Est-ce l’atout que Gérald Darmanin avait dans sa manche, lorsque, mardi dernier, sur fond de guerre au Proche-Orient, il a accusé Karim Benzema d’être «en lien notoire avec les Frères musulmans»? Dans un tweet publié vendredi 20 octobre, Mohamed Louizi, un ancien Frère musulman de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, devenue Musulmans de France), dévoile une vidéo où le nom de Karim Benzema est cité.
🔴Je ne sais pas si #Karim_Benzema a prêté allégeance aux Frères musulmans. Ce qui est certain, c'est que les Frères musulmans misent très fortement sur le pouvoir d'influence de "Karim Ibn Hâfidh Abou Ibrahim Benzema". Cette vidéo du frère musulman @NabilEnnasri en est témoin : pic.twitter.com/iNTr7rvqZB
— LOUIZI Mohamed (Unique compte officiel) (@MohamedLOUIZI) October 20, 2023
Cette vidéo a été tournée en juin dernier dans le désert saoudien par Nabil Ennasri, spécialiste du Qatar, politologue proche des Frères musulmans, une organisation sunnite islamiste fondée en 1928 en Egypte. Ennasri, de retour en France, a été mis en examen le 5 octobre par le Parquet national financier pour abus de confiance, corruption privée, blanchiment, blanchiment de fraude fiscale aggravée, corruption d’agent public et trafic d’influence. Il a été placé en détention provisoire.
Au printemps dernier, Nabil Ennasri avait attiré l’attention en parcourant à vélo la distance de 5000 km séparant Paris de La Mecque, où il allait faire son pèlerinage. Chaque jour ou presque, il postait une vidéo relatant son périple.
Alors qu’il est sur la route de Djeddah, la grande ville saoudienne au bord de la mer Rouge, il met pied à terre pour tourner une vidéo dans laquelle il s’adresse en termes élogieux à Karim Benzema. Vêtu pour l’occasion du maillot jaune et noir d’Al-Ittihad, le club saoudien que le Ballon d’or 2022 a rejoint en juin 2023, il demande à la star française si elle peut «lui faire le plaisir de [l’]accueillir ne serait-ce que deux minutes».
Nabil Ennasri flatte Karim Benzema. Il lui donne du «Karim Ibn Hafidh Abou Ibrahim Benzema», «une formule honorifique pour le faire entrer dans l’élite de l’islam», commente la chercheuse française Florence Bergeaud-Blackler, auteure de Le Frérisme et ses réseaux, l'enquête (éditions Odile Jacob). Au passage, il lui explique la raison de sa présence en Arabie Saoudite, ajoutant:
Quels mêmes centres d'intérêt? Nabil Ennasri ne le précise pas.
Derrière l’hommage appuyé, on entend un propos consistant à attirer dans son giron le joueur, qui, par ailleurs, manque rarement une occasion de partager sa foi musulmane sur les réseaux sociaux. «On peut voir là une tentative de faire de Karim Benzema un ambassadeur de l’islam, en essayant d’avoir sur lui une influence», observe Florence Bergeaud-Blackler. Une influence sur l'influenceur musulman aux 20 millions d'abonnés sur X (ex-Twitter), 75 millions sur Instagram, 176 000 sur TikTok.
Passée la flatterie, Nabil Ennasri, dont le voyage à vélo vers La Mecque vise à démontrer que l’islam a le souci de l’écologie, semble faire un brin la morale au champion, connu pour son goût des belles voitures de sport pétaradantes. L’argument du climat, nonobstant l'engagement visiblement sincère de Nabil Ennasri pour la santé de la planète, montre l'intérêt que porte l'islam frériste pour les causes sociétales perçues comme progressistes.
On est loin, ici, du Nabil Ennasri de 2013, militant aux côtés de l’extrême droite catholique contre le mariage pour tous. Mais l’hebdomadaire Le Point rappelle son adhésion «sans réserve aux théories du complot», au lendemain des assassinats perpétrés par Mohamed Merah contre des juifs et des militaires en 2012 à Toulouse et Montauban, ainsi que sa critique du gouvernement, qu’il avait accusé d’adopter une «posture électoraliste» en proclamant l’état d’urgence, suite aux attentats du 13 novembre 2015.
Les enquêteurs du Pôle national financier soupçonnent Nabil Ennasri, 41 ans, diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence pour une thèse sur Yusuf al-Qaradawi (le prédicateur vedette des Frères musulmans réfugié au Qatar, aujourd’hui décédé), d’être le «tireur de ficelles» d’une entreprise de corruption politico-médiatique. Le nom du journaliste Rachid M'Barki, mis à pied par BFMTV, est cité dans l’enquête. Nabil Ennasri pourrait avoir perçu une rémunération mensuelle de 30 000 euros d’une ambassade, rapporte Le Parisien. Qui sont les donneurs d’ordre? Le mis en examen refuserait de donner des noms.
Dans sa série de tweets publiés vendredi, Mohamed Louizi, auteur du livre-témoignage Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (Michalon), s’attache à démontrer comment Nabil Ennasri instrumentalise, à des fins «victimaires», les polémiques entourant la carrière de Karim Benzema, l’enfant de Bron, dans le Rhône.
Jeudi, Gérald Darmanin a déclaré qu’il retirerait ses accusations contre Karim Benzema si ce dernier voulait bien écrire un tweet d’hommage à Dominique Bernard, le professeur de français tué le 13 octobre à Arras, par un djihadiste russe d’origine ingouche. Le ministre de l’Intérieur reprochait à la star française son tweet citant les morts de Gaza et pas ceux victimes de la tuerie du Hamas.
Au regard de ce qui précède, Karim Benzema apparaît davantage comme une possible proie de luxe de l’islam frériste, que comme l’instigateur d’une ferme union idéologique.