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Analyse

Où sont passés ceux qui avaient peur de Donald Trump?

En juin 2016, le candidat Trump, favori des sondages, n'était pas épargné par ses détracteurs.
En juin 2016, le candidat Trump, favori des sondages, n'était pas épargné par ses détracteurs.image: getty, montage: watson
Analyse

Où sont passés ceux qui avaient peur de Trump? «Ils ont changé de cible»

Souvenez-vous, en 2016, les rues de tout le pays s'embrasaient pour barrer la route au bulldozer populiste. Aujourd'hui, le candidat républicain semble épargné. Un «constat frappant», à une époque où «les Américains ne sont plus choqués et sidérés» par Donald Trump.
08.06.2024, 08:1108.06.2024, 13:07
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Le 3 juin 2016, dans le sud de la Californie et dans l'après-midi, un œuf va atterrir sur le crâne peroxydé de Rachel Casey. Cette jeune culturiste, physiothérapeute et supportrice du candidat Donald Trump avouera quelques heures plus tard avoir, elle aussi, balancé deux ou trois coquilles contre ses agresseurs.

«Je me suis défendue comme n'importe quel Américain l'aurait fait»
Rachel Casey, une pro-Trump, en juin 2016, après s'être ramassé un oeuf sur la tronche.

L'anecdote sera reprise par tout le collège médiatique dépêché sur place. Ce jour-là, des milliers de manifestants s'étaient donné le mot pour pourrir le meeting du milliardaire républicain, dégainé dans la ville de San José. Et Rachel ne sera pas la seule cible dont il faudra éponger le front.

Un Trump en carton qui reçoit un oeuf en pleine poire.
Un Trump en carton qui reçoit un oeuf en pleine poire.images: getty

Quatre mois plus tard, le magnat new-yorkais sera élu président des Etats-Unis. Pourtant, durant les vingt-quatre mois précédant son accession, et avec une violence inédite dans l'histoire récente, le nouveau roi du monde s'était mangé une opposition dense, féroce, endurante.

Sur tout le territoire américain.

Des exemples? Le 9 juillet 2015, des heurts éclatent devant le Trump International Hotel, appelant à boycotter ses émissions de télévision. Le 12 juillet, le 14 octobre, le 7 novembre ou le 4 décembre 2015, des manifestants parviendront à interrompre le discours du candidat, le forçant parfois à se faire exfiltrer ou à propager des menaces et des insultes dont il est resté très friand:

«Pourquoi ces fous prennent-ils la peine d'attirer l'attention sur eux au beau milieu d'un groupe de 9 000 maniaques qui rêvent de les tuer?»
Le candidat républicain, aux manifestants anti-Trump, le 22 décembre 2015, dans le Michigan.

Les affrontements redoubleront de brutalité en 2016, alors que le républicain s'approche de la Maison-Blanche. A cette époque, on prenait aussi doucement conscience que l'ex-amuseur télévisuel se constituait une véritable milice, à ses ordres, chargée d'agresser physiquement les foules ennemies durant ses meetings. Promettant même de payer les éventuels frais juridiques en cas de sérieux dérapages.

On le sait, une course à la présidentielle est toujours un match de boxe sur le ring des métaphores. Les candidats «enfilent les gants», «s'affrontent», s'envoient des «uppercuts», «terrassent l'adversaire». Il y a huit ans, et sous l'impulsion volontaire du milliardaire, les Etats-Unis passeront de la métaphore à la pratique. Le sang coulera, des citoyens finiront à l'hôpital, des bagnoles et des drapeaux vont cramer, les émeutes seront quotidiennes.

WASHINGTON, DC - JANUARY 20: A limousine is set aflame with "We the People" spray painted on the side after the inauguration of Donald Trump as the 45th President of the United States Januar ...
Washington D.C., en janvier 2016.Getty Images North America

Entre juin 2015 et novembre 2016, l'électorat latino, les mouvements LGBT et proavortement, la communauté juive et une large frange de la jeunesse universitaire américaine s'étaient battus jusqu'au dernier souffle pour barrer la route à ce Donald Trump qui menaçait (déjà) la démocratie et les institutions. Qui déshumanisait (déjà) l'immigration et le corps des femmes. Une guerre qui sera finalement perdue par Hillary Clinton, dans les urnes, à la grande surprise de nombreux observateurs politiques.

