncer M. Guterres.

Qu’est-ce qui empêche les Etats-Unis et la Chine, non pas d’être des alliés, mais de développer une sorte d’entente cordiale?

L’idéologie. On est revenu à une situation qui s’apparente à celle de la guerre froide, avec en son sein une guerre chaude en Ukraine. Rappelons-nous cette formule célèbre du philosophe et historien français Raymond Aron, décrivant la guerre froide comme «paix impossible, guerre improbable». La paix était impossible, parce qu’il n’y avait pas d’accord possible entre le système communiste et le système capitaliste; la guerre était improbable, parce qu’il y avait la menace de l’apocalypse nucléaire. Aujourd’hui, la paix est redevenue impossible entre système autoritaire et système démocratique.

«La guerre n’est plus aussi improbable qu’elle ne l’était lors de la première guerre froide»

La Chine et les Etats-Unis ne sont plus seulement des rivaux économiques, commerciaux, stratégiques, ce sont des adversaires idéologiques, et c’est ça le point central.

Réponse à la visite de Nancy Pelosi: les chars chinois font faces à Taïwan
Video: watson
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