Kfar Kila, tenue par le Hezbollah dans le Sud-Liban, bombardée par Israël. 7 octobre 2924.Image: EPA
Un militaire français au Sud-Liban: «On a l'impression de ne servir à rien»
Watson a recueilli le témoignage d'un soldat français de la Finul, la force de l'ONU déployée près de la frontière entre Israël et le Liban, où la guerre fait rage entre Israéliens et combattants du Hezbollah. «Les stocks d'eau et de vivres de la Finul se réduisent dangereusement, on se sent impuissants et inutiles», dit-il. Récit.
«Les injonctions d’Israël sont délirantes. Les militaires français ont un moral dégradé. Ils se demandent s’ils sont l’armée française ou s’ils sont une armée africaine avec une jeep et des scooters, pour dire les choses crûment.»
La personne qui nous parle en ces termes est un militaire du contingent français de la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban. Ce militaire est actuellement basé dans le plus grand des trois camps français de la Finul, situé au Sud-Liban, à une vingtaine de kilomètres d’Israël, dans la zone des combats entre l’Etat hébreu et le Hezbollah.
Le témoignage qui va suivre et que watson a recueilli est le sien. Il rend compte d’un état d’exaspération au sein du contingent français, fort de 700 hommes sur les 10 000 casques bleus que compte la Finul. Il permet sans doute aussi de comprendre l'extrême froideur des relations entre le président français Emmanuel Macron et le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Avant de décrire en détail les tâches de cette force de l’ONU déployée dans l’une des régions les plus inflammables du monde, voici, rapporté par notre source, un exemple de ce qui nourrit cette exaspération.
«C'était ubuesque»
«Le camp français où je suis basé, qui abrite aussi des Finlandais, se divise en deux parties, séparées par une bande de terre d’environ 300 mètres. La partie du haut, qui comprend un forage pour l’approvisionnement en eau, est celle de la zone de vie, la partie du bas est celle de la logistique, réparations de véhicules, etc. Il y a normalement tous les jours des navettes partant du haut pour approvisionner le bas en eau et en vivres. En raison des bombardements israéliens, ceux déclenchés fin septembre, le commandement de la Finul ne voulait pas qu’on fasse les 300 mètres pour approvisionner le bas. C'était ubuesque. Cela a duré une dizaine de jours. Idem pour le plus petit des camps français, situé à moins d’une heure du nôtre, qui, lui, était en rationnement complet, n’ayant quasiment plus d’eau pour boire.»
Inaugurée en 1978, la Finul, une force de paix agissant en coordination avec les Forces armées libanaises (FAL), est déployée sur 120 km d’Est en Ouest au Sud-Liban, dans la partie de territoire comprise entre la rivière Litani et la frontière avec Israël, dont le tracé est source de litiges. La Finul est présente là même où le Hezbollah est implanté en force. Sa mission est de veiller à la mise en œuvre de la résolution 1701 adoptée en 2006 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Cela comprend, notamment:
Le respect de la «ligne bleue», nom donné au tracé de la frontière israélo-libanaise, telle qu’arrêté en mai 2000 après le retrait israélien du Liban mettant fin à l'occupation commencée en juin 1982.
Le désarmement de tous les groupes armés au Liban, de sorte qu'il n'y ait pas d'armes ou d'autorité dans le pays autre que celle de l'Etat libanais.
Carte du Sud-Liban
Au Nord, la rivière Litani, au Sud, la «ligne bleue», tracé de la frontière entre Israël et le LibanImage: wikipedia/watson
La Finul impuissante face au Hezbollah
La Finul a une mission d’observation. Elle n’exerce pas de pouvoir de contrainte, mais elle peut se défendre. Elle dispose de blindés légers armés de mitrailleuses. Une bonne partie de ses activités consiste en ce moment en la rédaction de rapports quotidiens renseignant l’ONU sur les tirs du Hezbollah au départ du Sud-Liban et sur les frappes israéliennes atteignant le territoire libanais.
Notre source française présente sur place l’affirme:
«La Finul n’a jamais été en capacité, un, de résoudre le litige de la délimitation de la frontière entre le Liban et Israël, deux, de faire monter en puissance l’armée libanaise pour qu’elle investisse le terrain, trois, d’empêcher le Hezbollah de se structurer au Liban.»
Quelles sont les capacités militaires du Hezbollah?
La branche armée du mouvement chiite compterait 50 000 hommes, dont une moitié de réservistes. Elle disposerait d’une réserve de 200 000 roquettes et missiles, selon une estimation du Center for Strategic and International Studies (CSIS), citée par le journal Le Monde. Ses tunnels au Sud-Liban sont nombreux.
Selon notre source, depuis le lancement, fin septembre, de la grande attaque aérienne israélienne contre le Liban, qui a tué Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, «celui-ci a considérablement augmenté le nombre de ses tirs en direction d’Israël, entre 100 et 200 par jours».
«Israël disait avoir frappé 1600 cibles du Hezbollah en un jour, mais cela n’a pas empêché ce dernier de poursuivre ses nombreux tirs de harcèlement»
Un membre français de la Finul
Que fait le contingent français de la Finul?
Le contingent français est sous le régime OPEX (les opérations extérieures de l’armée française). La durée des mandats des personnels français de la Finul est de quatre mois, cinq au maximum, contre six mois à un an pour les autres nationalités de la force onusienne. «La France tient une place particulière au sein de la Finul. Elle n’a pas de zone de contrôle attitrée. Les soldats français de la Finul patrouillent dans toute la zone du Sud-Liban selon des itinéraires prédéfinis et en collaboration avec les Forces armées libanaises», explique notre source.
«La France dispose d'une batterie de radars appelée Cobra, qui lui permet de visualiser le champ de bataille, les départs de tirs et les frappes. Chaque jour, la France remonte les informations à la Finul, qui les remonte ensuite au siège de l'ONU, à New York. Seule la France dispose de la technologie sur place pour observer tout cela.»
Un militaire français de la Finul
Pourquoi l’exaspération contre Israël monte-t-elle?
Notre source avance plusieurs raisons, outre celles exposées plus haut:
«Depuis fin juillet, les Israéliens sont devenus plus directifs avec la Finul, lui indiquant les endroits qu'il est possible ou non d'approcher. Officiellement, c’est pour notre sécurité, mais dans les faits, cela nous empêche de remplir notre mission.»
«Depuis le 25 août, en réponse aux tirs massifs du Hezbollah répliquant à la mort de Fouad Chokr, haut chef militaire chiite tué dans une frappe israélienne sur Beyrouth le 30 juillet, Israël a intensifié ses frappes au Sud-Liban sur des positions de la milice chiite. Depuis ce moment-là, nous devons nous déplacer à l’intérieur du camp en gilet pare-balles et avec le casque. Nous devons nous mettre sous abri lorsque les Israéliens nous informent qu’ils conduisent des opérations qui peuvent potentiellement générer des dégâts collatéraux sur des camps de la Finul, ce qui s’est déjà produit sans toutefois faire de blessés.»
«Un problème sérieux s’est posé fin septembre, quand les Israéliens ont voulu que les camps de la Finul proches de la frontière israélo-libanaise, la ligne bleue, soient désertés, au motif qu’ils voulaient effectuer des incursions en territoire libanais. La Finul a refusé. Mais se pose la question, encore une fois, du ravitaillement. Il y a un camp indonésien de la Finul situé à 5 km du nôtre. C’est nous qui le fournissons en eau, comme nous le faisons pour d’autres camps. Cela faisait seize jours qu’il n'était pas ravitaillé en eau en raison d'un constant état d'alerte. Cette situation était intenable.»
«Depuis deux jours, ils mangeaient sans eau»
«Ce mercredi matin 9 octobre, les Indonésiens ont enfin pu se ravitailler en eau chez nous. Ils avaient mis leurs treillis de cérémonie par honte de venir avec leurs treillis puants. Ils ont proposé d'acheter nos bouteilles d'eau. Ils étaient déshydratés. Depuis deux jours, ils mangeaient sans eau. Du riz sec et les plats lyophilisés des rations de la Finul. Actuellement, la Finul ne dispose plus de suffisamment de rations de nourriture et son stock d'eau est très réduit.»
«On a l’impression d’être les porte-serviettes d’Israël»
«Pour les soldats français de la Finul, la situation devient très pesante. Il y a le pilonnage constant d’Israël, jour et nuit, tout tremble, et il y a les tirs incessants des roquettes du Hezbollah. Il faut le vivre pour comprendre ce que cela fait. Nos ravitaillements sont épisodiques. Non seulement les Français de la Finul prennent conscience qu’ils ne servent à rien, mais en plus, ils ne peuvent pas bouger sans l’accord des Israéliens, via le commandement de la Finul. On a l’impression d’être les porte-serviettes d’Israël. Bref, le statut militaire de la France en prend un coup.»
La relève? Reportée
Notre source devait être relevée avec une partie du contingent français. «Initialement, il devait y avoir plusieurs relèves, fin septembre et début octobre. Mais tout est reporté d’un mois. Or, la situation est pleine de stress pour les personnels. On a besoin de souffler. On en a marre.» A leur retour de mission, les Français de la Finul passent par un «sas» de trois jours en Corse, durant lesquels les militaires peuvent se reposer, rencontrer des psychologues, décompresser.
L'actu' internationale, jour et nuit, c'est par ici:
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Aux premières loges de ce qui se joue, le journaliste ukrainien Denis Trubetskoy décrit l'impact de la politique de confrontation du président américain Donald Trump sur les chances de survie politique de Volodymyr Zelensky.