Le prince héritier saoudien semblait agacé lorsqu'il a ouvert le sommet extraordinaire des états arabes et islamiques samedi après-midi à Riyad. Il y a deux mois encore, Mohammed bin Salam, alias MBS, avait parlé avec des émissaires américains d'une normalisation des relations avec Israël. Le moment semblait bien choisi. Car «le Proche-Orient n'a pas été aussi calme depuis 20 ans», annonçait le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, Jake Sullivan, le 29 septembre.
Dix jours plus tard, tout avait changé après les attaques terroristes du Hamas contre Israël, et MBS devait agir. En tant que gardien des lieux saints de La Mecque, de Médine et de Jérusalem, il n'avait pas d'autre choix que de défendre la cause des Palestiniens, que le Saoudien considère comme «hautement gênants». Il lui a néanmoins fallu près d'un mois pour réunir les représentants des états de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) lors d'un sommet urgent.
Compte tenu de l'agitation diplomatique qui a précédé la conférence, on savait dès le départ que les participants ne parviendraient qu'à un consensus minimal dans la déclaration finale.
La demande de Téhéran de classer l'armée israélienne parmi les «organisations terroristes» a été balayée par l'organisateur saoudien, tout comme la menace d'un embargo pétrolier. La rupture des relations diplomatiques avec Israël exigée par l'Irak et la Tunisie est également allée trop loin, ont estimé les Etats concernés.
Comme c'est presque toujours le cas lors des sommets arabes et islamiques, on en est ainsi resté à une résolution finale dont la mise en œuvre dans un avenir proche est totalement illusoire: cela vaut aussi bien pour les «enquêtes internationales sur les crimes contre l'humanité commis par Israël» que pour un «embargo international sur les armes à destination d'Israël», que les Etats-Unis et d'autres états occidentaux empêcheraient.
Même «l'arrêt des agressions israéliennes» dans la bande de Gaza, réclamé avec insistance durant les discussions, n'est pas possible sans une participation directe des Américains tant critiqués. «Nous n'avons pas de véritables moyens de pression, toute mesure que nous prenons est donc inefficace», a déclaré le chef d'état syrien Bachar al-Assad, illustrant le dilemme des participants à la conférence.
Ceux-ci ont eu l'occasion d'exprimer leur colère et leur consternation face à la «guerre génocidaire des Israéliens» dans des interventions personnelles. Des sentiments qui n'ont généralement pas été repris dans la déclaration finale. Une fois de plus, le sommet urgent de Riyad a donné «l'image d'un monde arabo-musulman divisé», a analysé le commentateur de la télévision américano-syrienne Hashem Ahelbarra.
L'Iran pourrait être le bénéficiaire de la désunion arabe patente. Pour la première fois depuis plus d'une décennie, un président iranien, Ebrahim Raïssi, s'est rendu en Arabie saoudite. Truffé de revendications irréalistes, son discours a relevé de la pénitence pour la majorité de l'auditoire. Pourtant, l'Iranien ne s'est pas opposé à la rédaction de la déclaration finale de Riyad. Il a sagement suivi la stratégie décidée par le guide de la révolution iranienne Ali Khamenei dans la guerre de Gaza.
Selon cette stratégie, l'Iran et ses alliés doivent «éviter tout incident secondaire qui pourrait détourner l'attention de ce qui se passe dans les territoires palestiniens». Concrètement, cela signifie aussi que la petite guerre à la frontière libano-israélienne ne va probablement pas dégénérer de sitôt.
Selon le calcul cynique de l'ayatollah, cela a conduit à ce qu'Israël perde sa crédibilité et à ce que la communauté internationale commence elle aussi à reconsidérer son attitude envers Israël. «Ce sont les terroristes du Hamas et leurs soutiens à Téhéran qui profitent de la polarisation actuelle au Proche-Orient», analyse le chercheur en terrorisme Peter R. Neumann, qui enseigne au King's College de Londres, à propos de l'escalade de la violence dans la région.
Rien ne polarise davantage que «le meurtre, l'homicide et un prétendu génocide». Et rien ne s'y prête mieux que le conflit entre juifs et musulmans en Terre sainte: «Ces derniers accompagnent les Palestiniens dans leurs souffrances et en profitent pour faire passer leurs propres messages extrêmes.»
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker