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Ukraine: «Poutine sera remplacé en 2024»

L’empressement avec lequel le monde occidental espère la chute définitive de Vladimir Poutine, se mesure au degré d’imprécision qui la documente.
Vladimir Poutine est «devenu toxique pour les dirigeants du Kremlin».Image: Shutterstock

«Poutine sera remplacé au plus tard en 2024»

Le président russe est «devenu toxique pour les dirigeants du Kremlin», explique le professeur Ulrich Schmid, expert de la Russie à l'Université de Saint-Gall. L'élite du pays travaille désormais au départ de Poutine «par la petite porte».
26.12.2022, 06:0626.12.2022, 08:44
Francesco Benini, Fabian Hock / ch media
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Cela fait maintenant 300 jours que le président russe a déclaré la guerre à l'Ukraine. Sa position au pouvoir en Russie est-elle sûre?
Ulrich Schmid: Poutine a surestimé la force de frappe de sa propre armée et sous-estimé l'esprit de résistance des Ukrainiens. Il s'est aussi complètement trompé dans son évaluation idéologique selon laquelle les Russes sont salués comme des libérateurs par une grande partie de la population ukrainienne.

Qu'est-ce que cela signifie pour lui en tant que président?Poutine a longtemps été considéré comme le garant de la stabilité politique et économique en Russie. Le 24 février, cette position s'est effondrée. Avec sa décision de guerre insensée, il a redistribué les cartes du pouvoir. Les autres joueurs de ce poker politique doivent désormais bien réfléchir sur qui ils vont miser à l'avenir.

Le soutien envers Poutine n'a toutefois pas fortement diminué, que ce soit au sein de la population ou de l'élite.
Les sondages souvent cités sont à prendre avec précaution. Seuls 5% des personnes interrogées sont disposées à donner des informations. Une nette majorité de la population russe est opposée à la guerre. Parmi les élites, on peut parler d'un «parti du 23 février». Ce ne sont pas des réformistes, mais des profiteurs du système. Ils savent qu'il n'y a pas de retour au statu quo ante, mais ils veulent que la situation se normalise le plus vite possible. Pour eux, le monde était en ordre le 23 février. Ils avaient leurs privilèges, leurs comptes bancaires à l'étranger, leurs yachts. Ils pouvaient voyager librement et leurs enfants étudiaient à l'étranger sans être inquiétés.

«Et c'est dans cette situation confortable pour eux que Poutine déclenche une guerre absurde»

Qui appartient à ces milieux?
Il s'agit d'une part d'oligarques, d'autre part d'initiés dits libéraux, comme le Premier ministre Michoustine, le ministre du Commerce Mantourov ou le maire de Moscou Sobianine. Tous sont des technocrates et des fidèles de Poutine. Mais tous trois ne se sont pas exprimés publiquement sur la guerre, afin de ne pas compromettre leur acceptation politique en Russie et à l'étranger. Ils considèrent la guerre comme quelque chose qui va à l'encontre des intérêts de la Russie et de la population russe.

Voyez-vous des efforts sérieux indiquant que l'on cherche à provoquer un changement de pouvoir?
Il me semble que l'on travaille à une sortie par la petite porte. Cette solution doit préserver la face de Poutine et de ceux qui organiseront la suite. Le successeur de Poutine doit remplir trois conditions: il doit représenter l'idéologie nationale conservatrice dominante, garantir les privilèges de l'élite au pouvoir et avoir la capacité de moderniser le système existant.

Si Poutine devait être remplacé, quand cela pourrait-il se produire?
Ce ne sera pas rapide. Si l'on procédait à la relève maintenant, on donnerait l'impression de tirer le frein d'urgence dans une situation militaire difficile. Si une grande victoire militaire n'intervient pas dans l'année qui vient - ce qui n'est pas probable -, je pense que la relève aura lieu en 2023 ou au plus tard lors des élections présidentielles de mars 2024.

Poutine a entièrement adapté le système du pouvoir à sa personne. Il ne peut pas être remplacé comme ça.
C'est le problème de toute dictature personnalisée. Lorsque le dirigeant prend de l'âge, il est très difficile de trouver quelqu'un qui, d'une part, dispose de l'autorité que le dictateur avait et qui, d'autre part, soit suffisamment loyal envers le système. Mais tout n'est pas resté pareil dans la structure du pouvoir depuis le 24 février. Les choses bougent en coulisses. On le voit dans la lutte pour le pouvoir entre l'armée et les différents services secrets. C'est pourquoi on assiste à des mises en scène à la télévision.