Où sont les anti-Trump?

Aujourd'hui, après un premier mandat turbulent, une défaite violemment contestée en 2020, la promesse d'une politique encore plus radicale, des menaces de vengeance, Donald Trump est bien décidé à reprendre le pouvoir. Et en huit ans, plusieurs événements vont durablement aggraver la polarisation du pays: la pandémie de Covid-19, l'agression de l'Ukraine par Vladimir Poutine, le conflit israélo-palestinien ou encore les déboires judiciaires d'un candidat républicain qui, depuis sa récente condamnation au pénal, n'a plus rien à perdre.

On pourrait donc raisonnablement s'attendre à des manifestations dans tout le pays, des appels au boycott, des émeutes, des pétitions, des expéditions punitives contre le retour aux affaires du bulldozer populiste. Or, pour l'instant, il n'en est rien. C'est vrai, il arrive que des pancartes s'élèvent timidement devant les tribunaux que Trump fréquente assidûment depuis plusieurs mois. Que des moqueries inoffensives le visent sur les réseaux sociaux. Mais rien de significatif. Rien de comparable aux soulèvements de 2016.

Qu'est-ce qui a changé?

«En 2016, c’était un choc, un ahurissement. Ceux qui militaient contre Trump pouvaient s’attendre à l’apocalypse et ils ont sans doute réalisé, depuis, qu'ils ont survécu»
Nicole Bacharan, historienne et politologue spécialiste des Etats-Unis, à watson.

En lançant quelques coups de fil des deux côtés de l'Atlantique, on se rend compte qu'au-delà du constat, les explications ne sont pas toujours claires: «C'est une très bonne question et ... je n'ai pas de réponse. C'est souvent difficile d'expliquer ce qui ne se produit pas», nous souffle un expert des Etats-Unis. D'autres se risquent néanmoins à esquisser des pistes, comme Anne Deysine: «C'est vrai que le contraste est frappant. Alors que les démocrates sont toujours viscéralement opposés à Trump et sont inquiets quant au danger qu’il pose pour la démocratie», analyse cette juriste et américaniste française pour watson.

«La stratégie des électeurs démocrates a changé: aujourd'hui, seule une victoire dans les urnes compte»
Anne Deysine, américaniste et auteure de Les États-Unis et la démocratie (éd. L’harmattan)

Une théorie que partagent plusieurs grands médias américains, suggérant que les anti-Trump de 2016 ont «changé de tactique». Qu'ils seraient même «démoralisés», «fatigués» de combattre Trump dans la rue depuis une décennie. Et qu'ils se concentrent sur le taux de participation le 5 novembre prochain. Le fait que le candidat républicain soit désormais traité publiquement de «délinquant» par Joe Biden lui-même, ne semble pas changer la donne.

«On ne peut pas être partout et tout ne peut pas susciter la passion. L'aile gauche américaine est aujourd'hui occupée à faire payer Joe Biden pour son soutien à Israël, qui n'est pourtant pas sans condition. Et certains iront jusqu'à voter pour Trump»
Nicole Bacharan, historienne et politologue

C'est une réalité: la frange progressiste de l'électorat américain ne perturbe plus les apparitions du candidat républicain et a retourné sa colère contre le président démocrate: «Tous les gens qui protestaient contre Trump, beaucoup de ces personnes et une grande partie de cette énergie sont maintenant concentrés sur la protestation contre un génocide à Gaza», témoignait par exemple un immigrant argentin à l'agence AP.

NEW YORK, NEW YORK - MARCH 28: Pro-Palestinian demonstrators hold up a sign outside Radio City Music Hall during President Joe Biden's fundraiser on March 28, 2024 in New York City. Biden will be ...
La gauche en colère, devant le Radio City Music Hall de New York en mars dernier. A l'intérieur, Clinton et Obama soutenaient Biden dans sa levée de fonds pour sa campagne.Getty Images North America

De son côté, Anne Deysine avoue ne pas saisir pleinement ce paradoxe, avant de jeter une large tranche de responsabilité sur les épaules du clan Biden:

«C’est curieux que la jeunesse américaine ne se rende pas compte que Trump serait beaucoup plus pro-israélien que ne l'est le président. Ne pas être en mesure de démontrer ce contraste et de convaincre les jeunes est sans doute l'une des faiblesses des démocrates».

