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A cause de Trump, «une guerre civile peut éclater en un clin d'œil»

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images: getty, montage: watson
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A cause de Trump, «une guerre civile peut éclater en un clin d'œil»

Ce n'est pas un scoop, cette année électorale américaine sera historiquement explosive. A quel point la rhétorique fasciste du candidat Trump peut-elle embraser les rues américaines? Quels sont les groupes extrémistes les plus violents. Comment vont-ils agir? Interview avec une chasseuse de Proud Boys.
20.01.2024, 07:0020.01.2024, 09:39
Bastian Brauns / ch media
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Megan Squire est une chercheuse en extrémisme. Membre de l'Anti-Defamation League, elle est considérée comme un système d'alerte précoce et une chasseuse redoutable des fameux Proud Boys, cette extrême droite américaine particulièrement musclée. Depuis l'assaut du Capitole, il y a trois ans, elle joue le rôle de sismographe indispensable, face aux secousses politiques et sociales aux Etats-Unis. En cette année électorale particulièrement turbulente, Megan Squire entrevoit de nouveaux dangers. Interview.

Le 6 janvier 2021, une foule en partie armée, incitée par Donald Trump, a pris d'assaut le Capitole américain afin d'empêcher l'élection de Joe Biden. Les Proud Boys ont joué un rôle important dans cette affaire. Vous saviez déjà à l'époque quel danger se profilait. Pourquoi?
Megan Squire:
En tant que professeure d'université, j'ai enseigné l'informatique pendant de nombreuses années. Mon principal domaine de recherche était la dynamique des communautés en ligne. Il ne s'agissait pas de groupes politiques, mais de développeurs de logiciels. Mais entre 2015 et 2016, j'ai remarqué que la rhétorique et l'activisme à l'extrême droite devenaient de plus en plus virulents sur de nombreuses plateformes en ligne différentes.

«Juste avant les élections de 2016, les choses ont empiré»

En 2017, avec Donald Trump à la Maison-Blanche, une guerre culturelle totale a éclaté sur Internet. De nombreux groupes et acteurs d'extrême droite ont ouvertement appelé à des affrontements violents avec des contre-manifestants et ont planifié publiquement toutes sortes d'actes.

Et vous en avez fait une analyse statistique.
Exactement. J'ai appliqué mes techniques de data mining à ce problème et j'ai commencé à observer la montée des Proud Boys. Il s'agissait de documenter la structure, les membres et les projets. Dans une grande étude financière, j'ai examiné comment ils utilisaient, par exemple, les nouvelles technologies en ligne, avec le livestreaming, pour gagner de l'argent bien réel afin de financer leurs actions de perturbation. Lorsque le 6 janvier est arrivé, j'étais au milieu de ce travail et j'étais en mesure d'expliquer comment cela avait pu se produire. Surtout de pouvoir expliquer qui étaient ces gens, dont presque personne n'avait entendu parler auparavant.

Dans quelle mesure Donald Trump a-t-il eu un impact sur ces violents groupuscules d'extrême droite?
Un exemple parmi tant d'autres: Lorsque Trump a envoyé son fameux tweet, juste avant le 6 janvier, de nombreux groupes d'extrême droite ont littéralement été mis sous tension. Souvenez-vous: «Grande manifestation à D.C. le 6 janvier. Soyez de la partie, ça va être sauvage». J'avais alors observé une chaîne de vidéo en direct des Proud Boys, dans laquelle ils discutaient de l'appel de Trump. Tout au long de la soirée, je les ai vus récolter des fonds en très peu de temps. Ces types semblaient très stimulés par la rhétorique de Trump. De quoi amplifier la planification et la collecte de fonds, qui conduiront au 6 janvier.

Il y a eu une deuxième phrase célèbre de Trump, qui s'adressait explicitement aux Proud Boys, qui disait: «Retenez-vous, mais tenez-vous prêts».
Oui, c'était en septembre, avant les élections, lors d'un débat télévisé. Un grand moment pour les Proud Boys. Car presque personne ne les connaissait à ce moment-là. J'ai alors reçu des dizaines de demandes de la part des médias. Tous voulaient savoir de qui Trump parlait et ce que cela signifiait. Le milliardaire avait alors reçu énormément de critiques pour cette déclaration. Qui sait, peut-être que ça l'a poussé à continuer.

On a parfois l'impression que Trump considère les membres des Proud Boys comme des gardes du corps paramilitaires officieux. Cela correspond-il à l'inquiétude souvent exprimée que Trump puisse transformer les Etats-Unis en dictature?
C'est le cas. Trump a définitivement une impulsion autoritaire. Il a remarqué qu'il y a un large vivier de personnes qui le vénère.

«Des fans qui sont tout à fait disposés à en venir aux mains, si cela devenait nécessaire. Pour Trump, c'est gigantesque»

Après tout, c'est une fidélité qu'il a toujours souhaitée de la part de l'armée. Durant son mandat, on a remarqué à quel point il aimait aussi rencontrer des groupes de motards. Cette impulsion autoritaire n'a pas diminué chez lui. Au contraire, sa rhétorique est devenue encore plus extrême et la campagne électorale ne fait que commencer.

