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Interview

Malgré la guerre en Ukraine, ce musée refuse de fermer

La Galerie nationale d'art de Kiev, après qu'une roquette soit tombée à quelques mètres du bâtiment. Les fenêtres ont été brisées.
La Galerie nationale d'art de Kiev, après qu'une roquette soit tombée à quelques mètres du bâtiment. Les fenêtres ont été brisées.
Interview

Ce musée de Kiev refuse de fermer: «Des roquettes ont brisé nos fenêtres»

Malgré la guerre, la Galerie d'art nationale de Kiev est restée ouverte et présente, aujourd'hui encore, plusieurs expositions. Comment s'est déroulé cette dernière année? Entretien avec Yurii Vakulenko, son directeur.
03.03.2023, 18:3203.03.2023, 20:04
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Le conflit en Ukraine entre dans sa deuxième année. Il a fait des milliers de morts et de blessés, et a détruit de nombreuses infrastructures civiles, à Kiev notamment. La Galerie nationale d'art, par exemple, a été impactée par les frappes de roquettes russes, en octobre dernier.

Mais malgré les risques d'attaques, elle est restée ouverte au public et continue de présenter des expositions. Deux d'entre elles sont d'ailleurs en Suisse, réalisées en collaboration avec le Musée d'art et d'histoire de Genève (MAH) et le Kunstmuseum de Bâle.

Certains employés ont réduit leur temps de travail, d'autres sont partis, à l'étranger notamment. Le directeur de l'institution, Yurii Vakulenko, est quant à lui resté sur place. A quoi ressemble désormais son quotidien? Qu'est-ce qui a changé depuis le 24 février 2022? Il nous raconte.

Yurii Vakulenko, directeur de la Galerie nationale d'art de Kiev.
Yurii Vakulenko, directeur de la Galerie nationale d'art de Kiev.

Vous avez décidé de garder le musée ouvert malgré le conflit: pourquoi?
Yurii Vakulenko:
Parce que c'est notre manière à nous de nous battre et de résister, même si je suis conscient qu'un jour, je devrai peut-être prendre les armes et aller au front. La culture est une partie intégrante de notre identité et de celle de notre pays.

«En détruisant notre art, la Russie détruit une partie de notre héritage et de qui nous sommes»

Les gens viennent-ils toujours au musée?
Notre taux d'affluence est de 60%. C'est beaucoup, quand on pense à la situation actuelle en Ukraine.

La programmation du musée est-elle restée la même?
Non, nous avons tout changé. Avant, nous avions une exposition permanente et deux expositions temporaires. Aujourd'hui, nous n'avons que des expositions temporaires, 5 actuellement, dédiées à l'art contemporain. Nous exposons des artistes locaux qui racontent, illustrent et dénoncent la guerre. Par exemple, le travail d'un photographe qui a documenté le quotidien des soldats sur la ligne de front.

L'exposition photo, qui s'est terminée en octobre 2022, qui documente le quotidien des soldats ukrainiens.
L'exposition photo, qui s'est terminée en octobre 2022, qui documente le quotidien des soldats ukrainiens.galerie nationale d'art de Kiev

Qu'est-il arrivé à votre exposition permanente?

«Nous avons mis à l'abri ses 14 000 oeuvres au début du conflit»

Le musée était fermé à ce moment?
Oui. Nous avons immédiatement organisé le déménagement. Cela nous a pris deux mois et demi. Nous avons ensuite rouvert en mai, mais nous avons refermé pendant deux semaines en octobre 2022.

Pourquoi?
Parce que les forces russes ont attaqué Kiev. Des roquettes sont tombées à 50 mètres du musée, les toits en verre et les fenêtres ont été brisés. Ces trous sont actuellement rebouchés avec des planches en bois, mais nous espérons les réparer en 2023.

galerie nationale d'art de kiev
Les plafonds de verre du musée ont été brisés.galerie nationale d'art de kiev

Déplacer 14 000 oeuvres, c'est colossal. Comment organise-t-on un tel déménagement?
C'était une opération très délicate et physiquement compliquée. Quelques jours après l'invasion russe, j'ai pris toutes mes affaires et je suis venu m'installer sur place. Avec une partie de mon équipe et quelques bénévoles, nous avons protégé, emballé et transporté les oeuvres en lieu sûr. Une mission difficile à l'époque, parce que Kiev était attaquée.

