Depuis samedi matin, ils sont des dizaines à risquer leur vie sous les tirs de roquettes du Hamas, pour informer au plus près de la réalité. En provenance du monde entier, les reporters de guerre postés en Israël ont été, comme beaucoup, pris au dépourvu lorsque les premiers tirs se sont mis à déchirer le ciel, samedi 7 octobre, à l'aube.
Clarissa Ward fait partie du lot. Correspondante en chef pour la chaîne américaine CNN, cette journaliste anglo-américaine de 43 ans est avant tout une baroudeuse médiatique. Depuis deux bonnes décennies, elle raconte le monde depuis l'infiniment proche, de la Syrie, à la Russie, jusqu'au tsunami du Japon en 2011. (Nous y reviendrons.)
Lundi, dans une séquence diffusée en direct et (logiquement) sur CNN, Clarissa Ward et son équipe apparaissent pétris d'effroi. Les roquettes fusent sur leur tête, le son grésille, la caméra et les voix tremblent. La journaliste décide soudain de se mettre à couvert, utilisant le fossé qui longe une route comme bouclier de fortune.
Le caméraman suit le mouvement, mais n'éteint pas pour autant sa bécane. S'en suivra, pour Clarissa Ward, près de deux minutes d'intervention face caméra, littéralement couchée sur le sol, tentant d'expliquer au mieux le contexte.
Dans une ambiance autrement plus tendue et réaliste qu'une série Netflix, on comprend immédiatement que le danger est réel et que la mort menace à chaque détonation. Une prise de risque qui a été largement saluée sur les réseaux sociaux, qualifiant Clarissa Ward de «journaliste badass», de «femme courageuse» et qu'il en «faudrait davantage comme elle».
Comme on est sur internet, l'exploit a aussi drainé son lot de critiques, entre «sensationnalisme» et «mise en scène». «Très bonne actrice!», qu'on peut même lire sur le réseau X. Ce détracteur un poil cynique ne croyait pas si bien dire. Avant de dormir avec son casque et son gilet par balles dans les régions les plus dangereuses du monde, Clarissa Ward rêvait d'une grande carrière à Hollywood.
Mais ça, c'était avant que deux avions de ligne détournés par des terroristes ne fracassent les tours du World Trade Center. Ce 11 septembre 2001, elle raconte avoir senti la terreur, puis ressenti de la honte. La honte «de ne pas avoir prêté suffisamment d'attention à ce qui se passait dans le monde, d'avoir été si égocentrique». A 23 ans, elle décide alors de toquer à la porte de Fox News, qui lui offrira son premier job dans le métier: assistante de bureau, de nuit. Telle une comète, elle sera brillamment parachutée rédactrice en chef du bureau de New York, l'année suivante.
Que ce soit pour Fox News, CBS, puis CNN dès le 21 septembre 2015, Clarissa Ward ne pourra s'empêcher de se ruer là où ça pète. Là où le monde joue son avenir. En vingt ans, les grands écarts seront impressionnants et le tableau de chasse donne le tournis. Syrie? Elle y était. Au point d'avoir été conviée par le Conseil de sécurité des Nations unies à livrer son témoignage, quand il ne restait plus qu'elle, ou presque, à Alep.
Irak, Afghanistan, Libye, procès de Saddam Hussein, les tsunamis en Indonésie en 2004 et au Japon en 2011, elle y était aussi. Le procès de Saddam Hussein? La mort de Jean-Paul II? Aux premières loges. La vaste enquête sur l'empoisonnement de l'opposant russe Alexei Navalny, en 2020? Elle en faisait évidemment partie. Quand les premiers tanks du Kremlin ont agressé l'Ukraine en février 2022, Clarissa Ward a été envoyée à Kharkiv, puis à Kiev.
Is there an enemy of America for whom @CNN WON’T cheerlead?
— Ted Cruz (@tedcruz) August 16, 2021
(In mandatory burkas, no less.) https://t.co/9O6pe8yROM
Une omniprésence qui a notamment eu le don d'agacer la droite conservatrice américaine. En 2021, au moyen d'une séquence tronquée, le sénateur texan Ted Cruz l'avait accusée de «faire l'éloge des ennemis de l'Amérique», alors qu'elle interviewait des talibans dans les rues de Kaboul, flanquée d'un hijab.
L'ultraconservateur avait reproché à CNN, au passage, d'en faire une «pom-pom girl», alors qu'elle devrait se contenter de «partir en vacances à Cancún». Pas de quoi effriter la soif de terrain de cette jeune quadra littéralement couverte de récompenses, dont sept Emmy Awards.
Enfin, quand on se frotte quotidiennement au danger, les situations gênantes et les dommages collatéraux ubuesques ne manquent pas. Un exemple? Comme le rappelait Le Temps en 2021, citant sa biographie On all Fronts, elle remballa avec panache l'un des fils Kadhafi à l'arrière d'une Mercedes, à Moscou:
L'éternel regret de cette reporter de guerre, qui a eu quand même le temps de donner naissance à trois enfants entre les conflits du monde? Ne pas pouvoir aider les gens en détresse qu'elle croise constamment sur son chemin: «La réalité est que nous ne sommes pas là pour résoudre le problème, nous sommes là pour le montrer, l'éclairer».
.@RichardEngel comes under mortar fire from Gaza while reporting near the border in Sderot, Israel. The team had about 20 seconds notice before impact as air raid sirens went off followed immediately by incoming rounds as they reported live on @MSNBC pic.twitter.com/Ey3GYJVcFO
— On Assignment with Richard Engel (@OARichardEngel) October 9, 2023