Les alliés occidentaux de l’Ukraine resserrent toujours davantage l’étau autour de l’économie russe. Après les menaces de sanctions secondaires brandies par le président américain Donald Trump, l’Union européenne a également adopté un nouveau paquet de sanctions courant juillet. Quelles sont les conséquences pour l'économie de Poutine, déjà en difficulté, selon plusieurs chefs d'entreprises et experts russes?
Ce 18ᵉ paquet vise notamment les exportations russes de pétrole et de gaz. Déjà en place, le plafonnement des prix du pétrole sera désormais ajusté «de façon dynamique» pour être maintenu à un niveau inférieur au prix mondial de 15%. Depuis décembre 2022, ce plafond était fixé à 60 dollars le baril, et doit dans un premier temps être ramené à 47,60 dollars. Par ailleurs, 105 navires supplémentaires de la flotte fantôme russe seront sanctionnés, et la réactivation des gazoducs Nord Stream, actuellement hors service, sera interdite.
Après plusieurs années fastes, ces derniers temps les signes d’un net ralentissement de l'économie russe se sont multipliés. De plus en plus de responsables politiques, chefs d’entreprise et experts financiers alertent concernant de graves difficultés. Et ces nouvelles sanctions occidentales pourraient encore affaiblir l’économie russe. L'impact direct de ces sanctions sur la conduite de la guerre en Ukraine par Poutine reste toutefois difficile à définir.
👉 L'actualité en direct sur la guerre en Ukraine, c'est ici!
Jusqu’à présent, le président russe Vladimir Poutine a balayé toutes les inquiétudes concernant l’évolution économique de son pays, insistant constamment sur la force et la résilience de l’économie russe face aux sanctions.
Son porte-parole, Dmitri Peskov, a tenu un discours similaire vendredi dernier à propos des mesures punitives européennes, dans lequel il affirmait que la Russie avait «développé une certaine immunité face aux sanctions». Moscou souhaite toutefois analyser en détail le nouveau train de mesures européen.
Certains grands patrons ne partagent visiblement pas cet optimisme. Fin juin, Herman Gref, président du directoire de Sberbank, le plus grand établissement financier semi-public du pays, a mis en garde contre les conséquences de l’inflation élevée et du taux directeur de 20%. Des problèmes, selon lui, difficiles à résoudre rapidement.
Conséquence notamment des sanctions, le taux d’inflation dépasse actuellement les 10%. En outre, le nombre de «prêts non performants» est en hausse, selon Gref, car de plus en plus de particuliers et d’entreprises demandent des rééchelonnements de crédit.
L’agence Bloomberg rapporte même que trois des principales banques russes envisageraient de solliciter un soutien de l’Etat en raison de l’augmentation de ces prêts problématiques. D’après ce rapport, la deuxième banque du pays, VTB, en ferait partie. Selon le journal russe Vedomosti, le taux de prêts en souffrance atteignait déjà 5% en mai, soit une hausse de 1,2 point depuis le début de l’année.
Vice-président de VTB, Dmitri Pianov prévoit un taux de prêts non remboursés de 6 à 7% pour l’année prochaine. Lors de la crise économique qui avait eu lieu entre 2014 et 2016, ce taux oscillait entre 8 et 10%. En 2017, l’Etat russe avait injecté environ un billion de roubles (environ 11 milliards d’euros aujourd’hui) pour sauver trois banques privées.
Le ministre russe de l’Economie, Maxime Rechetnikov, a également tenu des propos explicites en juin dernier. Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, il a averti que la Russie risquait d’entrer en récession. La présidente de la banque centrale, Elvira Nabioullina, a reconnu que l’économie russe avait continué de croître pendant deux ans malgré les sanctions, grâce aux programmes de substitution aux importations et à l’utilisation du Fonds national de bien-être et des réserves du système bancaire.
Mais selon elle, cette ressource est désormais «véritablement épuisée», et a plaidé pour un «nouveau modèle de croissance» économique.
Le taux de chômage en Russie reste très bas, autour de 2%, ce qui équivaut pratiquement au plein emploi. L’industrie de l’armement, notamment, a embauché massivement ces dernières années, au point de devoir recruter dans d’autres secteurs, qui souffrent maintenant d'une pénurie de main-d'œuvre.
