Si vous ne le saviez pas encore, notez que Vladimir Soloviev est aussi fertile que les théories fumeuses qu'il injecte tous les soirs dans le crâne de la population russe. A la tête d'une armée de spermatozoïdes surentraînés, le présentateur, animateur, journaliste, propagandiste et nouveau meilleur ami du journaliste UDC Roger Köppel, arrose depuis plusieurs décennies un arbre généalogique qui ferait passer Elon Musk pour un petit zizi. Excusez du peu: l'infatigable haut-parleur de Vladimir Poutine, 60 ans dans cinq mois, a eu huit enfants légitimes, de trois épouses successives.
Ce «bourreau de travail», comme disent toutes les biographies lui passant dessus (même les plus fantaisistes), est depuis longtemps un adepte du «si tu fais un truc, fais à fond». Pas seulement au boulot, en direct, trois heures tous les soirs, quand il exhorte l'armée de Poutine de bombarder Londres et Paris ou accuse l'Allemagne moderne d'organiser un «Quatrième Reich» en Russie.
Tout en branlant l'idéologie barbare de son maître, l'homme-tronc de la télévision d'Etat prend soin d'un véritable séquoia familial, composé (dans le désordre) de Polina, Alexander, Daniil, Sofia-Betina, Emma-Esther, Ivan, Ekaterina et, enfin, Vladimir jr. (sans doute pour l'ego). Et Elon Musk peut trembler, car Soloviev planquerait deux autres enfants.
10 à 10, balle au centre?
Certes, c'est un peu la grenade people qui explose entre deux crimes de guerre et une poignée de cadavres, mais c'est ce qu'affirment les équipes du célèbre opposant Alexeï Navalny. Détail piquant, cette progéniture en rab serait née sur les terres des «suppôts de Satan», les Etats-Unis, que la star russe rêve d'atomiser avec «la bénédiction de la Bible». L'enquête en question, déroulée mardi sur YouTube, évoque l'existence de jumelles âgées de six ans, conséquence d'une fougueuse idylle dans les bras olympiques de la basketteuse Svetlana Abrosimova, démarrée en 2016. Pendant un an, le papa aurait aligné les allers-retours, avant de ramener tout ce beau monde en Russie.
Les enquêteurs fouillaient alors dans une histoire immobilière un poil louche lorsqu'ils ont compris, notamment, qu'une villa à Sotchi et un appartement à Moscou, au nom de Soloviev, appartenaient en réalité à Svetlana. Un test Covid, disent-ils encore, termine de confirmer cette paternité étonnante.
Svetlana Olegovna Abrosimova, ou Sveta comme la surnomment ses supporters une fois en pleine détente sous les paniers, voit le jour il y a 42 ans à Saint-Pétersbourg. Entourée d'un père soudeur et d'une soeur danseuse de salon, la gamine mâchouille très tôt sa propre version de l'american dream. Si, là-bas, le sky is souvent the limit, il sera surtout sans grand nuage pour la double championne d'Europe. C'est sous les couleurs de l'Université du Connecticut, après avoir été huilée par l'équipe olympique soviétique, que la grande tige balancera ses meilleurs points américains. Voilà pour le palmarès sportif à taguer au-dessus de la cheminée, non loin des trophées.
Aujourd'hui, la Russe américanisée est une diseuse de belles aventures, un geyser à punchlines en développement personnel. Comme beaucoup d'athlètes de haut niveau une fois les cuissettes rangées à la cave. Svetlana est surtout au cœur d'une tempête politico-familiale surprise, onze ans après avoir clôturé sa carrière avec le Seattle Storm.
Et pas de quoi frimer en public pour cette maman exposée au grand jour, car le daddy-lover n'a pas tout à fait le pedigree d'un chouchou comme Yann Barthès. Vladimir Soloviev, qui voit des ukraino-nazis partout depuis le mois de février 2022, est persuadé «qu’à la fin, tout ça se terminera par un coup nucléaire», que les Russes les plus patriotes atterriront «au paradis» et que les autres «vont simplement crever». L'exhaustivité est d'ailleurs impossible quand on parle de ses récentes virées paranoïaques.
Mais comme le sont souvent la vie, la mort ou la guerre, le profil du roi de la propagande est beaucoup plus complexe que ses gesticulations télévisuelles veulent bien nous raconter. Soloviev, passionné comme Poutine d'arts martiaux, n'a pas toujours joué au «boxeur de l'audimat» dans les jupes idéologiques de l'autocrate. Alors jeune homme, et pas (encore) engagé, il considérait la politique comme un frein à son envie de s'éclater et de gagner de l'argent. Avant d'aller jusqu'à porter les Etats-Unis dans son petit cœur et surtout son porte-monnaie. Le début de son parcours ponce d'ailleurs la surprise que l'on peut avoir en apprenant, cette semaine, qu'il aurait propagé son ADN sur le sol américain. Sa vie de famille est un bunker au moins aussi épais que ceux du Kremlin.
Après avoir donné une poignée de cours de physique et d'astronomie à Moscou, notre pourvoyeur d'outrances poutiniennes s'envole pour Huntsville, en Alabama. Nous sommes en 1990. Un homme d'affaires accueillera cet étonnant déménagement avec intérêt: John Hathaway. Un millionnaire républicain qui se serait volontiers lancé dans la course au Congrès (avec le coup de main de Soloviev), s'il n'avait pas été freiné sec par des allégations d'agression sexuelle sur sa baby-sitter, alors âgée de 12 ans.