«Certaines oeuvres étaient extrêmement lourdes, comme une sculpture d'une tonne et demie ou un tableau de 300 kilos, cadre compris»
Le déménagement des oeuvres.
Le déménagement des oeuvres.galerie nationale d'art de kiev

Où sont les oeuvres?
(Rires). Je ne peux évidemment pas divulguer cette information, pour des raisons de sécurité. La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'elles sont quelque part sous la terre.

Certaines d'entre elles ont été transportées à l'étranger, en Suisse notamment: ces collaborations ont-elles pour but de protéger l'art ukrainien?
Oui, mais pas seulement. En tant que professionnels, nous avons travaillé avec ces musées comme nous l'aurions fait en temps normal. Ils devaient aussi y trouver leur compte.

Comment s'est passé leur voyage?
En temps normal, c'est déjà compliqué de déplacer des biens qui ont autant de valeur. Vous imaginez la difficulté en temps de guerre? En plus, les oeuvres n'étaient pas assurées sur le territoire ukrainien, car les assurances ne travaillent pas lorsqu'un pays se trouve «en état de force majeure» (elles l'étaient cependant en Europe et en Suisse). De nombreux gardes ont donc veillé à leur sécurité. Elles étaient très bien emballées et une société spéciale de transport s'est chargée de les amener jusqu'à la frontière.

«Elles sont arrivées saines et sauves en Suisse, même si nous avons eu quelques problèmes à notre arrivée en Pologne»

Quels problèmes?
Normalement, les personnes et les véhiculent font la file et attendent pendant plusieurs heures avant de passer la frontière. Mais nous ne pouvions pas attendre! C'était trop risqué. Heureusement, nous avons reçu le soutien du gouvernement et du ministre de l'Intérieur. Ils ont accéléré et facilité notre passage.

Pourquoi avoir choisi de collaborer avec la Suisse?
Nous avons également discuté avec Venise, Milan ou encore le Luxembourg. Mais une partie de notre collection appartenait, il y a 100 ans, à la famille Tereschenko, dont les descendants vivent à Genève. Nous sommes depuis des années en contact avec l'un d'eux. Dès le début du conflit, il a voulu nous aider. C'est lui qui nous a mis en relation avec le MAH de Genève et le Kunstmuseum de Bâle. Les deux musées ont réussi à monter les expositions en quelques mois seulement. Nous leur en sommes extrêmement reconnaissants.

Le conflit entre dans sa deuxième année: comment allez-vous?
Ce lundi (réd. date de l'interview avec watson), c'est une journée spéciale, car le président des Etats-Unis, Joe Biden, est à Kiev et les sirènes retentissent. Je travaille donc depuis la maison, car la ville est difficile d'accès. Ces prochains jours, nous nous attendons au pire. Aujourd'hui, je vais bien, mais ça n'a pas toujours été le cas.

Le trou laissé par une roquette, à quelques mètres du musée.
Le trou laissé par une roquette, à quelques mètres du musée.galerie nationale d'art de kiev

J'imagine...
Ma famille était dans les territoires occupés par les forces russes et ma maison de vacance est près de Boutcha. Les tanks passaient dans les rues et mon coeur était avec mes proches. Quand je pars à l'étranger, pour le travail, j'ai l'impression d'être dans un monde parallèle.

«Quand je rentre en Ukraine, je me sens à la maison. Ma vie et ma réalité sont ici»

Qu'attendez-vous de 2023?
Nous allons continuer de nous battre pour notre droit d'exister. Nous n'avons pas peur. Nous sommes attaqués, mais cela nous rend plus forts et courageux. Nous allons gagner, j'en suis persuadé.

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source: uk ministry of defence
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