Certaines voix mettent en garde contre la menace d'une guerre civile aux Etats-Unis. Qu'en pensez-vous?
Au sein des groupes extrémistes, beaucoup de choses ont changé depuis le 6 janvier. Notamment la structure. Certains leaders sont allés en prison, des milices se sont dissoutes, d'autres sont apparues. Sur le fond aussi, les Proud Boys se sont de moins en moins occupés du mensonge de Trump à propos de l'élection qui aurait été «volée». Mais surtout parce que le dossier manquait d'actualités.

«A chaque rendez-vous judiciaire, à chaque élection et à chaque décision qui peut être défavorable à Trump, une guerre civile peut éclater en un clin d'œil»

Ces derniers mois, les Proud Boys se sont davantage consacrés à la lutte culturelle dans les écoles, les bibliothèques, les manifestations anti-transgenres. Cela peut changer à tout moment.

Les Proud Boys sont-ils moins dangereux aujourd'hui?
Ils sont différents, mais pas moins dangereux. Beaucoup de choses se font maintenant de manière plus décentralisée. Si nous avions une vision claire de la structure de direction, c'est aujourd'hui moins transparent. Les relations avec les organisations alliées ont également changé et se sont déplacées. Ils collaborent plus étroitement avec des groupes encore plus extrêmes. Parmi eux, le mouvement raciste White-Lifes-Matter, qui fantasme sur un génocide des Blancs et aspire à un Etat ethno-blanc.

Les juges qui n'ont pas autorisé Trump à participer aux élections primaires dans l'Etat du Colorado reçoivent désormais des menaces de mort.
Ce type de menaces et de violences autoritaires provient de différentes directions, pas seulement des Proud Boys. J'observe de telles tentatives d'intimidation ciblées au moins depuis le «Gamergate» de 2014, au cours duquel une campagne de harcèlement d'extrême droite contre les femmes a été lancée dans les communautés liées aux jeux vidéo. Il s'agissait notamment de publier des données personnelles sur Internet, d'inciter à la violence et d'envoyer la police à la poursuite des victimes, en portant de fausses accusations. Aujourd'hui, ce danger concerne de plus en plus de personnes et la violence sort d'Internet pour atterrir dans la vie réelle.

Vous êtes considérée comme la chasseuse de Proud Boys. C'est facile à endosser?
Lorsqu'un magazine m'a qualifiée «d'arme secrète des antifas contre les extrémistes de droite», ma vie a brusquement changé. Ce n'était qu'une phrase, mais ça a eu l'effet d'une bombe. Depuis, ma liberté et ma famille sont en danger. Je comprends très bien la situation délicate dans laquelle se trouvent les juges, dans les différentes affaires contre Trump.

Comment vous protégez-vous?
J'ai un bon et solide réseau de soutien.

Qu'en est-il de la police?
Je vis à la campagne, en Caroline du Nord. Il faut du temps pour que quelqu'un arrive jusque chez moi. Si la police n'est pas hostile à mon égard, il lui a fallu beaucoup trop de temps pour comprendre comment fonctionne exactement le harcèlement en ligne.

Quel type d'événement pourrait déclencher un effet domino aux Etats-Unis, où la violence serait impossible à contenir?
Avant que la pandémie de Covid-19 ne se déclenche, nous avions déjà lu des informations sur cette maladie endémique en Chine. Nous n'y pensions pas trop. Ce qui s'est passé ensuite dépassait notre entendement. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il ne faut pas longtemps pour que des changements énormes, tout simplement inimaginables, se produisent. Cela vaut également pour cette année électorale. J'ai déjà mentionné quelques éléments qui pourraient devenir des déclencheurs. C'est le cas des décisions de justice à venir pour Trump et de leur calendrier.

«Il est tout à fait possible, comme nous l'avons vu avec le Covid-19, qu'il y ait un facteur X aux Etats-Unis. Quelque chose que personne n'a encore envisagé et qui aurait tout pour devenir alarmant»

Comment vous préparez-vous à cela avec votre recherche?
En mettant en place une infrastructure de données et un système d'observation, de manière à ce qu'ils soient suffisamment sensibles aux plus infimes changements. Je ne suis pas une bonne diseuse de bonne aventure. Mais je suis très douée pour mettre en place ce type de système. C'est ce qui s'est passé le 6 janvier 2021. Ce qui s'est passé à Washington, personne ne l'avait réellement envisagé. Juste après l'assaut, j'ai compris très vite comment ça a pu se produire et où ça avait commencé.

Quels sont les signaux auxquels vous faites attention?
Il s'agit de les hiérarchiser en permanence. S'il y a des anomalies, par exemple dans le comportement public de certaines personnes ou de certains groupes, nous décidons d'y regarder de plus près et de les observer pendant un certain temps. Quand ça devient ennuyeux, on déplace notre attention vers d'autres discussions problématiques, d'autres groupes extrêmes. Il y a définitivement un changement dans la rhétorique. Le plus grand changement de l'année dernière a été l'augmentation continue des déclarations contre le mouvement LGBTQ et le comportement qui en a résulté.

«La rhétorique en ligne a conduit à des éclats de violence dans le monde réel»

De manière générale, on remarque que les plateformes en ligne et notamment X (anciennement Twitter) ne se soucient guère de la modération des contenus ou du blocage des profils. Depuis l'attentat du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, nous constatons sur Internet beaucoup de discours antisémites, mais aussi beaucoup de discours haineux et antimusulmans. Une grande partie de ce discours s'est également répandue dans le monde réel et notamment aux Etats-Unis. Des attaques contre des mosquées et des synagogues. Il en sera probablement de même dans le cadre de l'élection présidentielle.

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