Cette nuit, Elon Musk et Donald Trump avaient rendez-vous dans un «safe space». Une notion sans doute inconnue de ces deux magnats des affaires impitoyables, peu enclins à s'embarrasser des sentiments et des faiblesses. Un terme plus coutumier des cercles de gauche et des podcasts progressistes. «Safe space», cette bulle protectrice où l'on peut parler de soi et échanger librement, sans crainte de jugement, dans l'acceptation et la bienveillance générale.
Un cocon. Pour Trump et Musk, deux as de la provocation et des méchancetés, preux chevaliers de la liberté d'expression la plus brutale, il s'agissait d'un lieu de retrouvailles inhabituel. C'était bien la peine d'organiser leur petite sauterie sur X. Cette zone de débats sanglants et de prises de position choc, où bienveillance, gentillesse et bien-pensance ont été refourguées aux tréfonds oubliés des algorithmes, depuis la reprise en main d'Elon Musk.
Il était légitime d'attendre de ces deux amateurs de catch qu'ils fassent au moins semblant de se titiller un peu sur le ring. Quelques punchlines mordantes, de la répartie à foison, deux ou trois vannes bien senties. Du sarcasme méchant et de l'humour sale dont les troublions de la droite américaine se sont fait une spécialité. Bref, un peu de rire gras qui dégouline sur les doigts.
Et pourtant. Avant même de se heurter aux premiers soucis techniques, lundi soir, Elon Musk avait pris soin de prévenir ses auditeurs. Son échange avec Donald Trump relèverait davantage de la conversation que de l'interview. Pourquoi donc? «Personne n'est tout à fait lui-même en interview, il est donc difficile de comprendre comment ils sont vraiment», a-t-il spécifié la veille dans un tweet. Soit.
Elon Musk avait sans doute raison de nous avertir. Car n'est pas tant une «conversation» qu'un tapis rouge bien moelleux qu'il a déroulé sous les souliers vernis de son invité. Nous laissant avec l'impression d'assister au thé de l'après-midi entre deux bonnes copines à la retraite dans un tea-room de Vevey, qu'à deux ardents défenseurs du free speech.
Le résultat est terne, prévisible, flagorneur. Deux longues heures de bavardage sans réelle question ni mise en difficulté. Deux heures de Trump en roue libre. Sans rencontrer d'obstacle ni d'opposition, l'ancien président s'en est donné à coeur joie. Au menu des discussions? Lui-même, puis Kamala Harris, un peu de Joe Biden, Kamala Harris encore, des bribes sur l’immigration illégale, Kamala Harris toujours, Poutine en deux mots, Kamala Harris encore et encore.
Aux divagations de son convive, Elon Musk n'a eu à opposer que de vigoureux hochements de tête, des «hmhm!» enthousiastes et des superlatifs. «Félicitations». «C’est génial». «Incroyable». «Admirable». Sans oublier quelques sujets de conversation supplémentaires pour permettre à Donald Trump de rembrayer plus vite.
Résultat: un enchaînement sinueux et fastidieux de propos pêle-mêle qui a dû ennuyer jusqu'aux plus fidèles partisans. D'ailleurs, ils n'étaient qu'1,1 million au pic d'audience. Ce qui n'a pas empêché Donald Trump de gazouiller un «Amazing!» ravi.
En évitant le format de l'interview contradictoire, Elon Musk et Donald Trump se sont vautrés dans le type de conversation à huis clos propres aux podcasts et à cette gauche, douce et bienveillante, sur laquelle ils aiment tirer à bout-portant. Venant des hommes les plus méchamment infréquentables de la planète, c'est un peu mou et décevant.