Des chiffres impressionnants de l'organisation russe des droits de l'homme OVD-info ont récemment été publiés. Au moins 14 980 personnes ont déjà été arrêtées en Russie pour avoir protesté contre la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. Des arrestations ont eu lieu dans plus de 150 villes, rapporte OVD-info.
Le nouvel article 280.3 du code pénal russe interdit, désormais, de s'opposer à la guerre, car cela induit de «discréditer l'armée». Et il n’en faut pas beaucoup pour enfreindre la loi. Le fait de suggérer une opposition suffit, comme le montrent les arrestations et les jugements actuels en Russie. Des rapports de condamnations sont publiés chaque jour. Poutine s’est dernièrement exprimé sur ses opposants:
Mais qui sont ces personnes qui s'opposent à la guerre, que font-elles exactement et qu'est-ce qui les attend?
Irina Shumilova, 21 ans, originaire d'Ivanovo (RUS), a été libérée le 6 mars à une heure du matin. A ce moment-là, elle était, selon le groupe de défense des droits de l'homme «Agora», la première Russe à avoir été condamnée en vertu de la nouvelle loi. Elle a écopé d'une peine pécuniaire de 30 000 roubles.
Le 4 mars dernier, Vladimir Poutine a fait passer la loi de censure contre le «discrédit des forces armées de la Fédération de Russie.» Le lendemain, Irina Shumilova a manifesté avec son affiche dans le centre-ville. Le soir même, en rentrant chez elle avec sa mère, elle a soudainement été arrêtée et mise en détention. Sur sa page Facebook, quelqu’un a commenté:
Le 10 mars, la police est encore intervenue auprès de l'activiste de gauche. Elle témoigne: «La police m'a donné un nouvel avertissement pour que je n'organise pas de protestations, de rassemblements ou de manifestations illégales».
Manifester une nouvelle fois lorsqu'on a déjà été condamné n'est plus une infraction, mais un délit passible d'une peine de prison. C'est peut-être pour cette raison que les autorités sont si promptes à juger les manifestants.
Son visage est désormais connu dans le monde entier: Marina Ovsjannikova (44 ans) a tenu une pancarte avec des messages anti-guerre devant les caméras de la chaîne publique Channel One lors du journal d’informations russe.
Le lendemain, après douze heures d'interrogatoire dans un lieu inconnu, elle a été condamnée, elle aussi, à 30 000 roubles d'amende. Cette peine pécuniaire s’applique uniquement pour l’infraction de l’article 280.3, «discrédit des forces armées russes». L'accusation principale est encore en cours d'examen. Marina Ovsjannikova est accusée «de diffusion publique d’informations sciemment fausses sur l’engagement des forces armées russes.» Trois procédures avec ce même motif d’accusation sont en cours en Russie.
Si un juge la condamne et estime que son action a eu des conséquences graves, elle risque dix à quinze ans de prison. Et même s’il estime qu’il n’y a pas eu de «conséquences graves» mais qu’il juge qu’elle a agi «par haine et hostilité», une amende de trois à cinq millions de roubles et une peine de prison de cinq à dix ans sont en jeu.
Avec Poutine à la tête de la Russie, elle est confrontée à un avenir totalement incertain: «Je suis désormais l'ennemi numéro un ici», a-t-elle déclaré au journal allemand Spiegel.
Veronika Belotserkovskaya, influenceuse russe, a désormais «officiellement été déclarée comme personne recherchée». C'est ce que «Belonika», le pseudo qu’elle utilise sur instagram, a écrit à ses 900 000 abonnés.
Les enquêteurs russes la recherchent pour ses posts publiés contre la guerre. Elle est la première personne publique à devoir répondre à la loi draconienne sur la «diffusion en connaissance de cause de fausses informations sur les actions des forces armées». Elle fait face à une peine privative de liberté allant jusqu'à quinze ans de prison.
L’influenceuse food et auteure de livres de cuisine, âgée de 51 ans, a pris clairement position à plusieurs reprises depuis le début de la guerre. Elle écrit:
Elle a quitté Saint-Pétersbourg pour la France, où elle a une résidence secondaire. La Russie envisage de lancer un mandat d'arrestation international contre elle – une tentative très probablement infructueuse.
Veronika Belotserkovskaya a reproché à Poutine de mener «une guerre agressive contre un Etat souverain». Le pays dépense chaque jour des milliards de dollars en armes pour soi-disant «sauver» les Russes d'Ukraine:
La publication a eu 560 000 likes, mais entre-temps Instagram a été bloqué en Russie. L’influenceuse affirme être originaire d’Odessa, ville ukrainienne, mais s’est décrite par le passé comme une fière Russe.
Dans les médias russes, elle est parfois appelée la «conscience de Saint-Pétersbourg» ou la «grand-mère de la résistance». Jelena Ossipowa, 77 ans, fait partie depuis des années du paysage des rues de Saint-Pétersbourg.
Après avoir protesté par le passé avec des pancartes soutenant les prisonniers politiques, la liberté d’expression et dénonçant les armes nucléaires, cette activiste proteste maintenant contre la guerre de Poutine. Elle a déjà été arrêtée au moins trois fois et les images ont fait le tour du monde.
