L'ancien président américain Abraham Lincoln a dit un jour à ses compatriotes: «Si la destruction est notre sort, nous devons en être nous-mêmes les auteurs et les exécuteurs». Aujourd'hui, de nombreux Américains craignent qu'une réélection de Trump ne mette sérieusement à mal les États-Unis en tant que démocratie, telle que nous la connaissons. La situation est-elle vraiment si grave?
James W. Davis: Malheureusement, oui. Dans la dernière administration Trump, il y avait des républicains qui étaient fidèles à la Constitution. Ils ont empêché de nombreux élans antidémocratiques de Trump. Donald Trump a eu quatre ans pour rassembler autour de lui des disciples qui soutiendraient et mettraient en œuvre ses projets, même les plus extrêmes. Si l'on ajoute à cela une majorité républicaine au Congrès, on obtient une Amérique méconnaissable.
Vous peignez un tableau sombre de la situation.
Oui, mais il y aurait probablement des courants opposés.
C'est-à-dire?
Les États-Unis, comme la Suisse, sont fortement fédéralistes. On pourrait s'attendre à ce que certains États gouvernés par des démocrates opposent une résistance considérable au pouvoir central.
Cela ressemble à un pas vers la guerre civile si souvent évoquée actuellement. N'est-ce pas un peu exagéré?
J'ai longtemps pensé que ces craintes étaient exagérées. Avec la guerre civile américaine du 19e siècle en tête, je me suis toujours demandé qui pourraient être les deux belligérants. Mais peut-être faudrait-il plutôt se demander quelles autres formes d'affrontement sont possibles.
Vous êtes Américain, mais vous vivez à Saint-Gall depuis bientôt 20 ans. Ressentez-vous l'ambiance survoltée dans votre pays d'origine jusqu'en Suisse orientale?
Je ressens l'atmosphère tendue à plus d'un titre. En tant que politologue, j'entretiens des contacts étroits avec l'Amérique et je dois m'y confronter professionnellement. Je constate que les différents camps politiques parlent avec un ton dur les uns des autres et de l'état du pays. Et sur le plan personnel, je constate qu'un fossé se creuse dans ma famille élargie. Parmi mes cousins et cousines, il y a aussi des partisans de Trump. Cela provoque des tensions lors des réunions de famille - mais aussi des discussions passionnantes.
Êtes-vous heureux de vivre à Saint-Gall en cette période de turbulences, ou préféreriez-vous justement être aux États-Unis, au cœur de cette élection historique?
Je suis tiraillé entre les deux. Certains jours, je me dis: tu dois retourner te battre. Ton pays a besoin de toi. Mais parfois, je suis aussi content de ne pas avoir à m'en occuper au quotidien. Ici, je peux aussi éteindre «CNN» pendant quelques jours et ne pas ouvrir les journaux américains.
En parlant de journaux, le New York Times écrit que Biden, en renonçant à se présenter, a augmenté les chances des démocrates de remporter les élections. Qu'en pensez-vous?
Au lendemain de la débâcle du duel télévisé entre Trump et Biden fin juin, j'ai appelé à la démission de Biden dans une chronique du Frankfurter Rundschau. Il a accompli beaucoup de choses en quatre ans de présidence, mais l'âge nous rattrape tous un jour. Je suis convaincu que le Parti démocrate peut rallier une majorité d'Américains à sa cause. Mais beaucoup d'entre eux ont été démotivés jusqu'à présent, en particulier les jeunes électeurs. Il est compréhensible qu'ils ne veuillent pas voter pour quelqu'un d'aussi âgé que leurs grands-parents - voire plus âgé.
Kamala Harris saura-t-elle saisir cette chance dans le peu de temps qu'il lui reste?
Harris peut gagner. J'ai toujours dit qu'elle était sous-estimée. En tant que procureure général de Californie, elle a eu énormément de succès et je l'ai déjà vue plusieurs fois en personne. Son énergie et son charisme sont impressionnants, même si cela passe parfois peu à la télévision. Elle a ce qu'il faut pour passer à l'offensive contre Trump. Mais elle devra se battre et convaincre les électeurs qu'elle a une vision pour l'avenir et qu'elle peut la concrétiser.
Et si Trump gagne quand même?
En premier lieu, Trump empoisonnerait encore plus la culture politique américaine au lieu de rassembler les forces vives du pays. Sa recette consiste à attiser le ressentiment réel et imaginaire de la société. Il vise une image datée et désuète de l'Amérique. Son Amérique à lui est avant tout blanche et n'inclut pas les personnes d'autres couleurs de peau et issues d'autres ethnies. Elle fait cavalier seul sur le plan économique et politique.
Qu'est-ce que cela signifie pour le reste du monde?
Avec Trump, les Etats-Unis investiraient moins dans les alliances et institutions internationales comme l'Otan. Ce ne serait pas seulement mauvais pour l'Amérique, mais aussi pour tous les pays qui partagent en principe les mêmes valeurs.
Revenons aux élections: selon un sondage, près d'un électeur sur cinq dans les «Swing States» croit à tort que c'est Biden qui est responsable de l'abolition du droit à l'avortement. Et non Trump. Dans quelle mesure de telles fausses informations sont-elles décisives?
Elles constituent un facteur décisif. En effet, aujourd'hui, ce ne sont plus seulement les partis et leurs alliés qui mènent des campagnes de désinformation, mais aussi des acteurs étrangers.
Vous pensez à un acteur en particulier?
Nous savons que les services secrets de pays comme la Russie et la Chine placent de manière très sophistiquée de fausses informations ciblées afin d'influencer les élections. Une grande partie de la population ne s'intéresse que superficiellement à la politique et ne consomme pas de médias fiables. Il est donc facile de les influencer par de tels contenus. De plus, dans cette société très divisée, nous avons en quelque sorte affaire à des tribus.
C'est-à-dire?
La situation est telle que l'on se sent soit membre de la tribu des rouges, soit de celle des bleus. Et ce que dit le chef de tribu est pris pour argent comptant, sans la moindre réflexion. Un tel climat politique facilite la manipulation des citoyens. Il peut mener à des situations absurdes: par exemple lorsque Trump accuse Biden d'être un danger pour la démocratie.
La polarisation augmente. Y a-t-il des parallèles?
Nous observons dans le monde entier des tendances similaires à un populisme animé par des personnalités charismatiques. Celui-ci doit probablement être compris comme une contre-réaction à la mondialisation, car celle-ci entraîne des tensions économiques et culturelles. De nombreuses personnes voient notamment dans l'immigration une menace pour leur propre culture, qu'elles connaissent et apprécient.
Quelle serait la solution, d'après vous?
Les problèmes engendrés par la mondialisation sont réels et les craintes légitimes. Mais la réponse n'est certainement pas de se retirer dans sa coquille et de se fermer à l'extérieur. Personne ne résoudra ces problèmes seul. Au lieu de cela, il faut des institutions communes plus fortes et une coopération internationale accrue.