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Interview

«En France désormais, c'est une colère globale qui s'exprime»

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Les manifestations dans les rues de Paris, le 28 mars 2023.Image: keystone
Interview

«En France désormais, c'est une colère globale qui s'exprime»

Le 28 mars marquait le 10e jour de protestation contre la réforme des retraites imposée par le gouvernement d'Emmanuel Macron. Quand les manifestations vont-elles s'arrêter? Et pourquoi le peuple est-il autant en colère? Décryptage avec le politologue français Bruno Cautrès.
29.03.2023, 16:4529.03.2023, 17:52
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Incendies dans les rues de Paris, casses, heurts entre les manifestants et les forces de l'ordre, dégradations urbaines: depuis janvier et depuis dix jours avec une ardeur redoublée, des centaines de milliers de Français descendent dans les rues du pays pour exprimer leur colère envers la réforme des retraites, entérinée par le gouvernement d'Emmanuel Macron sans le vote des députés.

Depuis la Suisse, plusieurs questions se posent face à l'ampleur des manifestations chez notre voisin: pourquoi tant de colère? La rue va-t-elle s'essouffler? Si oui, quand? Bruno Cautrès, politologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), décrypte la situation et présente les éventuelles portes de sortie.

Les manifestations vont-elles bientôt s'arrêter?
Bruno Cautrès:
C'est difficile à dire. Mardi 28 mars, date de la dernière, il y avait effectivement moins de participants. En même temps, cela fait dix jours que ces personnes se mettent en grève, qu'elles perdent une partie de leur salaire et de leur temps. Dans les sondages, cependant, on observe que les Français rejettent toujours massivement cette réforme des retraites et qu'ils considèrent que le pouvoir exécutif est le principal responsable.

Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à Sciences Po.
Bruno Cautrès, politologue, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à Sciences Po.

Est-ce qu'il y a un risque d'embrasement, de montée en puissance?
Oui, qui s'observe d'ailleurs depuis une dizaine de jours. Le pire des scénarios serait qu'un manifestant décède. Il faut faire redescendre la tension. Le gouvernement doit prendre la mesure de ce qu'il se passe et agir. De nombreux Français, dont ceux qui votent pour Emmanuel Macron depuis le début, avouent que notre président ne gère pas correctement la situation. Selon les enquêtes d'opinion, beaucoup critiquent sa position actuelle inflexible et reconnaissent une faiblesse de la part des élus qui laissent la rue s'embraser ainsi.

«Assurer l'ordre public et permettre aux citoyens d'exprimer leur opinion sans risque est la mission première du gouvernement»
Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS

Comment expliquer la violence observée lors des manifestations?
La plupart du temps, les manifestations se passent bien. Il est important de séparer la majorité des manifestants, qui sont certes des gens convaincus de leurs opinions, mais qui ne sont pas violents, de ceux qui viennent pour casser. Récemment, en effet, les «black blocs» (réd: un terme générique qui désigne les méthodes de militants d’ultragauche qui affrontent les forces de l’ordre) ont fait leur retour. Quant aux autorités, il est vrai qu'en France, nous avons un modèle de maintien de l'ordre public qui soulève des questions depuis l'étranger. Nous avons tout de même souhaité pallier ces violences, notamment en effectuant un changement à la préfecture de Paris après la crise des gilets jaunes.

Les étudiants ont, à leur tour, pris d'assaut la rue: qu'est-ce que cela signifie?
Que le terrain de la contestation s'est désormais déplacé et étendu.

La colère s'est donc généralisée: envers qui est-elle dirigée?
Envers le gouvernement d'Emmanuel Macron de manière générale et non plus uniquement contre la réforme des retraites. Une partie de la jeunesse a l'impression de ne plus vivre en démocratie après le recours à l'article 49.3.

«Désormais, c'est une colère globale qui s'exprime, ce qui rend le dossier encore plus compliqué à traiter»

Les manifestations vont continuer indéfiniment ou y a-t-il une porte de sortie?
On entrevoit tout de même une lueur d'espoir.

Laquelle?
Selon moi, il faudrait que le Conseil constitutionnel sanctionne ne serait-ce qu'une partie de la loi sur la réforme des retraites. L'exécutif pourrait ainsi sortir la tête haute et mettre le projet sur pause le temps de réfléchir, voire de faire une nouvelle proposition de texte. Le gouvernement reculerait ainsi sans réellement reculer. Avec cette solution, les syndicats pourraient quant à eux informer la rue «qu'ils ont gagné».

Quelques précisions:
Le Conseil constitutionnel a la charge du contrôle de conformité de la loi à la Constitution. Le pouvoir exécutif quant à lui est celui qui met en œuvre les lois, conduit la politique nationale française et édicte des règlements.

Au vu de l'ampleur des manifestations et de la colère exprimée, nous avons tout de même l'impression que la réforme des retraites est l'étincelle qui a conduit à l'incendie. Quel est le problème de fond?
Actuellement, le problème de fond provient notamment du fait qu'on ne nous a pas expliqué la réforme des retraites. Pour que les gens acceptent de travailler plus longtemps, ils doivent savoir si cela implique une augmentation de salaire avec l'âge, de nouvelles formations, une évolution de poste, etc. Comment donner du sens à cette nouvelle loi lorsque les questions fondamentales n'ont pas été posées?

Il ne s'agit toutefois pas de la première crise sociale qui ébranle le pays...
Il est vrai qu'en France, il ne se passe pas 3-4 ans sans que ne s'observe ce mélange entre crise sociale et crise politique. La dernière en date était celle des gilets jaunes, en 2019. Actuellement, le problème provient notamment du fait que nous pensions qu'Emmanuel Macron – lors de sa première élection en 2017 – allait tout changer: il devait renouveler les politiques françaises et apporter un nouveau souffle à la démocratie. Mais malgré de nombreuses initiatives mises en oeuvre, par exemple la convention citoyenne sur le climat, sa popularité a rapidement baissé.

«Et surtout, notre pays est très attaché à l'idée d'égalité et de méritocratie. Lorsqu'un gouvernement semble s'y opposer, cela provoque justement des crises, épisodiques certes, mais fréquentes»

L'une des manières d'exprimer ce mécontentement est justement de descendre dans la rue. Vous n'avez pas d'autres méthodes pour dire que vous n'êtes pas d'accord?
Le potentiel pour protester en France est effectivement relativement important. D'ailleurs, nous venons de publier une enquête à Sciences Po qui démontre la progression de l'idée selon laquelle manifester, faire grève ou boycotter est un bon moyen d'expression publique, le vote reste tout de même l'option en tête de liste. Nous avons également une forte culture de la liberté d’expression, souvent utilisée pour contester le pouvoir. Je pense ici à Mai 68 ou encore à la grave crise des banlieues en 2005 par exemple.

Nous avons une dernière question à vous poser à l'approche des vacances de Pâques: est-ce que nous pouvons venir en France?
Bien sûr! Le seul problème, si les grèves continuent, est que vous aurez des difficultés à réserver les trains depuis la Suisse. Je pense, toutefois, que si vous voulez réellement comprendre ce qu'il se passe dans notre pays, il faut être sur place, rencontrer et discuter avec les gens. Aujourd'hui, ils ne veulent pas uniquement se faire entendre, ils ont un réel besoin de rénover le système démocratique.

«Les Français ne veulent pas changer entièrement la Ve République. Ils demandent toutefois une institution dans laquelle les citoyens se font entendre et ont la parole»
Des mèmes pour parler de la réforme des retraites en France
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Des mèmes pour parler de la réforme des retraites en France
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Au cœur de la violence policière après le 49.3
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