En 2003, Jill Biden ne voulait pas que son mari se présente à la présidence. Pour le lui signifier officiellement, elle fera un jour irruption dans une séance de planification, vêtue d’un simple maillot de bain, avec un gros «NON» inscrit sur son ventre.
Ce temps est révolu.
L’épouse, autrefois politiquement réticente, très en retrait des affaires de son homme, a eu finalement beaucoup de mal à lâcher le pouvoir, une fois entre ses mains. En janvier dernier, mais aussi en novembre 2024 et surtout les longs mois qui ont précédé l’annonce de la candidature de Joe Biden pour un second mandat.
Selon des proches du 46e président, elle avait «pris goût» aux hautes sphères, les «gens puissants» qui vont avec. Dans l’enquête de 385 pages qui est sortie aujourd’hui dans les librairies américaines, on trouve d’ailleurs une anecdote hallucinante, qui tend à prouver combien la garde rapprochée de Joe Biden avait de l’influence.
En décembre 2022, quatre mois avant l’annonce de sa candidature, le président reçoit Emmanuel Macron et son épouse à Washington pour un dîner d’Etat. Au menu, «hot-dogs, glace et spaghettis» dira Biden, sourire en coin. A table, on trouve notamment le couple français, Nancy Pelosi et sa fille Alexandra. Assise non loin de Jill, cette dernière va alors pêcher un échange entre la première dame américaine et Macron qui va lui décrocher sa mâchoire.
Une indiscrétion parmi d’autres, mais qui dit beaucoup de l’entêtement à se maintenir en course et du «putain de désastre» qui suivra, dixit une ancienne attachée de presse de la Maison-Blanche.
Dans le bouquin Original Sin (Pêché originel), les journalistes stars Jake Tapper (CNN) et Alex Thompson (Axios) se sont heurtés à plus de 200 témoignages anonymes, dont certains n’ont pu être recueillis qu’une fois la victoire de Donald Trump actée. C’est dire les ressentiments qui couvent au sein du parti démocrate.
On y trouve des élus et stratèges, des conseillers, des anciens présidents américains et, forcément, des proches.
Le sujet? La santé mentale et physique de Joe Biden et l’omerta qui l’a enveloppée tout au long de la double campagne démocrate, jusqu’à la défaite de Kamala Harris.
Pourtant, les responsables de sa campagne n’ont eu cesse de répéter que le président allait bien: «Il va bien, il va bien, il va bien, OK?» Parmi ceux qui tentaient de rassurer le clan démocrate aux forceps, il y avait Anita Dunn, conseillère stratégique principale de Joe Biden et Jill, l’épouse protectrice. Pour la plupart des 200 témoins qui ont lâché ce qu’ils avaient sur le cœur dans ce livre explosif, c’est précisément l’entourage très (très, très) proche qui a posé problème. Un cercle verrouillé, qui ne «laisse jamais passer la moindre lumière malveillante» et qui a fait bloc depuis la mort brutale de Beau, le fils chéri de Biden, en 2015.
A l’époque, Joe pensait très fort au mantra qu’il a piqué à son père: «Get up!» En gros, l’important, c’est de se relever. Et l’existence du 46e président des Etats-Unis a été suffisamment jalonnée de drames pour que l’idée de se relever à chaque fois ne soit plus une simple éventualité, mais une obligation.
Les journalistes Jake Tapper et Alex Thompson, par l’intermédiaire de leurs nombreux interlocuteurs, ont passé beaucoup de temps à comprendre l’entêtement de Joe Biden à rester dans la course à la présidence. Plus que l’habituelle addiction au pouvoir, le 46e président ne pouvait pas raisonnablement envisager l’abandon, malgré l’évidence: il n’était plus en état de briguer un second mandat.
Du moins, pas tout le temps, puisqu’on apprend que, dès l’annonce de sa candidature, les fenêtres de tir pour lui caler un rendez-vous pro, en public ou en privé, étaient «peu nombreuses». Joe Biden ne pouvait être totalement présentable que «quelques heures par jour»: «La présidence demande à pouvoir être opérationnel à 2h du matin pour une urgence. Biden ne l’était pas», lit-on dans Original Sin.
Un secret de polichinelle? Bien sûr. Tout le monde savait. Ou aurait du le savoir. On le voyait nous-mêmes défaillir sur scène, manquer une marche, confondre des chefs d’Etat ou se figer au beau milieu d’un discours ou d’une interview, jusqu’au fameux débat.
Les vraies questions sont les suivantes: qui, dans le clan démocrate, savait à quel point la santé de Joe Biden laissait à désirer? Et pourquoi personne n’a rien dit (ou fait) plus tôt? Deux cercles se sont longtemps opposés en secret, les élus et huiles du parti, face au clan rapproché du président. Alors que les premiers redoutaient la défaite face à un Donald Trump de plus en plus confiant et conquérant si Biden abandonnait, les seconds œuvraient à ses côtés comme dans une secte.
Il faudra le débat désastreux du 27 juin 2024, pour que les langues se délient enfin. Quand l’étau s’était suffisamment resserré pour que les proches commencent à suffoquer, Joe a lâché la rampe pour l’offrir, tardivement, à sa vice-présidente, à contrecœur: «Il était peu probable que M. Biden soutienne un autre candidat pour lui succéder. Il s'est plaint pendant des années du fait qu'Obama ne l'avait pas soutenu en 2016», lit-on dans cette enquête de 385 pages.
Pour les deux journalistes, l’égoïsme a primé durant la campagne.
C’est aussi un réflexe familial très fort qui a forcé le clan Biden à maintenir le cap, malgré la violente réalité: «Ne pas parler des vérités qui font mal». Toute la carrière de celui qui est aujourd’hui aux prises avec un cancer agressif à la prostate a été jalonnée de non-dits, souvent émotionnels.
De l’affaire judiciaire du fils Hunter (que la famille a tenté de taire de toutes ses forces) à la campagne présidentielle de trop, Joe Biden et sa forteresse humaine se sont entêtés à laisser ce qui fâche au vestiaire. Quitte à plonger aujourd’hui le parti démocrate dans une profonde crise qui n’attendait finalement que son entêtement pour jaillir.