Une chose est certaine, le candidat démocrate ne pourra jamais contenter pleinement l'électorat américain propalestinien.

Dangereuse lassitude

La perspective d'un nouveau duel Biden-Trump d'un autre temps et qui n'excite pas grand monde, explique aussi le calme ambiant, à cinq mois de la présidentielle. Une «lassitude» qui pourrait s’avérer «dangereuse», nous avoue Nicole Bacharan.

«Les Américains se sont faits à Donald Trump. Alors que le parti républicain n'en voulait pas en 2016, il participe aujourd'hui à le banaliser. Mais cette lassitude n'est pas spécifique aux Etats-Unis»
Nicole Bacharan, spécialiste des Etats-Unis.

A quelques jours des élections européennes, la mainmise de l'extrême droite, notamment en France avec Jordan Bardella, ne donne pas lieu à des vagues de révolte dans les rues de Paris. A l'inverse, l'interview de Benjamin Netanyahou par Darius Rochebin la semaine dernière a noyé le siège de TF1 de la fureur des militants et des élus français propalestiniens. En d'autres termes, «la lecture des dangers du monde a radicalement changé depuis 2016».

Cette lassitude a d'ailleurs infecté le camp adverse. Les partisans MAGA ne se montrent pas forcément plus motivés que les progressistes, au moment de battre le pavé. Alors que le milliardaire appelait sa base à «protester pacifiquement» devant le tribunal de Manhattan, les casquettes rouges ont été rares durant le procès. Pire encore, plusieurs groupes Telegram populaires se sont retrouvés gorgés de doutes, poussant certains militants à questionner l'ordre de marche du patron:

- «Protester OK, mais ça veut dire quoi concrètement?»
- «Il faudrait qu'il soit plus clair dans ses demandes.»
- «C'est une mauvaise idée de protester maintenant.»

«A moins qu'on ne soit prêt à réellement mener une insurrection, en faisant prisonniers tous les oppresseurs (ou pire), ça ne sert à rien de protester devant le tribunal»
Un militant MAGA sur Telegram
NEW YORK, UNITED STATES - MAY 28: A group of protestors, who claimed to have come from Arizona to support former President Donald Trump, who is on trial in New York City, join Trump supporters and sho ...
Des pro-Trump devant le tribunal de New York, le 28 mai dernier.Image: Anadolu

Ali Alexander, pourtant l'un des principaux pro-Trump à l'origine de la théorie de «l'élection volée» en 2020, vient d'annoncer sa «retraite», relevait Time Magazine. Bien sûr, le deuxième effet KissCool de l'attaque du Capitole en aussi a refroidi plus d'un, puisque trois ans après les émeutes, plus d'un millier d'assaillants ont déjà été condamnés à des peines de prison très dissuasives.

A qui profitera ce vide?

Déjà, rien ne nous dit que ce bâillement d'une grande partie de l'électorat démocrate va durer jusqu'au 5 novembre. Sans oublier que l'agenda judiciaire de Donald Trump a encore les moyens d'en réveiller quelques-uns. Faut-il s'attendre à des manifestations ou à des émeutes dans les cinq prochains mois?

«Trump continue de menacer le pays de violences et de représailles, s’il n'est pas élu ou s'il se retrouvait en prison. Tout peut arriver. En revanche, pour l'heure, je n'ai pas le sentiment que les anti-Trump rassembleront leur colère dans les rues du pays une nouvelle fois. Même si la passion pour la présidentielle redouble toujours à l'automne.»
«Cette élection sera très serrée. Et notamment parce qu'aucun des deux candidats ne passionne les foules. Comme si le hasard était chargé de voter à la place du citoyen américain»
Nicole Bacharan, historienne et politologue, spécialiste des Etats-Unis.

Nos deux interlocutrices sont d'accord sur une chose: cet état de veille passive ne sera pas sans conséquence et certains militants pourraient se réveiller avec une méchante gueule de bois le 6 novembre prochain.

Donald Trump dédicace la poitrine d'une jeune femme
Video: watson
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