Le vent a-t-il commencé à tourner contre Israël? Depuis une dizaine de jours, les prises de position condamnant les massacres commis par l'Etat hébreu dans la bande de Gaza se multiplient. La nouveauté, c'est que ces critiques sont de plus en plus virulentes et, parfois, émanent d'Etats qui avaient jusqu'à présent soutenu Israël de manière plus ou moins inconditionnelle.
Ainsi, le 19 mai dernier, les leaders de France, Canada et Royaume-Uni ont publié une déclaration commune dénonçant le niveau «intolérable» de «souffrance humaine à Gaza». Londres a, par ailleurs, suspendu les négociations sur un accord commercial avec le gouvernement israélien en raison de sa nouvelle offensive, tandis que le premier ministre espagnol a qualifié le pays d'«Etat génocidaire». De plus, la Commission européenne a récement annoncé qu'elle allait «réviser» le traité d'association signé avec Israël en 1995.
Le monde de la culture n'est pas en reste. Pas plus tard que ce mardi, 300 écrivains francophones ont signé une tribune publiée dans Libération, exigeant des sanctions contre Israël, un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages. De même, de nombreuses personnalités du cinéma ont condamné le «silence» sur le «génocide» à Gaza dans une lettre publiée en marge du Festival de Cannes.
Ce changement de registre apparaît aussi massif que soudain, surtout au vu du fait que les massacres se poursuivent à Gaza depuis une année et demie. Le seuil des 30 000 morts a, par exemple, été dépassé en février 2024 déjà. Pourquoi cette mobilisation n'intervienne-t-elle que maintenant?
Frédéric Esposito, politologue et directeur du Bachelor en relations internationales de l'Université de Genève, y voit un lien avec la détérioration des conditions humanitaires à Gaza. «Nous ne sommes plus dans une logique de légitime défense, comme cela a pu être le cas après les attentats du 7 et 8 octobre 2023», déclare-t-il.
Le politologue souligne par ailleurs que la lenteur et la timidité des réactions occidentales ne sont pas une nouveauté. «Le diagnostic sur les violations répétées du droit international par Israël n’est pas nouveau», note-t-il. «Depuis 1967, l’assemblée générale de l’ONU a voté pas moins de onze résolutions condamnant l’occupation de la Cisjordanie et les atteintes aux civils. C'est une situation qui perdure depuis plus de 50 ans, mais la communauté internationale a toujours tardé à réagir»
Qu'est-ce qui a changé maintenant? «L'accumulation des images et des tragédies a peut-être dépassé le niveau de tolérance des nombreux Etats», avance Frédéric Esposito. «C'est malheureux qu'on ait dû en arriver là pour avoir une réaction».
«De plus, il y a un travail très bien documenté qui permet d’attester des violations du droit international et des conventions de Genève de la part d'Israël à Gaza», complète-t-il. L'initiative de l’historien Lee Mordechai, de l’Université hébraïque de Jérusalem, en est un exemple.
Le siège total qu'Israël a imposé à Gaza a également pu jouer un rôle. Depuis le 2 mars, le gouvernement israélien a suspendu l’entrée de tout approvisionnement dans l'encave palestinienne. Une décision qui a sévèrement détérioré la situation humanitaire et exposé l'ensemble des Gazaouis à un risque critique de famine.
Benjamin Netanyahou est, par ailleurs, revenu partiellement en arrière, décidant d'assouplir légèrement le blocus. Le premier ministre israélien a précisé que cette décision avait été prise pour des raisons «pratiques et diplomatiques».
Selon Frédéric Esposito, il ne faut pas non plus sous-estimer l'influence exercée par les manifestations en faveur de la Palestine, très nombreuses en Occident.
«Les Etats démocratiques fondent leur légitimité sociale et politique sur le soutien de la population», rappelle le politologue. «Or, des manifestations dans la rue, des pétitions et des prises de position de la part d'intellectuels ou d'associations peuvent affaiblir cette légitimité, même si cela ne se passe pas forcément dans les urnes».
Quitte à trahir une certaine hypocrisie? «Le choix rationnel dans les relations internationales est teinté d'une forme de cynisme», analyse Frédéric Esposito. «Le fait que des Etats s'activent aujourd'hui face à une situation qui occupe le devant de la scène depuis des décennies révèle une forme de calcul politique et affaiblit leur positionnement».
Qu'est-il de la Suisse? Les réactions de nombreux Etats occidentaux contrastent avec le silence du Conseil fédéral. «Notre pays est extrêmement discret et se contente d'appeler Israël à respecter le droit humanitaire, sans en faire davantage», indique Frédéric Esposito, qui n'hésite pas à qualifier la Suisse de «grand absent».
D'autant plus que les prises de position demandant au gouvernement d'agir sont nombreuses. Ce mercredi matin, plusieurs organisations humanitaires, experts en droit international et personnalités issues des milieux diplomatiques, scientifiques et culturels ont interpellé les autorités helvétiques dans une lettre ouverte. Les signataires condamnent notamment «l'inaction de la Suisse face au massacre de dizaines de milliers de civils par Israël».
La semaine dernière, les villes de Lausanne et de Genève ont diffusé une déclaration demandant à la Suisse de «ne pas rester inactive et silencieuse face à la tragédie humanitaire qui se déroule en ce moment à Gaza», suivies par Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds. Le même jour, le Parlement jurassien a également lancé un appel pour un cessez-le-feu immédiat et la fin des hostilités.