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Tchernobyl: les loups mutants peuvent nous aider face au cancer

In this photo made in April 2012, a wolf in a wild wood in Ukraine's Chernobyl, where nearly 30-years after a nuclear reactor caught fire and spewed a lethal cloud of radiation, some species  ...
Un loup dans la zone radioactive de Tchernobyl.Image: AP

Comment les loups mutants de Tchernobyl peuvent nous aider face au cancer

Dans la zone d'exclusion, de nombreuses espèces animales et végétales ont disparu. Mais certaines ont su s'adapter, au point de développer une résistance à des maladies comme le cancer. C'est le cas des «loups mutants» de Tchernobyl.
17.03.2024, 11:37
Daniel Huber
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La catastrophe commence peu après minuit, le 26 avril 1986. Un test dans le bloc du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl dérape. Le cœur du réacteur entre en fusion, des explosions arrachent la dalle de protection et, pendant dix jours, de grandes quantités de matériaux radioactifs tels que de l'iode et du césium sont libérées dans l'atmosphère et se répandent sur une grande surface. C'est le pire accident jamais survenu dans une centrale nucléaire et, jusqu'à Fukushima en 2011, le seul à atteindre le niveau le plus élevé sur l'échelle INES des incidents nucléaires.

Une surface d'environ 150 000 km2 en Ukraine, en Biélorussie et en Russie est contaminée par la radioactivité. La zone située à proximité immédiate du réacteur, dont la ville entière de Prypiat, est si fortement contaminée que les habitants doivent quitter leur maison en urgence. Ils n'ont pas le droit d'y retourner, une zone d'exclusion est mise en place.

Seules quelques personnes retournent clandestinement dans la zone. Et des sortes de rôdeurs guident les curieux à travers la zone interdite sans autorisation. Un tourisme légal s'installe par la suite, où seules les zones les moins contaminées peuvent être visitées brièvement.

Carte de l'exposition aux radiations en 1996, dix ans après la catastrophe nucléaire.
Carte de l'exposition aux radiations en 1996, dix ans après la catastrophe nucléaire.Image: Wikimedia/Sting

Comme une expérience involontaire

Comme dans le film Stalker (1979) d'Andreï Tarkovski, il se passe des choses étranges dans la zone irradiée, presque entièrement désertée par les humains. C'est comme si une énorme expérience involontaire se déroulait ici. Les fortes doses de rayonnement provoquent de plus en plus de mutations chez les animaux et les plantes, avec des résultats parfois surprenants. L'exemple le plus récent est la découverte par une équipe de chercheurs de l'université américaine de Princeton que les loups de la zone d'exclusion possèdent des mutations génétiques qui augmentent leurs chances de survivre à un cancer.

Les populations d'animaux sauvages se sont rétablies

Néanmoins, près de 38 ans après la catastrophe, le niveau de radiation reste élevé, car les substances radioactives à longue durée de vie comme le césium-137 ou le strontium-90 (qui ont tous deux une demi-vie d'environ 30 ans) sont loin de s'être désintégrées. Malgré cette pollution permanente, les populations d'animaux sauvages se sont largement reconstituées, notamment parce que l'influence humaine a disparu. La population d'élans, de chevreuils, de renards, de sangliers et d'aigles est restée stable ou a même augmenté.

Przewalski's horse, which inhabited the Chernobyl zone. After 20 years the population has grown, and now they gallop on radioactive territories.
Des chevaux de Przewalski, une espèce qui a disparu à l'état sauvage, ont été introduits dans la zone et s'y sont reproduits.Image: getty

Les animaux ont apparemment développé une sorte de résistance aux radiations, comme l'ont montré des études sur les oiseaux: leurs corps sont certes exposés à un stress oxydatif dû aux radicaux libres, qui peut endommager le patrimoine génétique, à cause des radiations. Mais de nombreuses espèces ont pu s'y adapter physiologiquement - même mieux, semble-t-il, plus l'exposition aux rayonnements est élevée.

Les loups particulièrement exposés

Cela semble également s'appliquer à la population de loups vivant dans la zone interdite: les résultats de l'équipe de recherche de Princeton, résumés dans un communiqué de presse de «The Society for Integrative & Comparative Biology», montrent que la population de loups y est différente de celle vivant en dehors de la zone contaminée par les radiations. Les scientifiques dirigés par la biologiste évolutionniste Cara Love ont commencé leur étude en 2014, lorsqu'ils ont équipé certains loups de colliers afin de collecter des données en temps réel sur leur localisation et leur exposition aux radiations. Des échantillons de sang ont également été prélevés sur les animaux.

Les loups font de bons objets d'étude, car ils se trouvent au sommet de la chaîne alimentaire. Il s'agit normalement d'une position privilégiée dans un écosystème, mais dans une région comme la zone d'exclusion radioactive, cette situation s'inverse. En effet, l'exposition aux radiations augmente du bas vers le haut de la pyramide alimentaire: les plantes poussent sur un sol irradié, les herbivores mangent ces plantes et sont à leur tour mangés par les carnivores. Les substances radioactives s'accumulent donc au sommet de la pyramide.

