33 jours. 33 jours depuis que Kamala Harris a été pressentie pour devenir la candidate du parti démocrate. 33 jours que la vice-présidente n'a pas accordé la moindre conférence de presse ni interview officielle. 33 jours qu'elle ne montre aucun empressement à répondre aux questions. 33 jours que la chaîne conservatrice Fox News a lancé son décompte accusateur.
Un cri de ralliement, désormais, pour ses opposants politiques et les médias conservateurs, qui accusent la candidate de se soustraire à la surveillance du public. Donald Trump et JD Vance en ont fait un thème d'attaque récurrent. «Elle ne sait pas comment faire une conférence de presse; elle n’est pas assez intelligente pour faire une conférence de presse», a asséné l'ancien président lors d’une conférence de presse plus tôt ce mois-ci, dans son manoir de Mar-a-Lago.
«J'ai pensé que vous pourriez vous sentir seuls, vu que la vice-présidente ne répond pas à vos questions», renchérissait son colistier, le sénateur JD Vance, dès le lendemain, face à l'essaim de journalistes amassés sur le tarmac d'un aéroport du Wisconsin, dans l'espoir d'apercevoir la candidate en campagne.
Une stratégie du silence qui n'est, évidemment, pas non plus du goût des principaux intéressés, à savoir les médias traditionnels. Le 11 août, le Washington Post publiait avec dépit sa «liste de questions qu'il aimerait poser à Kamala Harris», s'il en avait l'occasion. Le 20 août, alors que la Convention démocrate bat son plein, le média politique Deseret News relaie le mécontentement des reporters présents sur place, confrontés à des «conditions précaires», un wifi «bancal» et la «concurrence» des quelque 200 influenceurs, invités pour couvrir l'évènement.
Justement, les voilà, les grandes vedettes de cette campagne présidentielle 2.0. Du jour au lendemain, ce sont des milliers de phrases courtes et punchy, de mèmes et de plaisanteries pro-Harris que l'équipe de Kamala a bombardés sur les réseaux sociaux. Objectif déclaré: toucher un éventail d'électeurs plus large, plus jeune et plus diversifié que jamais, qui ne s'informe plus grâce aux médias traditionnels.
Pour la candidate, c'est bien pratique. Non seulement une grande partie de ce contenu est produit en interne par son équipe de campagne, mais il épargne aussi à la vice-présidente de répondre à des questions délicates. Pour ne citer que quelques exemples: ce qu'elle savait du déclin physique et cognitif de Joe Biden, l'escalade en cours au Moyen-Orient, les inquiétudes croissantes liées à une récession économique, son bilan en tant que «tsar des frontières», les révélations sur la liaison extra-conjugale de son mari Doug Emhoff lors de son premier mariageou encore ses discrets revirements de positionnement politique.
Pour l'instant, la stratégie fonctionne comme sur des roulettes. Depuis 33 jours, Kamala Harris a le vent en poupe, des sondages solides et, malgré tout, une couverture médiatique positive. «Ces dernières semaines ont été mouvementées et, pour l’instant, les discours de campagne énergiques fonctionnent très bien, donc elle surfe sur la vague», analyse David Axelrod, architecte des campagnes victorieuses de Barack Obama, au New York Times.
Dans ce contexte positif, aucune raison de changer. La moindre interaction avec un journaliste est perçue comme une prise de risque inutile - celui d'une réponse bâclée, d'un bad buzz, d'attaques politiques et de réactions négatives, dont la candidate se passera volontiers jusqu'à l'élection du 5 novembre.
D'autant que Kamala Harris, réputée pour s'emmêler les pinceaux et son style un peu «olé-olé» en entretien, n'est pas la politicienne la plus douée pour faire face à l'imprévu. Face à un bilan mitigé en matière d'interviews, elle a préféré s'inspirer du style prudent de Joe Biden. Le 46e président a organisé moins de conférences de presse à la Maison-Blanche que n'importe quel de ses prédécesseurs depuis Ronald Reagan.
L'approche peu conventionnelle de campagne de Kamala Harris comporte aussi ses dangers. Donner aux électeurs le sentiment d'être «déconnectés» et de manquer d'informations concrètes sur cette candidate réservée, dont le site internet ne comportait toujours pas d'onglet «politique» le 23 août. Un pari risqué dans un climat où la confiance et la transparence deviennent requis - une carte jouée à fond par Donald Trump, qui inonde le public d’un volume écrasant de déclarations improvisées.
Même pour Link Lauren, TikTokeuse aguerrie et ancienne conseillère de la campagne de Robert F. Kennedy Jr., la stratégie actuelle de la candidate manque de profondeur et devrait être plus informative.
«Ils devraient utiliser ce public pour montrer la substance et la façon dont elle va faire avancer les choses.»
Tout n'est pas perdu. Le 8 août dernier, Kamala Harris avait laissé entendre qu'elle passerait d'abord par la convention démocrate, avant d'envisager le moindre entretien. «Je veux que nous puissions obtenir une interview avant la fin du mois», a-t-elle néanmoins spécifié, avant que ses assistants ne déclarent que la séance de questions - d'une durée de 70 secondes - était terminée.
On peut donc s'attendre à ce que la démocrate pointe davantage le bout de son nez dans les médias traditionnels d'ici peu. Peut-être. Mais sans doute pas beaucoup plus.