Si Poutine s'oppose à son remplacement, ne risque-t-il pas d'y avoir une dégénérescence dans la guerre contre l'Ukraine? Poutine pourrait-il alors utiliser des armes nucléaires?
Vous évoquez la question de savoir si Poutine pourrait avoir perdu la raison. Je ne le pense pas. Il procède toujours dans la logique des services secrets. Poutine a l'intuition que le pouvoir est quelque chose de fragile. Il n'oserait une escalade que si elle lui apportait quelque chose. Il pense en termes de moyens et de fins. Pour l'instant, il utilise la menace de l'escalade comme une arme. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 2020, Poutine a promulgué une loi qui lui garantit, ainsi qu'à sa famille, une immunité personnelle au-delà de la période de sa présidence.

«Cela montre qu'il n'est pas mû par une logique suicidaire»

Quel rôle voyez-vous pour Poutine lorsqu'il ne sera plus président?
Ces dernières années, il a travaillé intensément afin d'avoir des options. Il peut siéger au Conseil de la Fédération en tant que sénateur, il peut présider le Conseil d'Etat, qui a obtenu le rang constitutionnel en 2020. Poutine pourrait également devenir président de l'Union des Etats de Biélorussie et de Russie. Il passerait ainsi à une position moins exposée, qui correspondrait à ses intérêts actuels. Depuis quelques années, il ne se préoccupe plus guère de politique économique ou de politique intérieure; ce qui l'intéresse, ce sont les grands contours et il veut assurer sa place dans l'Histoire.

En Occident, on entend parfois dire que quelqu'un pourrait succéder à Poutine et chercher à se réconcilier avec l'Occident. Est-ce une illusion?
Je ne pense pas qu'une réconciliation avec l'Occident soit possible dans un avenir proche. Il n'y a pas qu'en Ukraine que l'on en est convaincu, mais aussi en Occident. La guerre n'est pas terminée lorsque la Russie dit: «Nous ne tirerons plus.» La demande d'un tribunal international pour les crimes de guerre est envisagée, des réparations sont également exigées.

«Un successeur de Poutine ne pourrait pas s'y résoudre aussi facilement»

Poutine s'est donné pour mission d'accroître l'influence de la Russie. Un tel président peut-il être mis à la retraite? Assume-t-il une fonction d'homme providentiel? S'il continue à exercer le pouvoir, son successeur ne l'acceptera pas.
Nous avons déjà connu cette situation entre 2008 et 2012: il y a eu une concertation informelle entre le président Medvedev et le Premier ministre Poutine.

Poutine avait les rênes en main.
C'est vrai. Mais un départ en douceur de Poutine pourrait tout aussi bien fonctionner: il recule d'un pas, occupe un poste largement représentatif, mais continue d'exercer une certaine influence sur toutes les questions importantes. L'autorité de Poutine s'est fissurée. L'élite au pouvoir sait qu'elle a besoin de quelqu'un comme Poutine, mais sans la guerre. Quelqu'un qui représente le cours conservateur, qui dispose de la capacité nécessaire de s'imposer, mais qui ne mène pas la Russie dans une impasse politico-militaire.

Comment son successeur pourra-t-il sortir la Russie de la situation précaire dans laquelle Poutine a conduit le pays? Comment opérer en position de force?
S'il veut maintenir les positions militaires que la Russie a prises à ce moment-là en Ukraine, il ne s'agit pas d'un retrait, mais d'une stabilisation. Le nouveau président gagnerait du temps et pourrait dire à sa propre population: nous ne faisons ni un pas en arrière ni un pas en avant, mais nous stabilisons la situation.

«La stabilité est quelque chose qui est toujours bien accueilli par la population russe»

Vous n'envisagez pas de chute violente?
Je pense que c'est peu probable. De qui proviendrait une telle action? Ces derniers mois, des bellicistes comme Kadyrov ou Prigojine ont fait la une des journaux. Mais ni l'un ni l'autre n'ont de pouvoir au Kremlin. On sait très bien que ce sont des bandits, avec du sang sur les mains. Lorsque Evgueni Prigojine s'est lui-même retrouvé récemment sous les feux de la rampe, une vidéo contenant des rapports compromettants de sa détention dans les années 90 est apparue. On lui a ainsi fait comprendre qu'il ne fallait pas trop que sa tête dépasse.

Comment la guerre va-t-elle se terminer?
J'imagine qu'il y aura des négociations secrètes. L'armée ukrainienne est assez épuisée. La situation est la suivante: les deux parties sont trop faibles pour gagner. Et trop fortes pour perdre. Des négociations secrètes ont probablement été menées avant le retrait russe de Cherson. A l'époque, une situation gagnant-gagnant avait été définie: les Russes pouvaient retirer leurs soldats en un seul morceau par le Dniepr et les Ukrainiens récupéraient du terrain relativement facilement.

«Des négociations secrètes similaires pourraient permettre d'endiguer le conflit s'il y a un successeur à Poutine»

Vous êtes convaincu que Poutine quittera le pouvoir au plus tard en 2024.
C'est mon hypothèse. Poutine est devenu toxique dans le milieu des dirigeants du Kremlin. Que l'élite dirigeante veuille négocier les modalités d'un départ en douceur du président me semble plausible.

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