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Sarkozy, Le Pen: les juges jouent-ils avec la démocratie?

Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy.

Le Pen, Sarkozy: les juges jouent-ils avec la démocratie?

Les critiques fusent en France contre la justice, dont l'objectif serait de «se faire» les politiques, à commencer par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. La dirigeante du Rassemblement nationale, qui risque une peine qui l'empêcherait de se présenter à la présidentielle de 2027, sera fixée sur son sort ce lundi 31 mars.
30.03.2025, 18:5330.03.2025, 19:53
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Sous la menace d’une peine de cinq ans d’inéligibilité pour l’une, d’une peine de 10 ans de prison ferme pour l’autre: Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy font face à la justice. Or tous deux remettent en cause l’institution judiciaire, qu’ils accusent de vouloir se substituer aux élus du peuple. Un éditorialiste de la radio publique France Inter rappelait jeudi le cas de Donald Trump, inculpé 34 fois et qui, lui, veut mettre la justice américaine au pas. Le journaliste parlait de «vent mauvais» pour qualifier le climat de défiance mutuelle entre l'institution judiciaire et le pouvoir politique.

Le 31 mars, la justice française n’a pas seulement rendez-vous avec une justiciable nommée Marine Le Pen, elle a aussi rendez-vous avec la démocratie. Ce lundi, le tribunal correctionnel de Paris rendra une décision très attendue dans le procès pour détournement de fonds publics (4 millions d’euros de 2011 à 2016, grâce à un groupe d’élus au Parlement européen) visant la cheffe du RN et d’autres responsables du parti d’extrême droite. Les faits sont établis, les prévenus les ont reconnus à demi-mot lors des audiences qui se sont achevées en novembre dernier.

Le scénario noir pour Marine Le Pen

Le Parquet national financier, le fameux PNF, qui vient de requérir contre Nicolas Sarkozy dans une autre procès, demande à l'encontre de Marine Le Pen, outre cinq ans de prison dont trois avec sursis et 300 000 euros d’amende, une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.

Autrement dit, là où une condamnation à de la prison ferme pourrait être repoussée au gré d’un appel, suivi d’un possible recours en cassation, l’inéligibilité entrerait immédiatement en vigueur, même si un appel était interjeté, c'est le sens de l'exécution provisoire. Résultat: Marine Le Pen ne pourrait pas participer à l’élection présidentielle de 2027, quand un récent sondage la place largement en tête du premier tour avec 34 à 37% des intentions de vote. Une insupportable atteinte à la démocratie, estiment certains.

On n'en est pas encore là. Les juges pourraient couper la poire en deux ou en trois. Selon Romain Rambaud, un professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes cité par Le Monde:

«Non seulement les juges peuvent décider d’une exécution provisoire ou non, mais ils peuvent aussi prononcer une peine d’une durée telle qu’elle prendrait fin avant le scrutin suprême»
Romain Rambaud, professeur de droit public

Auront-ils ces égards? Rédacteur en chef du service «débats» du Figaro, Alexandre Devecchio ne tient pas les juges pour des individus particulièrement magnanimes avec les politiques. Ce serait même tout le contraire, selon lui.

«J’ignore comme tout le monde ce que les juges décideront lundi face à Marine Le Pen, mais ils pourraient la condamner à une peine d’inéligibilité suffisamment longue pour qu’elle ne puisse pas se présenter à la présidentielle de 2027, avec la conviction d’agir pour le bien de la démocratie.»
Alexandre Devecchio, rédacteur en chef au Figaro

Le «peuple» contre les «élites»

Dans Recomposition: le nouveau monde populiste, un essai paru en 2019 aux éditions du Cerf, Alexandre Devecchio prenait le parti des «peuples» contre les «élites». Il voulait souligner par-là que les juges et les administrations s’étaient avec les années de plus en plus substitués à la volonté populaire.

Problème dans le cas de Marine Le Pen: elle-même, en 2011, réclamait une réforme du droit de manière à ce que les juges puissent prononcer des peines d'inéligibilité. Deux lois, en 2016 et 2017, ont rendu la chose possible, avec la sévérité qui menace aujourd’hui celle qui appelait ce dispositif légal de ses vœux.

«Les juges s'immiscent dans les compétences du peuple»

Alexandre Devecchio ne disconvient pas de la présence de contradictions chez les leaders populistes, habitués qu’ils sont à jouer avec les codes de la démocratie. Son propos consiste plutôt à dire qu’après des décennies, durant lesquelles les politiques ont parfois manipulé la justice, on assiste à un retour de balancier aux effets potentiellement dommageables pour la souveraineté populaire.

«Ce mouvement inverse va trop loin, non pas parce que les juges condamnent les politiques qui ont fauté, mais parce qu’ils ont toujours plus tendance à empêcher l’exercice de la volonté populaire, que ce soit en s’immisçant dans le processus électoral ou en interprétant la loi ou la constitution de manière à rendre impossible le vote de certaines réformes, sur l’immigration par exemple, ce qui n’est pas possible en Suisse, où le dernier mot appartient au peuple.»
Alexandre Devecchio, rédacteur en chef au Figaro

Nicolas Sarkozy: des accusations très graves

Le faits imputés à Nicolas Sarkozy sont autrement plus graves que ceux reprochés à Marine Le Pen. L’ancien président de la République de 2007 à 2012 est accusé de corruption, de recel de détournement de fonds publics, de financement illégal de campagne et association de malfaiteurs. Il encourt dix ans de prison, 375 000 euros d'amende et, comme Marine Le Pen, cinq ans d'inéligibilité.

Jeudi, le PNF a requis à son encontre sept ans d'emprisonnement (jamais un chef d'Etat français n'a été confronté à une telle peine) et 300 000 euros d'amende. Embarqué dans plusieurs affaires pénales, sous le coup d’une condamnation en cours l’obligeant à porter un bracelet électronique, Nicolas Sarkozy est accusé par le PNF – la formulation a quelque chose d'infamant – d’avoir noué «un pacte de corruption inconcevable, inouï, indécent» avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi (assassiné de manière atroce en octobre 2011 lors du Printemps arabe libyen) pour financer sa campagne de 2007.

Problème: si le faisceau d’indices est accablant aux yeux du PNF, les preuves irréfutables font défaut. «Ce qui est gênant à mon avis dans le cas présent, c’est le sentiment d’acharnement qui se dégage de l’attitude du PNF à l’égard de Nicolas Sarkozy. Il semble vouloir le condamner à tout prix à une peine jamais prononcée contre un ancien président de la République, alors même qu’il ne dispose pas de preuves incontestables.»

«La peine demandée ne serait pas de trop»

Cela dit, ajoute le rédacteur en chef au Figaro, si les faits reprochés à Nicolas Sarkozy étaient avérés, «la peine demandée ne serait pas trop sévère, si l’on songe qu’il aurait peut-être déclenché une guerre en Libye contre Mouammar Kadhafi dans le but d’effacer les preuves de la corruption de 2007 dont il est aujourd’hui accusé.»

Là aussi, il y a de cela longtemps, Nicolas Sarkozy, comme Marine Le Pen en 2011, réclamait des peines plus sévères pour les condamnés. Lui qui porte un bracelet électronique pour sa condamnation à un an ferme, demandait à ce que les condamnations à de la prison dépassant six mois ne soient pas aménageables.

La parole à la défense

Dans l'actuel procès «libyen» de Nicolas Sarkozy, la défense de l'ancien président de la République doit encore prendre la parole. Le jugement sera mis ensuite en délibéré durant plusieurs mois.

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Video: youtube
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