Une partie des plages de la station balnéaire d'Anapa, sur la côte russe de la mer Noire, est fermée depuis peu. Les autorités russes évoquent, de façon un peu nébuleuse, des problèmes liés aux «normes sanitaires et d'hygiène». Mais les véritables raisons de cette mesure sont les conséquences d'une marée noire, dont le gouvernement russe dissimule largement les effets sur les personnes et l'environnement.
Le 15 décembre de l'année dernière, deux pétroliers russes en mauvais état avaient sombré dans une mer agitée, dans le détroit de Kertch, situé entre la Russie continentale et la péninsule ukrainienne de Crimée annexée par Vladimir Poutine. Le Volgoneft 212 a coulé, et son navire partenaire, le Volgoneft 239, s'était échoué et brisé en deux. A bord des deux pétroliers, environ 9200 tonnes de pétrole brut.
Avec ses nouvelles sanctions contre la flotte fantôme de Poutine, ce sont aussi des catastrophes pétrolières comme celle-ci que l'Union européenne veut éviter. L'UE s'attaque là à des pétroliers vendus par ses membres, et listés sous un pavillon étranger afin de contourner l'embargo pétrolier imposé après l'attaque de Poutine contre l'Ukraine en 2022.
Les mesures ont été décidées mardi, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. Avant même la conversation téléphonique entre Vladimir Poutine et Donald Trump lundi, l'UE évoquait déjà de nouvelles restrictions.
Et même après le coup de fil entre Trump et Poutine, les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont à nouveau affirmé leur volonté d'augmenter la pression sur la Russie. L'Ukraine et son adversaire entameront «immédiatement» des discussions sur un cessez-le-feu, et finalement sur la fin de la guerre, a écrit Donald Trump lundi soir sur sa plate-forme Truth Social.
Les déclarations du président contredisaient toutefois celles du chef du Kremlin, qui a déclaré après l'entretien téléphonique que Moscou était prêt à travailler avec l'Ukraine sur un «mémorandum» concernant de futurs pourparlers de paix.
Les mesures prises contre la flotte fantôme ne visent pas uniquement à priver Poutine de recettes financières. Selon les experts, celle-ci présente de grands risques pour la navigation et l'environnement. Ils font remarquer que de nombreux pétroliers sont trop vieux, présentent des défauts techniques et naviguent parfois sans système d'identification automatique.
Le Volgoneft 212 et le Volgoneft 239 étaient sous pavillon russe. Navigant pour le compte du groupe russe Rosneftls, ils avaient été remplis sur la Volga avec du fioul brut issu de résidus de raffinerie, également utilisé en Russie comme carburant de chauffage.
Des recherches menées par le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) démontrent l'ampleur de la catastrophe écologique. Selon le journal, les bénévoles n'étaient pas suffisamment protégés lors des premiers travaux de nettoyage de la plage, au début de l'année.
Le FAZ s'est entretenu avec Igor Schkradjuk, du Centre pour la préservation de la biodiversité de Moscou. A propos des travaux effectués sur les plages souillées par le pétrole, l'écologiste russe a déclaré au journal: «Le vent en a absorbé de minuscules morceaux, qui se sont retrouvés dans les poumons des volontaires».
Il poursuit:
Les photos officielles russes ne montrent que des plages légèrement polluées. On ne sait toujours pas quels résidus toxiques se trouvaient dans le fioul, mais il est question de substances cancérigènes.
Dans le FAZ, Igor Schkradjuk rapporte qu'une diminution des globules rouges a été observée chez les oiseaux de mer contaminés. Le nombre de globules rouges, qui transporte l'oxygène dans le sang, aurait également diminué chez une personne ayant aidé durant longtemps aux travaux de nettoyage sur la plage.
Un étudiant de 17 ans, qui avait été engagé par son université pour effectuer des travaux de nettoyage à Anapa, est même décédé de manière inattendue. La raison officielle est une insuffisance cardiaque. L'étudiant aurait également souffert d'asthme, une thèse que sa mère conteste.
La catastrophe écologique passée sous silence a une autre composante politique. L'un des cargos accidentés aurait reçu à Rostov-sur-le-Don une cargaison supplémentaire de la raffinerie de Novochakhtinsk. Ce fioul lourd serait particulièrement chargé en résidus toxiques. La raffinerie en question appartiendrait à l'épouse de Viktor Medvedtchouk, un proche de Poutine.
L'homme d'affaires ukrainien avait fait de la propagande pro-russe en Ukraine. Il a servi l'ancien président pro-russe de l'Ukraine, Leonid Koutchma, en tant que chef de l'administration présidentielle.
Viktor Medvedtchouk a été arrêté après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 et a ensuite été échangé par le Kremlin contre des prisonniers de guerre ukrainiens. Il doit désormais mettre en place un régime favorable à la Russie en Crimée pour Poutine. Une catastrophe écologique sous la surveillance de l'état russe serait malvenue.
Traduit de l'allemand par Joel Espi