Ce pote américain l'aurait même impliqué dans la campagne électorale de Bush père. Tout un programme. En réalité, le futur propagandiste de Russia-1 alignera surtout les petits boulots. En vrac, prof de karaté, tondeur de pelouses, vendeur d'extincteurs, maçon, colleur d'affiches, nettoyeur de rue ou encore loueur de voitures. A l'époque, il embarquait avec lui une grosse vingtaine d'années d'existence, une envie de bouffer le monde et, déjà, une deuxième épouse, Yulia, enceinte de son troisième enfant, Ekaterina.
Oui, vous avez bien lu: les jumelles, révélées mardi par l'enquête du gang Navalny, ne sont pas les premières Soloviev à avoir vu le jour du côté de l'Oncle Sam. Et durant cette courte année américaine, il trouvera aussi le temps d'aligner une série de conférences sur la perestroïka de feu-Gorbatchev, au Huntsville Rotary Club. Loufoque? C'est pourtant à l'apéro de l'un de ses blablas américains que Vlad fera la rencontre d'un autre homme d'affaires, un certain Colin Hammond. Avec lui, et une fois de retour à Moscou en 1991, il montera une première société, Meteor, spécialisée dans les équipements pour discothèque. Un déclic pour le jeune trentenaire décrit comme «ambitieux», «fou», «hautain», «vénal», déjà «peu scrupuleux», mais «joyeux» et «plein de vie», selon le média russe indépendant Holod.
En Russie, dans les années nonante, fricoter avec les aspérités du monde de la nuit rapportait manifestement gros. Mais son activité amassait liasses et ennuis plus ou moins au même rythme. Enfin, c'est lui (encore) qui le dit.
Il faudra attendre 1998 pour que le timbre de Vladimir Soloviev, celui que l'on connaît (ou redoute) aujourd'hui, se fraie un premier chemin vers un micro. Et ce sera sur les ondes de la radio russe (mais anglophone) Silver Rain. Là encore, les versions se chamaillent. Quand le principal intéressé affirme avoir été engagé pour son «seul talent», Dmitry Savitsky, patron de la radio, assure qu'il n'avait que quelques heures devant lui pour remplacer un animateur tombé malade.
Savitsky est malgré tout sous le charme: «Sa voix était géniale. Il était absolument à l'aise, parlant sans aucune tension. On pouvait sentir que le public l'appréciait». C'est surtout sa carrure qui a surpris son nouveau patron, à leur première rencontre.
Le premier ennemi de Vladimir Soloviev, bien avant Biden ou Zelensky, a longtemps été Vladimir Soloviev. Très à l'aise socialement, il a toujours entretenu une relation tendue avec son apparence, son corps, son poids. La star russe, peu avant les années 2000 et son mariage avec sa dernière femme, Elga Sepp, tutoyait les 160 kilos.
Le boulot et le stress l'on fait plonger dans ce qu'il appelait le «bonheur de substitution», avant de tout tenter pour fondre, jusqu'à s'envoyer des diurétiques «par poignées», qu'il racontera dans l'un de ses livres, une dizaine d'années plus tard. C'est qu'il avait une nouvelle lubie en tête: la télévision, le pouvoir, la fortune et... rencontrer son nouveau maître à penser: Vladimir Poutine. Un rêve qu'il réalisera le 10 décembre 2002, Journée internationale des droits de l'homme, après une interminable nuit d'insomnie.
Autour de la table ce jour-là, dans la salle de l'Ordre de Saint-Georges, Soloviev, une dizaine de collaborateurs et un chef du Kremlin dont le propagandiste dira ensuite qu'il «affichait un visage fatigué, mais des yeux bleu ciel.» Une vénération totale naissait à vitesse grand V, sous l'oeil peu dupe de pas mal d'observateurs, comme l'ancien député libéral Boris Nadezhdin:
Une réussite personnelle et professionnelle: Soloviev sera décoré par deux fois des mains du président russe.
Ajoutons à cela un besoin insatiable d'être apprécié, connu, reconnu et, finalement rassuré, vous obtenez cet étrange Tucker Carlson russe, avide de provocations et de pouvoir, qui profitera de l'agression russe pour définitivement asseoir son rôle de pantin de Poutine. Cette marionnette de la chaîne Russia-1, qui fera le malin dans tous les foyers du pays, tant que le Kremlin tiendra debout. Et ce n'est pas tout à fait un hasard que l'ex-présentateur controversé de Fox News se soit vu recevoir une offre d'emploi de son homologue de Moscou, le lendemain de son éviction de l'antenne.
Très discret à propos de sa (ses?) vie privée, on l'aperçoit parfois monter au front, sur Telegram ou Twitter, pour défendre les siens. Surtout quand des rumeurs viennent écorner l'album de famille. Il est d'ailleurs probable que l'enquête de l'équipe de Navalny le fasse sortir, une nouvelle fois, du bois. En février dernier, certains accusaient par exemple l'un de ses fils, Danilo Soloviev, d'avoir signé un contrat avec une agence de mannequins londonienne. Au lieu de filer au front, comme papa le hurlait à à l'époque à tous les mioches du pays.
L'avenir de Vladimir Soloviev est désormais soudé à celui de son père spirituel. Si Poutine tombe, il y a peu de chances que le «boxeur de l'audimat» conserve son aura en titane. Mais pour l'heure, notre homme a furieusement raison lorsqu'il prétend, dans des écrits quasi christiques, que «les gens ont l'impression que, même s'ils allument un fer à repasser, il commencera à diffuser ma voix.»