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Cet Ukrainien a arraché ses enfants aux griffes du Kremlin

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Ce père ukrainien a arraché ses enfants aux griffes du Kremlin

Enfants ukrainiens dans un établissement de la région de Rostov en Russie. Ils ont été enlevés en Russie dans un orphelinat de Donetsk.
Des enfants ukrainiens dans un établissement de la région de Rostov en Russie.Image: AP
Près de 20 000 enfants ont été enlevés par les Russes depuis le début de la guerre en Ukraine. Aucun d'entre eux n'a pu revenir à ce jour. Un père de famille victime témoigne.
17.04.2023, 18:4805.05.2023, 12:14
Ernst Trummer / ch media
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Yevhen Mezhevoi avait ouvert un petit café depuis deux jours seulement lorsque la guerre est arrivée à Marioupol. Cet Ukrainien de 39 ans élève seul ses trois enfants adolescents à la suite d'un divorce. Comme beaucoup d'autres, il s'attendait à ce que les combats ne durent pas trop longtemps. Comme ce fut le cas en 2014, lorsque les troupes de Poutine sont intervenues dans le conflit du Donbass aux côtés des séparatistes prorusses.

Yevhen Mezhevoi dans une interview vidéo avec CH-Media.
Yevhen Mezhevoi dans une interview vidéo avec CH Media.Image: CH-Media

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Il est vite devenu évident que cette fois-ci, les choses allaient se passer différemment. Le 7 avril 2022, des soldats russes se sont soudainement retrouvés dans l'abri antiaérien où Yevhen s'était réfugié avec ses enfants et d'autres civils. Ils devaient tous être évacués de la zone de combat immédiate.

Un véhicule de la protection civile les a emmenés à un point de contrôle. Lors des contrôles d'identité, Yevhen s'est fait remarquer avec sa carte d'identité militaire. Le père de famille se pensait tranquille, il avait déjà effectué son service militaire et n'était plus dans les rangs de l'armée ukrainienne. Mais les policiers militaires russes ont voulu le contrôler de plus près.

C'est le début d'un calvaire de sept semaines pour lui, au cours duquel il a été séparé de ses enfants et placé dans différents centres de détention. Il raconte qu'il a été maltraité, détenu dans des cellules désespérément surpeuplées et contraint de travailler dans l'ancienne colonie pénitentiaire tristement célèbre d'Olenivka, non loin de Donetsk.

Avez-vous eu des contacts avec vos enfants pendant tout ce temps?
Non.

Comment les enfants ont-ils vécu cette situation? Ont-ils compris ce qui est arrivé à leur père? Quelqu'un leur a-t-il expliqué leur situation?
Non, personne ne s'en est soucié. La personne que je connaissais et à qui j'avais demandé de s'occuper de mes enfants lorsque nous avons été séparés n'a pas non plus réussi à gérer la situation. Ils lui ont dit qu'on m'avait jeté en prison et que je ne serais pas libéré avant sept ans.

Les enfants ne savaient donc pas non plus où ils avaient été emmenés.
Ils ne savaient même pas si j'étais encore en vie ou non.

Cela a dû être une situation extrêmement stressante pour vos enfants.
C'est mon fils Matvej qui a pris le relais. Il avait douze ans à l'époque, il s'occupait de ses sœurs de six et huit ans.

Après la séparation avec leur père, les enfants ont d'abord été hébergés avec un groupe d'autres enfants et adultes dans un centre culturel proche, où ils étaient quasiment livrés à eux-mêmes. Mais rapidement, la situation est devenue intenable et leur séjour est devenu une véritable source d'inquiétude pour les responsables.

Matej et ses deux sœurs ont été transférés à l'hôpital le plus proche, à Novoasovsk, où ils ont été hébergés pendant environ deux semaines. C'est à partir de ce moment-là que les choses ont pris une tournure inattendue. Le 26 mai, les enfants ont été transférés de l'hôpital à Donetsk et le lendemain, à cinq heures du matin, ils ont été emmenés à Rostov. De là, ils ont pris un vol charter direct pour Moscou. Dans ce vol, il y avait 31 enfants et quelques adultes, l'avion n'était pas plein.

Ces quelques adultes, c'était des proches?
Non.

C'est à ce moment-là que la fille de Yevhen est intervenue brièvement dans notre discussion:

Il y avait un capitaine militaire, un autre capitaine, une hôtesse de l'air et une jeune fille handicapée.

Et est-ce qu'on vous a dit où on vous emmenait? Est-ce qu'on vous a expliqué ce qu'on allait faire de vous?
En route pour Donetsk, ils nous ont dit qu'ils nous emmenaient dans un camp, où il y avait déjà d'autres enfants avec les mêmes problèmes que nous. Et une fois dans l'avion, ils nous ont dit que nous allions à Moscou.

Et comment avez-vous réagi?
On n’a pas eu le choix.

Yevhen, quand vous repensez à ce moment, avez-vous l'impression que tout cela était prévu ou que les événements se sont produits par hasard?
A mon avis, c'était prévu. Ils savaient très bien que je sortirais de prison le 26 mai.

