Le 26 mars, Ilaria Sula, 22 ans, se rend chez son ancien petit ami Mark Samson, 24 ans, car il s'était introduit chez elle pour tenter de lui voler son ordinateur. Il déclarera à la police être «devenu fou» après avoir lu des messages échangés avec un autre garçon. Il poignarde l'étudiante à mort dans la chambre, nettoie le sang avec l'aide de sa mère, selon les premiers éléments de l'enquête, et cache le corps dans une valise qu'il jette dans un ravin non loin de Rome. Elle sera retrouvée huit jours plus tard.
Le 31 mars, Sara Campanella, une étudiante de 22 ans, est poignardée à la gorge en pleine rue devant des témoins à Messine, en Sicile, par un camarade d'université de 27 ans qui la harcelait depuis deux ans.
🔵#Femminicidi “Ilaria può essere ognuna di noi”, “Ci vogliamo viv3”, “Per Ilaria, per Sara, per tutte quante”. Circa 2mila gli studenti alla manifestazione all'Università La Sapienza di Roma per #IlariaSula e #SaraCampanella. "Siamo qui con dolore. Oggi è una giornata di lotta". pic.twitter.com/5aQFl2SirA
— Rai Radio1 (@Radio1Rai) April 3, 2025
L'université La Sapienza, où étudiait Ilaria Sula, a suspendu les cours le jour de l'enterrement. A Palerme, le maire a proclamé une journée de deuil pour Sara Campanella. Dans la foulée, des manifestations ont éclaté. Aujourd'hui, beaucoup demandent des mesures pour lutter contre les féminicides – onze ont été recensés en 2025 dans le pays.
Pourquoi cette violence en Italie? Cristina Ercoli, responsable de l'association de défense des droits des femmes Differenza Donna, à Rome, apporte son éclairage.
Aujourd'hui, quel est le problème en Italie?
Cristina Ercoli: Lors de nos interventions au sein des instituts d'études supérieures, comme les universités, nous avons fait le constat suivant:
Comment expliquer cette violence psychologique?
Toute une narration est créée autour du rapport à l'intimité, notamment au travers des chansons ou de la littérature: il y a une banalisation et une normalisation de ces comportements violents.
Quant aux modèles de relations sexuelles, nous avons observé auprès des étudiants que nous avons interrogés que plus de la moitié d'entre eux se renseignent sur la sexualité en ligne. Ils regardent également de la pornographie et adhèrent ainsi à ce modèle masculin patriarcal qui valorise la possession, le manque de consentement, le pouvoir.
Les féminicides d'Ilaria et de Sara ont donné lieu à des manifestations et à une large couverture dans la presse italienne. Y a-t-il une prise de conscience du fléau?
Cette violence est inacceptable. Nous assistons à un réveil social, une partie de la jeunesse est en colère et veut changer les choses. Mais pour que cela se produise, les adultes doivent aider. Actuellement, notre gouvernement n'a pas cet objectif.
La législation italienne est avant-gardiste, mais les magistrats ne sont pas formés et interprètent la loi au travers d'une vision patriarcale. Les forces de l'ordre ne reçoivent pas non plus de formation. Il en va de même pour les professeurs. Résultat: en Italie, nous ne savons pas lire les signes avant-coureurs de violences. Cela s'observe d'ailleurs dans le discours sur les féminicides: «L'auteur a agi dans un moment de folie», «personne n'aurait jamais imaginé qu'il était capable d'un tel acte».
Vous parlez de «réveil social»: les choses sont donc tout de même en train d'évoluer?
Nous avons également observé un avant et un après le féminicide de Giulia Cecchettin en novembre 2023 (réd: une étudiante de 22 ans tuée par son ex-petit ami). Car, pour la première fois, la victime était une jeune femme universitaire, d'un bon milieu social. Pareil pour le tueur. Il n'était plus question de déviance, de marginalisation. On ne pouvait plus justifier ce qui était arrivé.
Quelles mesures doivent-être mises en place en Italie pour lutter contre les violences à l'encontre des femmes?
Ces violences doivent être rendues visibles et sortir de la sphère intime. Nous devons également faire plus de prévention, sensibiliser, accompagner et rencontrer les jeunes.
Ensuite, chaque acteur en lien avec des victimes doit être formé, notamment pour appliquer les sanctions adaptées. A ceci s'ajoute l'attention portée au langage utilisé lorsqu'on parle de cette thématique. Il faudra du temps pour opérer ce changement. La culture de la violence reste invasive dans le pays. Jusque dans les années 70 par exemple, le père avait tous les droits sur la femme et les enfants. Il était autorisé à punir.