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Poutine et sa «machine répressive» étouffent les critiques

Comment Poutine et sa «machine répressive» étouffent toutes les critiques

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Vladimir Poutine agit d'une main de fer.Image: sda
Poutine perd-il son soutien en Russie? Les critiques contre sa conduite de la guerre se font de plus en plus fortes, mais elles ne parviennent pas à se propager dans toutes les couches de la population.
13.09.2022, 18:4513.09.2022, 18:46
Liesa Wölm / t-online
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«La guerre en Ukraine continuera jusqu'à la défaite complète de la Russie», s'est insurgé la semaine dernière l'ultranationaliste russe Igor Girkin, dans une vidéo envoyée à ses 430 000 abonnés sur Telegram. «Nous avons déjà perdu, le reste n'est plus qu'une question de temps.» Depuis des mois déjà, l'ancien colonel des services secrets déplore les erreurs tactiques de l'armée russe - et cela fait longtemps qu’il n'est plus le seul.

Récemment, les critiques du chef de la République tchétchène ont fait sensation. «Si des changements ne sont pas apportés, aujourd'hui ou demain, à la conduite de l'opération militaire spéciale, je serai contraint d'aller voir les dirigeants de l'Etat pour leur expliquer la situation sur place», a fait savoir Ramzan Kadyrov dimanche sur Telegram. Dans le message audio, il a parlé d'«erreurs» qui ont été commises. Kadyrov se montre par ailleurs très loyal envers le président russe et soutient la guerre au moyen de ses propres soldats.

Les troupes ukrainiennes gagnent du terrain à Kharkiv

La raison des critiques croissantes de ces derniers jours est avant tout la reconquête de la région de Kharkiv par les troupes ukrainiennes. La Russie a ensuite déclaré le retrait de ses soldats des villes de Balakliia et d'Izioum. Le front de Moscou vacille - et avec lui le soutien à Poutine?

Le ton se durcit. En tout cas dans les rangs des hommes politiques russes.

«Nous trouvons que les actions du président Vladimir Poutine nuisent à l'avenir de la Russie et à ses citoyens»
Xenia Torstrem, députée d'un conseil de district de Saint-Pétersbourg, mardi matin, sur Twitter.

Xenia Torstrem a publié une pétition pour la démission du président. Celle-ci aurait été signée jusqu'à présent par plus de 40 politiciens locaux de 18 districts de Saint-Pétersbourg, de la métropole de la mer Baltique, ainsi que de Moscou, la capitale.

«Tout est allé de travers»

La semaine dernière déjà, des vents de contestation avaient soufflé depuis un arrondissement de Moscou. «Tout est allé de travers», ont critiqué les représentants de Lomonossovski à l'encontre du chef du Kremlin. Le produit intérieur brut n'a pas doublé comme promis, le salaire minimum n'a pas augmenté comme prévu et de nombreuses personnes intelligentes et travailleuses quittent la Russie en masse. Tels étaient les reproches.

Les politiciens locaux ont immédiatement exigé des conséquences pour Poutine: «Nous vous demandons (...) de quitter votre poste, car vos opinions et votre modèle de leadership sont désespérément dépassés.» La rhétorique du président est imprégnée «d'intolérance et d'agression» et renvoie la Russie à l'époque de la guerre froide.

Dmitri Paljuga, député de l'arrondissement de Smolninskoje à Saint-Pétersbourg, a tout aussi vivement critiqué la stratégie de guerre russe. «Nous voulons montrer aux gens qu'il y a des députés qui ne sont pas d'accord avec le cours actuel des choses», a déclaré Paljuga la semaine dernière à la plateforme d'investigation russe The Insider.

«Nous voulons montrer aux gens que nous n'avons pas peur d'en parler», a-t-il ajouté. Avec d'autres députés, le politicien a l'intention d'adresser une demande à la Douma d'Etat: le président russe devrait être inculpé de haute trahison en raison de la guerre en Ukraine.

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Les conséquences directes de telles actions de protestation devraient être extrêmement faibles. Cependant, ces actes d'opposition ne sont pas sans danger. Depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février, la justice russe est particulièrement sévère à l'égard des opposants et des dissidents qui s'expriment de manière critique sur «l'opération militaire spéciale», comme il faut appeler la guerre en Russie. Les hommes politiques de Smolninskoje risquent d'être accusés de dénigrer les forces armées russes - et, dans le pire des cas, de passer de nombreuses années en camp de détention. «La machine répressive continue de tourner à plein régime», explique l'experte russe Anna Litvinenko à t-online.

Qui est Anna Litvinenko?

Elle a étudié le journalisme à Saint-Pétersbourg et a travaillé comme journaliste pour différents médias russes et allemands. Après avoir obtenu son doctorat en 2007, elle est devenue professeur assistante à l'université de Saint-Pétersbourg. De 2015 à 2020, Litvinenko a été membre du groupe de recherche Emmy-Noether «La médiatisation du pouvoir (semi-)autoritaire: le pouvoir d'Internet dans l'espace postsoviétique» à l'Université libre de Berlin. Elle y est désormais collaboratrice scientifique à l'unité de travail «Digitalisation et participation» à l'Institut des sciences de la communication et de la publicité.

