39 jours. Il s'est déroulé 39 jours depuis qu'elle a pris le relais de Joe Biden, dans la course à la Maison-Blanche. Comme si la date butoir, le chiffre rond, ce «40» peut-être trop symbolique devait être évité. Elle l'avait d'ailleurs promis il y a trois semaines:
Mission accomplie, à deux petits jours près.
Cette nuit (heure suisse), Kamala Harris va s'asseoir en face de la patronne de la politique américaine de CNN, Dana Bash, et répondre enfin à des questions autrement qu'à la volée, entre deux vols et trois meetings.
Il était temps, diraient Donald Trump et plusieurs journalistes de grands médias américains, agacés par l'extrême prudence dont elle fait preuve depuis le début de sa campagne. Il faut rappeler qu'on lui a longtemps reproché de se planquer derrière un prompteur et des apparitions scénarisées. De fuir les questions de fond et d'éviter aussi longtemps que possible tout risque de maladresse. D'aligner les stars sur des scènes et de laisser les sondages parler à sa place.
Un tic qui n'est pas inédit dans une campagne présidentielle, du moins chez les candidats cajolés par les intentions de vote.
Et les pourcentages continuent de lui faire les yeux doux. Il y a quelques heures, une étude commandée par Fox News nous apprenait que Kamala Harris devance désormais Donald Trump dans les Etats clés de la Sun Belt.
Si le conte de fées démocrate ne montre aucun signe de faiblesse, la vice-présidente en campagne est désormais invitée à jouer cartes sur table. Pour la première fois depuis le début de cette aventure.
Un rendez-vous télévisé qui n'a pourtant pas calmé ses détracteurs. Non seulement l'interview diffusée ce soir sur CNN n'est pas en direct, mais Kamala n'est pas venue seule. A ses côtés, son colistier Tim Walz. Un détail qui n'a pas manqué de faire grogner les conservateurs, l'accusant de ne pas oser affronter la réalité «sans un homme à ses côtés». D'autres, moins misogynes, considèrent que c'est une nouvelle esquive.
BREAKING: I’ve obtained an exclusive image of Kamala Harris walking into CNN’s studios for her pretaped interview with Dana Bash. pic.twitter.com/HhwfwGwHZo
— Free (@KaladinFree) August 28, 2024
Pourtant, l'entretien en binôme n'est pas rare, notamment dans le clan démocrate. Le candidat Obama avait traîné Joe Biden par le bras en 2008 et Hillary Clinton fera de même huit ans plus tard, avec son colistier Tim Kaine. Plus cocasse, alors que Trump vocifère, on rappellera qu'à peine une semaine après la nomination de son vice-président potentiel, le milliardaire MAGA et JD Vance furent (très poliment) cuisinés, et en duo, sur Fox News.
Néanmoins, au-delà des brouilles de bac à sable, même si l'entretien a été enregistré, même si elle pourra se reposer sur son bras droit, même si tout ne se jouera pas forcément en soixante minutes, la démocrate de 59 ans va devoir affronter une bonne louche de questions qui fâchent.
Car il est temps de causer programme. Si Kamala Harris a dévoilé quelques pistes économiques en Caroline du Nord le 16 août dernier, ça n'a pas dissipé un certain flou sur ses bonnes intentions. Faire baisser le coût de la vie en déployant les crédits d'impôts pour les faibles revenus? Interdire les «prix abusifs»? Construire trois millions de nouveaux logements en offrant une subvention de 25 000 francs? A l'instar du HuffPost américain, bon nombre d'observateurs veulent en savoir davantage sur sa propre définition d'une «hausse de prix» et ce qu'elle entend par «interdire» les prix abusifs.
Alors qu'on lui prédit une peine monstre à rassembler les démocrates moins progressistes qu'elle, il faut avouer que sa rapide mue (électorale) vers le centre, avec des positions beaucoup plus modérées qu'en 2019, s'opère en douceur. Malgré le profil très à gauche de Tim Walz, dépeint par les trumpistes comme un communiste alors qu'il sait séduire des républicains, elle devrait continuer son opération séduction d'une frange du parti qui n'est pas acquise.
Et la guerre à Gaza fait évidemment figure de défi politique pour la vice-présidente. Bien qu'elle se soit toujours montrée plus sensible au sort des Palestiniens que son président, Kamala Harris semble, elle aussi, refuser le moindre embargo sur les livraisons d'armes à Israël. Ouverte au débat lorsque des manifestants la prennent en grippe, elle refuse en revanche de se faire dicter sa politique.
Cette nuit, la journaliste Dana Bash pourrait donc bien s'enquérir de ses véritables solutions pour accentuer la pression sur Israël et tutoyer un cessez-le-feu, sans faire péter l'amitié diplomatique «solide et inébranlable», dixit Joe Biden, que les Etats-Unis entretiennent depuis longtemps avec Netanyahou.
D'autres questions? Oh oui, plein. Les Etats-Unis doivent-ils armer l'Ukraine indéfiniment? Comment soigner au mieux les personnes à faibles revenus? Pourquoi le mot d'ordre démocrate en termes d’immigration a-t-il viré à droite ses dernières semaines, avec des promesses de contrôle des flux et le renforcement des patrouilles aux frontières?
Si la prestation du ticket démocrate est évidemment attendue au tournant, cette première interview ne va pas faire ou défaire le succès de sa campagne. A l'instar des débats, les grands entretiens ont perdu de leur importance au fil des années, chahutés par le tumulte des réseaux sociaux et l'avènement des créateurs de contenu. C'est d'autant plus vrai pour Harris, qui est rapidement devenue une starlette d'Internet grâce à une Kamalamania maîtrisée de bout en bout.
Alors que CNN se gargarise aujourd'hui avec la première interview télévisée de la candidate, cette dernière en a déjà donné une dizaine sur les réseaux sociaux depuis la convention démocrate, à laquelle... près de 200 influenceurs étaient accrédités. Autant d'entretiens consensuels qui permettent de faire voyager sa politique sans chahut. De quoi relativiser (encore un peu plus) la grand-messe de papa et maman en prime time.
Sauf en cas de grosse bourde, évidemment. Réponse cette nuit.