Die Geisterstadt Prypjat in der Sperrzone um das AKW Tschernobyl.
La ville fantôme de Prypiat, dans la zone d'exclusion autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl, abandonnée par les humains.Image: Shutterstock

Cette situation pourrait laisser penser que l'exposition aux radiations affecte particulièrement les loups et que leur population est donc plus petite que dans des zones comparables qui ne sont pas contaminées par la radioactivité. Or, comme le rapporte Love, ce n'est absolument pas le cas - elle a déclaré à la radio américaine NPR que la population de loups dans la zone d'exclusion était sept fois plus dense que dans les réserves naturelles de la Biélorussie voisine.

Selon les résultats de l'enquête, les loups de la zone d'exclusion sont exposés chaque jour à des radiations allant jusqu'à 0,1128 millisievert. Sur une année, cela représente plus de 41 millisieverts (mSv). Le sievert (Sv) est l'unité de mesure de l'exposition aux rayonnements ionisants, qui ont des effets sur le risque de cancer par exemple. A titre de comparaison, la valeur limite légale pour l'exposition aux rayonnements des installations nucléaires est de 1 mSv par an en Suisse. Le rayonnement de fond naturel auquel une personne est exposée au sol est de 2 à 3 mSv par an. Si l'on ajoute à cela d'autres expositions, comme celles dues aux vols ou aux rayons X, on arrive en Suisse à environ 6 mSv par an.

Sperrzone um das AKW Tschernobyl.
La contamination des sols de la zone d'exclusion par le césium 137 est très aléatoire. Elle varie entre des valeurs inférieures à la limite de détection des mesures effectuées dans l'air et un pic de 50 000 kilobecquerels par mètre carré.Image: Shutterstock

Résistance aux maladies cancéreuses

Les chercheurs ont constaté que les loups de Tchernobyl avaient un système immunitaire similaire à celui des patients cancéreux qui subissent une radiothérapie. Mais surtout, ils ont pu identifier certaines parties du génome des loups qui augmentent la probabilité de survivre à un cancer.

Selon Love, la raison de la plus grande résistance des loups aux maladies cancéreuses réside dans le fait qu'ils sont soumis à une sélection naturelle rapide, probablement causée par les changements tout aussi rapides de leur environnement. Le rayonnement radioactif est un facteur mutagène, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une influence physique qui augmente le taux de mutations dans le patrimoine génétique - les mutations sont plus fréquentes que ce à quoi on pourrait normalement s'attendre. La plupart des mutations sont nocives ou n'ont pas d'effet, mais il y en a qui peuvent être bénéfiques dans un environnement donné.

Howling wolves in abandoned village (Chernobyl)
Des loups dans la zone d'exclusion de Tchernobyl. Ces animaux se trouvent au sommet de la pyramide alimentaire, ce qui signifie que ce sont chez eux que les substances radioactives s'accumulent.Image: iStockphoto

Pas de stress dû à l'influence humaine

Certains loups de la zone d'exclusion disposaient donc, en raison des radiations, d'un patrimoine génétique muté qui les rendait plus résistants au cancer que les autres loups. Certes, ils tombaient toujours malades du cancer dans la même mesure que leurs congénères, mais ils résistaient si bien à la maladie qu'ils pouvaient transmettre leurs gènes à la génération suivante. La mutation s'est ainsi répandue dans la population de loups de la zone.

Selon les données de l'étude, la résistance au cancer des loups mutants de Tchernobyl a une cause clairement génétique. Mais les chercheurs soulignent eux-mêmes qu'il existe d'autres facteurs dont dépendent la santé et la résilience des animaux. L'un de ces facteurs réside dans le fait que les animaux de la zone d'exclusion sont presque totalement libérés des influences humaines, notamment de la chasse, de la sylviculture et de l'agriculture. Ces influences agissent souvent comme des facteurs de stress qui ont un effet négatif sur l'état de santé des animaux concernés.

Bénéfices pour la recherche sur le cancer

Love souligne que de nombreux travaux de recherche se sont jusqu'à présent concentrés sur les mutations qui augmentent le risque de cancer. Elle veut maintenant déterminer avec précision les mutations protectrices dans le patrimoine génétique des loups qui augmentent la probabilité de survivre au cancer. Et elle espère que les connaissances acquises grâce à l'étude du patrimoine génétique des loups pourront à l'avenir aider les patients cancéreux humains ou les personnes présentant un risque accru de cancer. La manière dont ces canidés développent un cancer est similaire à celle des humains.

L'équipe de chercheurs collabore désormais avec des spécialistes du cancer afin de déterminer comment ces résultats pourraient avoir des répercussions sur la santé humaine. Pour l'instant, les travaux de recherche sur place dans la zone d'exclusion doivent toutefois être suspendus - d'abord la pandémie de Covid a mis les scientifiques en échec, puis la guerre russe contre l'Ukraine a rendu impossible toute activité de recherche sur place.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

Des chercheurs veulent filmer des loups, mais cet ours a d'autres plans

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