«Il y a un clivage parmi les partisans de Poutine»

Elle constate toutefois un certain changement: «Il y a manifestement un clivage parmi les partisans de Poutine.» D'un côté, il y aurait les médias russes - surtout ceux de l'Etat - qui agissent autant que possible comme si rien n'avait changé pendant la guerre. Par exemple, les reculs à Kharkiv seraient appelés «regroupements». On explique que c'était stratégiquement prévu pour économiser des forces et on met l'accent, dans les reportages, sur les pertes ukrainiennes, explique l'experte.

«On parle des exploits individuels pour détourner l'attention des échecs»
Anna Litvinenko.

D'autre part, certains défenseurs de la soi-disant «opération spéciale» se sont sentis trahis, car ils jugent que les objectifs de Poutine n’ont pas été atteints. Parmi les journalistes nationalistes, l'ambiance a changé, dit Litvinenko. «Certains d'entre eux parlent d'une terrible défaite en Ukraine.» Les voix critiques du côté libéral se trouvent presque toutes à l'étranger ou en prison. Les voix de droite qui s’élèvent, quant à elles, sont nouvelles. Elles constatent de nombreuses pertes, erreurs et problèmes militaires dans l'armée. «On va probablement essayer maintenant de trouver un bouc émissaire», dit l'experte.

Critiques massives à la télévision publique

Les voix critiques se multiplient aussi à la télévision russe. Un ancien député de la Douma, Boris Nadezhdin, a par exemple déclaré il y a quelques jours lors d'un débat:

«Nous sommes maintenant à un point où nous devons comprendre qu'il est absolument impossible de vaincre l'Ukraine avec les moyens et les méthodes de la guerre coloniale, avec lesquels la Russie tente de mener cette opération. Il y a des soldats sous contrat, des mercenaires et aucune mobilisation»
Vidéo: watson

Selon lui, l'armée russe a en face d'elle une armée forte, pleinement soutenue par les pays les plus puissants sur le plan économique et technologique. Nadezhdin a donc proposé des pourparlers de paix. Regardez les scènes dans la vidéo ci-dessus ou ici.

Le blogueur de guerre Youri Podoliaka, un propagandiste ayant de bonnes relations avec l'armée russe, a également haussé le ton. Sur Telegram, il écrit mardi matin: «Même les hauts dirigeants russes ne comprennent pas et n'acceptent pas complètement le fait que nous sommes en guerre, que les choses ne se déroulent pas comme prévu et que si rien n'est changé, tout se déroulera selon le plan de Washington.» Podoliaka exige d'ici le printemps «des réformes sérieuses dans l'armée et au niveau du front intérieur.»

Une loi de censure sévère

Il se prononce en outre pour que la guerre en Russie soit désormais qualifiée comme telle et non plus comme une «opération spéciale». «Et ce d'autant plus que pendant l'opération à Izioum, il est devenu clair pour n'importe qui s'intéressant vraiment à la politique et à la guerre que nous ne sommes pas en guerre avec l'Ukraine, mais avec l'OTAN et pour le droit de vivre sur notre terre», s'emporte le blogueur devant ses plus de 2,3 millions de followers.

Une loi de censure sévère en Russie. Peu après le début de la guerre d'agression russe, le Kremlin a introduit une nouvelle loi qui punit la diffamation de l'armée russe. Quiconque salit l'image des forces armées de Poutine par des informations fausses, supposées ou réelles, risque jusqu'à 15 ans de prison en Russie. Des mots comme «guerre», «attaque» ou «déclaration de guerre» sont interdits.

«Poutine veut endormir la population»

Podoljaka fait aussi partie de ceux qui s'indignent des célébrations qui ont eu lieu à Moscou le week-end dernier. Les uns se sont battus pour le droit de vivre, tandis que les autres ont fait la fête comme si de rien n'était, critique-t-il. «Le contraste est saisissant», déclare l'experte Litvinenko.

Elle explique que depuis le début de la guerre d'agression russe, les célébrations se multiplient de manière frappante. C'est très étrange. Il y a par exemple souvent des fêtes de rue dans les petites et grandes villes. Dans ce contexte, les critiques ont été particulièrement vives à l'encontre du chef du Kremlin lui-même. En effet, alors que son armée a échoué dans la région de Kharkiv, Poutine a inauguré une grande roue dans la capitale russe.

«C'est ainsi que l'on essaie d'endormir la population», explique Litvinenko. On veut préserver l'illusion de la normalité et de la stabilité - suggérer que tout continue comme avant. Cela semble fonctionner dans une large mesure: L'ambiance au sein de la population n'a pas changé, dit la spécialiste de la Russie. Le changement concerne les élites.

Comment Poutine et son entourage réagissent-ils à la critique croissante? «Très probablement avec plus de répression», selon Litvinenko. On ne sait pas comment la situation va évoluer.

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