Fin 2023, l’École supérieure d’économie de Moscou estimait à 2,6 millions le nombre de travailleurs manquants. Le marché du travail est particulièrement touché par l’absence des hommes, car nombreux sont ceux qui combattent au front ou ont quitté le pays.
Résultat, faute de main-d’œuvre disponible pour augmenter la fabrication de biens, les capacités de production russes sont limitées, et cela freine la croissance. En 2023, celle-ci atteignait encore 4,3%. Cette année, elle devrait se situer entre 1 et 2%. Selon les prévisions du Fonds monétaire international, en 2026, elle pourrait même passer sous la barre des 1%.
Des signes montrent également que certaines branches du secteur de l’armement russe commencent à chanceler. En cause, des prix de vente fixés par l’Etat souvent inférieurs aux coûts de production. L’entreprise Optron-Stavropol, qui produisait des diodes semi-conductrices utilisées notamment dans les avions militaires, a ainsi fait faillite. Son dirigeant a critiqué le fait que l’Etat payait bien en deçà des coûts de production.
Or, le gouvernement russe ne peut, ni ne veut, payer davantage. La production doit toutefois se poursuivre, car la guerre en Ukraine nécessite d’immenses quantités de matériel, et en nécessitera encore longtemps.
Même le système de recrutement militaire du Kremlin commence à être affecté. Selon Die Zeit, plusieurs régions ont réduit les primes versées aux recrues. Ces paiements servent à inciter les citoyens russes à s’engager volontairement dans le conflit, et, dans la plupart des régions, elles dépassaient les 10 000 euros.
Malgré les réductions, ces sommes resteraient sans doute suffisamment attractives pour pousser nombre de citoyens à rejoindre le front.
Récemment, les recettes fiscales de l’Etat russe ont fortement chuté, tandis que les dépenses ont augmenté. Entre janvier et mai derniers, le déficit budgétaire s’élevait, selon le ministère des Finances à Moscou, à 37 milliards d’euros (soit environ 3400 milliards de roubles).
Cette situation s’explique à la fois par les sanctions occidentales et par le contexte géopolitique. Environ un tiers des revenus de l’Etat provient des exportations de pétrole et de gaz. Le prix du pétrole a connu une tendance baissière ces dernières années, et depuis l’invasion de l’Ukraine, la Russie a perdu presque tous ses clients européens.
En mai, le ministère des Finances a annoncé que les recettes issues du pétrole et du gaz avaient chuté de 35% par rapport à mai 2023. La hausse temporaire des prix du pétrole lors du conflit de douze jours entre Israël et l’Iran, en juin, n’aura donc constitué qu’un répit de courte durée pour la Russie.
C'est dans ce contexte que le président américain a ajouté une pression supplémentaire mi-juillet. Donald Trump a donné à Vladimir Poutine un délai de 50 jours pour conclure un cessez-le-feu ou un accord de paix avec l’Ukraine. Faute de quoi, il menace de frapper de droits de douane de 100% les pays qui commercent avec la Russie.
Cela viserait en premier lieu la Chine et l’Inde, qui profitent de prix avantageux sur le pétrole russe. Telle est la théorie. Mais la Turquie, pourtant membre de l’Otan, continue elle aussi d’importer du pétrole russe.
Reste à savoir si Trump appliquera vraiment son ultimatum, tant plusieurs de ses précédentes menaces sont restées sans suite. Une telle mesure ferait grimper les prix du pétrole sur les marchés mondiaux, ce qui se répercuterait sur les pompes aux Etats-Unis. Un scénario qui pourrait nuire gravement à sa popularité. On ignore également si d’autres pays producteurs de pétrole augmenteraient leur production pour compenser la hausse.
Pour de nombreux experts, les sanctions secondaires envisagées par les Etats-Unis sont non seulement irréalistes, mais également peu efficaces. En décembre dernier, l’économiste et spécialiste de la Russie Janis Kluge expliquait que faire pression sur certaines entreprises chinoises serait bien plus fructueux. De telles mesures ont déjà montré leur efficacité auprès de firmes collaborant avec l’industrie militaire russe.
Benjamin Hilfenstock, de la Kyiv School of Economics, partageait cette analyse dans un entretien avec Der Spiegel. Selon lui, les Etats-Unis ont déjà obtenu des résultats positifs en sanctionnant certaines banques chinoises. Ils pourraient appliquer la même stratégie à des entreprises chinoises qui achètent du pétrole russe.
Traduit de l'allemand par Joel Espi