De qui parlez-vous quand vous dites «ils»?
Ceux qui ont emmené les enfants. Ils n'ont pas cherché à retrouver des parents ou des proches. Et ils savaient aussi que j'étais en prison à Olenivka.

Après sa sortie de prison le 26 mai au soir, Yevhen s'est rendu à pied à Donetsk. Le lendemain, il a reçu les documents qui lui avaient été retirés lors de son arrestation. Il a remarqué que les actes de naissance de ses enfants manquaient. On l'a menacé de le remettre immédiatement en prison s'il causait des problèmes.

Yevhen a fait profil bas et, après quelques allers-retours, il a obtenu un numéro de téléphone où il a pu prendre des nouvelles de ses enfants. Son appel a abouti directement au foyer où ils étaient désormais placés.

Où se trouvait ce foyer?
Dans la banlieue de Moscou. Il s'agissait d'un foyer pour enfants directement géré par le bureau du président de la Fédération de Russie.

Là-bas, les enfants de Yevhen ont même fait la connaissance de Maria Lvova-Belova, la «kidnappeuse d'enfant» de Poutine. Elle est venue à plusieurs reprises au foyer.

Maria Lvowa-Belova
Image: Mikhaïl Metzel / AP

Les enfants évitent de dire du mal de Maria. Car malgré tout, elle les a aidés. Matvej se souvient alors lui avoir dit qu'il avait besoin d'une carte SIM. «Pourquoi donc?», lui a-t-elle demandé. «Je veux appeler mon papa», avait-il rétorqué. Et Maria lui a effectivement fourni une carte SIM.

C'est à partir de là que Yevhen a eu des contacts réguliers avec les enfants. Le père de famille s'est efforcé de trouver du travail et un logement pour ses enfants, pensant qu'il les récupèrerait bientôt. Puis, un jour, son fils Matvej l'appelle à nouveau. Deux femmes sont venues au foyer des enfants, les informant que leur séjour se terminait, il fallait donc trouver un autre endroit. Mais à Donetsk, il y a de nouveau des tirs. Impossible donc d'y retourner. Il restait alors deux options: un autre foyer ou une famille d'accueil.

Je lui ai dit: «Matvej, ne va surtout pas dans une famille d'accueil. Je vous sortirai bien plus facilement d'un foyer que d'une famille d'accueil.»

Quand est-ce que c’était?
C'était aux alentours du 16 juin.

Donc environ trois semaines après que les enfants y aient été emmenés.
Oui, j'ai appelé les services sociaux et ils ont commencé à m'expliquer que c'était insensé, que mon fils avait certainement mal compris. Au foyer, ils avaient aussi dit à mon fils que ça ne marcherait pas, que je n'arriverais pas à les récupérer. Ils lui ont dit qu'il devait prendre une décision tout de suite. Ce à quoi Matvej a répondu: «Tant que je n'ai pas parlé à mon papa, je ne décide rien.»

Matvej a ensuite expliqué à son père qu'il devait se dépêcher, car il n'aurait probablement pas plus de cinq jours s'il voulait aller les chercher. Il s'agissait maintenant de trouver de l'argent au plus vite et d'organiser le voyage à Moscou.

Par des voies détournées, Yevhen a été mis en contact avec des bénévoles anonymes. Ils l'ont aidé à passer la frontière, à planifier son itinéraire et à se loger à Moscou la veille de ses retrouvailles avec ses enfants.

Il n'avait pas annoncé sa venue à la direction du foyer, seul son fils avait été mis au courant des plans. Ce n'est que peu de temps avant son arrivée qu'il a pris contact avec un fonctionnaire compétent à Moscou, par l'intermédiaire des bénévoles anonymes. Si ce fonctionnaire semblait correct, Yevhen, qui a eu de mauvaises expériences, est resté méfiant.

Les autorités de Donetsk, rapidement saisies par Moscou, n'ont pas émis d'objection à ce que le père de famille récupère ses enfants. Matjev, âgé de douze ans à l'époque, a également fait une déclaration écrite attestant qu'il souhaitait repartir avec son père. Ce n'est donc que le 19 juin que la famille a pu être réunie.

«Nous étions déjà en Lettonie quand Matvej a reçu un message d'un garçon avec qui il était dans ce foyer», explique le père de famille.

«Il lui a dit que tous les enfants avaient été placés dans différentes familles d'accueil juste après notre départ. Lui-même avait déjà été placé dans une nouvelle famille.»

Ils ont réussi à quitter le pays grâce à l'aide de bénévoles anonymes, mais un retour en Ukraine était impossible. Ils avaient le choix entre Marioupol, occupée par les Russes, et Riga, capitale de la Lettonie. Yevhen a choisi la Lettonie. Il s'y est vu attribuer un appartement, ses enfants vont à l'école et lui, qui est grutier de formation, suit actuellement des études de mécanicien. Ils peuvent désormais y rester au moins deux ans. Si la situation financière de la famille est tendue, Yevhen Mezhevoi et ses enfants sont reconnaissants, conscients d'avoir vécu pire.

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