Une fois, elle a été embarquée dans un fourgon de prisonniers. Une autre fois, elle a été emmenée dans une voiture de police. On ne sait rien des jugements rendus jusqu'à présent, et OVD-info n'a pas non plus fourni d'informations à ce sujet. La dernière fois qu'elle a été arrêtée, c'était le 13 mars 2022.
En Occident, sa teneur symbolique a même été exagérée. Les politiques et les médias l'ont qualifiée de survivante du siège de Leningrad par la Wehrmacht. Dans ce contexte, sa position contre la guerre en Russie aurait encore un poids tout particulier. Mais, en réalité, lorsqu'elle est née en 1945, le blocus était déjà terminé depuis un an.
Helga Pirogova a pris clairement position au Parlement de Novossibirsk, en Sibérie: elle est apparue en chemisier bleu et avec une couronne de fleurs jaunes sur la tête. Les membres de l'assemblée lui ont ordonné de quitter la réunion. Le président a également voulu lui prendre son téléphone portable, a-t-elle écrit. Elle était dans un environnement plutôt hostile, car pendant l’assemblée, des masques imprimés d'un «Z» ont été distribués et un élu portait un t-shirt noir avec un grand Z au milieu. Un symbole de soutien à l'armée russe.
De plus, des perquisitions viennent d'avoir lieu chez les députés de l'opposition, sous le prétexte qu'ils auraient escroqué ou volé de l'argent à la ville dans le cadre de leurs activités. On ne sait pas si Helga Pirogova fait l'objet d'une enquête pénale.
Julia Galyamina envoie actuellement des messages depuis la prison pour femmes de Sakharovo. L'ancienne députée du parlement de la ville de Moscou y est incarcérée pour 30 jours. Elle avait déjà été arrêtée avant le durcissement de la loi du 4 mars dernier lorsqu’elle avait appelé à la protestation avec la photo d'un calendrier et les mots «Pas de guerre». Les autorités lui reprochent «des violations répétées des règles relatives à la tenue de manifestation non autorisée». Son compagnon a filmé la manière dont elle a été emmenée.
⚡️Юлию Галямину везут в спецприемник в Сахарово! pic.twitter.com/0FZzX2KH38— Юлия Галямина (@galiamina) March 5, 2022
Lors du procès, un scandale avait éclaté parce que la juge voulait lui interdire le dernier mot et avait appelé des huissiers pour cela. Julia Galyamina a maintenu sa position devant la juge. Depuis la prison, elle écrit que de nouvelles filles arrivent constamment et qu'une nouvelle section vient d'être ouverte. «Les femmes de Russie sont enfermées dans ces cellules, à cause de leurs convictions politiques». Mais ces femmes sont aussi l'espoir de la Russie.
Pavel a 30 ans et on n’en sait pas plus sur lui. La seule chose connue est qu’il a déposé une œuvre d’art devant le bâtiment gouvernemental à Ekaterinbourg. Son installation a été retiré en un rien de temps. On ne trouve aucune photo dans les médias russes, ils n'ont pas le droit de montrer l'œuvre.
Il s'agit d'un grand paquet de cigarettes, mais avec des missiles à l'intérieur et un avertissement: «Bon sens. Les opérations militaires spéciales tuent.» Une amende de 45 000 roubles a été infligée à l’artiste par le tribunal de district. Son avocat a fait recours: «Les opinions divergentes ne discréditent pas les forces armées. C'est un peu insensé», selon le cite e1.eu.
Dix membres de la communauté ont assisté au service religieux de Johannes Burdin dans la petite église de la Résurrection du Christ dans le village de Karabanowo. Un d'entre eux s’est présenté à la police et a dénoncé le prêtre. Johannes Burdin a ensuite été interrogé pendant des heures. Les médias locaux rapportent que, selon le procès-verbal du tribunal, il lui est reproché d'avoir «donné publiquement aux paroissiens des informations sur l'attaque des forces armées russes contre l'Ukraine» et d'avoir appelé les pays à la paix.
Johannes Burdin a déclaré au quotidien économique russe Kommersant: «Si je n'ai pas le droit de dire que les bains de sang sont inadmissibles et qu'il est inacceptable de tuer des frères et des sœurs, alors de quoi devrais-je parler?» Il a été condamné à une amende de 35 000 roubles, mais a fait appel. Il ajoute:
Une feuille A4 avec huit astérisques, c'est ce que Mikhail Gusev tenait entre ses mains le 12 mars sur la place de la Révolution à Ivanovo, à 250 kilomètres au nord-ouest de Moscou. Et c'était suffisant pour l'arrêter. La combinaison «***» et «*****» peut facilement être comprise comme «Нет войне» - «pas de guerre».
Après tout, à Nijni-Novgorod, une femme a même été arrêtée devant les caméras avec un papier sur lequel était écrit: «Deux mots».
Le cas de Mikhail Gusev n'a pas encore été tranché. Un portail d'information régional a toutefois commenté: «Depuis l'étranger, il est très difficile d'imaginer et encore plus de comprendre ce que la Russie est devenue en quelques semaines seulement.»
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz