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Pour ce spécialiste, «l’espoir n’est pas une stratégie» en Iran

«Avec des pays comme la Russie, nous avons besoin de l'arme nucléaire»
Le monde connait une nouvelle course à l'armement. Ancien envoyé spécial de George W. Bush, Robert Joseph s'exprime sur le nucléaire et la géopolitique tendue actuelle.Image: Alexander Kazakov/AP / AFP / Imago, montage watson

Armes nucléaires: «il faut accepter que négocier ne suffit pas toujours»

Envoyé spécial de George W. Bush, Robert Joseph avait convaincu Mouammar Kadhafi d’abandonner son programme nucléaire. Dans un entretien, il explique comment l’Occident devrait aujourd’hui gérer le dossier iranien et raconte sa rencontre avec Poutine.
02.08.2025, 19:0102.08.2025, 19:01
Hansjörg Friedrich Müller / CH Media
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Il y a quelques semaines, les Etats-Unis ont frappé des installations nucléaires iraniennes. Donald Trump a parlé d’un grand succès. Qu’a réellement permis cette opération?
Robert Joseph: L’intervention m’a beaucoup impressionné. Elle a probablement repoussé de un à deux ans les ambitions nucléaires de l’Iran.

«Cette opération militaire était nécessaire, mais elle ne résout pas le problème»

Le régime iranien continue de poursuivre son programme et de soutenir des groupes terroristes comme le Hezbollah ou les Houthis. La vraie question est maintenant de savoir ce que nous allons faire du temps que nous venons de gagner.

«Si nous ne profitons pas de cette fenêtre pour aider le peuple iranien à se débarrasser du régime, nous aurons échoué»

A quel point l’Iran était-il proche de posséder l’arme atomique?
C’est la question à un million de dollars. Les services de renseignement et les centres de recherche ne sont pas tous d’accord. Selon moi, l’Iran est allé assez loin. Un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), publié en novembre 2011, a été largement ignoré. Il révélait pourtant que Téhéran avait bien travaillé sur des armes nucléaires.

«Si un pays comme la Corée du Nord y est parvenu, l’Iran peut tout autant le faire»

Le régime iranien pourrait considérer cette frappe comme une preuve que seule l’arme nucléaire le protège.
De façon ironique, c’est en effet l'une des conséquences possibles. Loin de reculer, les mollahs pourraient au contraire accélérer leurs efforts. Un soulèvement populaire deviendrait d’autant plus difficile à soutenir de l’extérieur si le régime disposait de l’arme nucléaire. C’est justement pour cette raison que l’intervention militaire, à ce moment précis, me semble justifiée.

A propos de l'expert
Robert Joseph, 76 ans, a été l’envoyé spécial du président américain George W. Bush pour la non-prolifération nucléaire. Membre du Conseil national de sécurité des Etats-Unis, il a joué en 2003 un rôle clé en tant que négociateur principal dans l’abandon par la Libye de ses armes de destruction massive.
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Image: AFP

Qu’espérez-vous pour l’Iran?
L’espoir n’est pas une stratégie. Cela dit, je reste optimiste. Je pense que les Iraniens qui veulent en finir avec cette dictature religieuse finiront par l’emporter. Il faut sortir de cette fausse alternative entre guerre et négociations. C’est ce qu’Obama a essayé de vendre avec sa politique iranienne.

«Mais il existe une troisième voie: le changement de régime»

Certains craignent que la chute du régime ne provoque le chaos.
Je ne le crois pas. L’Iran n’est ni l’Irak ni la Libye. Il ne s’agit pas de reconstruire un pays. L’Iran a 5000 ans d’histoire. Il ne deviendra pas un Etat qui a failli.

«Regardez les Iraniens, il y a une population éduquée et une opposition organisée, capable d’ouvrir la voie vers un état laïque, démocratique et sans nucléaire.»

Le cercle des puissances nucléaires ne cesse de s’élargir depuis 1945. D’autres pays pourraient-ils s’ajouter à la liste?
C’est possible. Si l’Iran obtient la bombe, les Saoudiens voudront l’avoir aussi. En Egypte ou en Turquie, certains discours vont dans ce sens.

«Un Iran nucléaire déclencherait très probablement une course à l’armement dans la région. Il faut absolument éviter cela»
«Si nous ne soutenons pas maintenant le peuple iranien pour se débarrasser du régime, nous aurons échoué»: une femme à Téhéran devant une affiche de propagande du gouvernement.
Une femme à Téhéran devant une affiche de propagande du gouvernement.Image: Abedin Taherkenareh / EPA

En 2003, vous avez contribué à convaincre la Libye d’abandonner ses ambitions nucléaires. Qu'avez-vous retenu de cette expérience?
Ces négociations secrètes ont abouti en partie parce que les Etats-Unis venaient d’envahir l’Irak. Si on regarde le calendrier, on voit que Kadhafi avait pris ses décisions par peur de subir le même sort. Pour empêcher la prolifération:

«Nous devons être pris au sérieux. Et accepter que négocier ne suffit pas toujours»
«Cela fait vingt ans que l’Occident négocie avec l’Iran, sans résultat. Il faut pouvoir utiliser toute la palette à notre disposition, la diplomatie, les sanctions économiques et politiques, le renseignement, mais aussi la force militaire.»

Souhaiteriez-vous un monde sans armes nucléaires?
Non, je pense que c’est justement leur existence qui a empêché une Troisième Guerre mondiale. Dans un monde idéal où l’agneau pourrait dormir aux côtés du loup, ce serait souhaitable.

«Mais avec des pays comme la Russie et la Chine, nous en avons besoin»

Est-il possible d’empêcher leur usage? Ce ne serait pas la première fois.
Nous devons tout faire pour l’éviter. Cela implique parfois d’agir avec fermeté. Dans les années 1930, en Europe, l’apaisement était populaire. On connaît la suite. Après les accords de Munich en 1938, Hitler aurait convoqué ses généraux, inquiets au sujet d’une invasion de la Pologne. Il leur aurait dit: «Je les ai vus. Ce ne sont que de petits vers.»

Où le risque de guerre nucléaire est-il le plus grand aujourd’hui? En Asie du Sud, entre l'Inde et le Pakistan?
Oui, c’est la région la plus dangereuse. Si l’Inde devait intervenir au Pakistan, Islamabad pourrait réagir violemment. Les deux pays ont d’importants arsenaux nucléaires.

Vous avez aussi étudié la menace du terrorisme nucléaire. Est-il réaliste de penser qu’une arme puisse tomber entre de mauvaises mains?
Oui, c’est une possibilité bien réelle. La Corée du Nord produit des armes à un rythme effréné.

«Je ne pense pas que ce régime hésiterait à vendre des armes nucléaires à d’autres Etats voyous ou à des groupes terroristes»

Le fait que l’Ukraine ait renoncé à ses armes nucléaires après la chute de l’URSS a-t-elle été une erreur?
Excellente question. Beaucoup d’Ukrainiens répondraient sûrement oui.

Et vous, que dites-vous?
J’ai participé aux discussions concernant le désarmement nucléaire depuis les années 1980.

«Je n’ai jamais fait confiance aux Russes»

Le mémorandum de Budapest de 1994, dans lequel l’Ukraine acceptait de se dénucléariser en échange de garanties de sécurité de la part des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Russie, ne prévoyait aucun mécanisme de mise en œuvre ni de contrôle.

«Lors d'une réunion de deux heures, il a parlé pendant une heure et 55 minutes»: Vladimir Poutine jeudi à Severodvinsk, dans le nord arctique de la Russie.
Vladimir Poutine jeudi à Severodvinsk, dans le nord arctique de la Russie.Image: Alexander Kazakov / AP

Vous avez rencontré Vladimir Poutine à plusieurs reprises. Quelle impression vous a-t-il laissée?
En octobre 2001, peu après le 11 septembre, je me suis rendu à Moscou avec Donald Rumsfeld pour discuter de l’Afghanistan. J’y représentais la Maison-Blanche.

«Lors d’un entretien de deux heures avec Poutine, il a parlé pendant une heure cinquante-cinq»

Il a évoqué les erreurs de l’URSS en Afghanistan. Il semblait encore envisager une coopération avec l’Occident. Après la réunion, Condoleezza Rice m’a appelé pour me demander mon avis. Je lui ai répondu: «Il pense en termes de puissance, pas d’idéologie.» C’est toujours le cas, sauf qu’aujourd’hui:

«Poutine voit la politique internationale comme un jeu à somme nulle. Si l’un gagne, l’autre perd»

Comment cette guerre en Ukraine pourrait-elle se terminer? Avec un gel du conflit?
Cela conduirait simplement à un conflit en pause. Et Poutine sait tirer parti d'une telle situation. On le voit dans le Caucase.

«Malheureusement, je crains que ce ne soit pas le scénario le plus probable»

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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source: epa / sedat suna
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Video: extern / rest
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