C'est une escalade de plus au Moyen-Orient: Israël a bombardé mardi une résidence des cadres du Hamas, au cœur de Doha, capitale du Qatar. Le pays du Golfe est ainsi touché malgré lui dans la guerre qui oppose Tel Aviv au mouvement islamiste, dont six membres ont été tués. On compte une victime collatérale: un policier qatari.
Benjamin Netanyahou, le premier ministre israélien, qui a revendiqué l'opération, s'en est même vanté: «Israël l'a initiée, Israël l'a menée, et Israël en assume l'entière responsabilité», a-t-il déclaré. Sauf que le Qatar n'est pas n'importe quel pays: c'est le centre névralgique de la diplomatie géopolitique du monde arabe.
Que se passe-t-il au Moyen-Orient? Nous en discutons avec Cyrus Schayegh, spécialiste du Moyen-Orient au Graduate Institute de Genève.
Israël qui frappe au Qatar, s'agit-il d'un tournant?
Non, pas vraiment. Israël a déjà éliminé de nombreux membres du Hamas en dehors de Gaza. C’est plutôt la continuation d’une politique israélienne des gains politiques et militaires à court terme. Mais s'il s'agit d'une attaque sur le territoire qatari, il ne s'agit pas non plus d'une attaque contre le Qatar en tant que tel, donc la réaction qatarie est attendue. Il y a aussi une tentative de torpiller une solution diplomatique à Gaza, même contre l'opposition d'une majorité israélienne, qui a peur pour les otages.
L'armée israélienne pilonne la bande de Gaza depuis bientôt deux ans. On savait que des membres du Hamas se cachaient à Doha. Pourquoi décider de frapper maintenant?
Militairement, cela correspond certainement à une fenêtre d'opportunité: avoir assez de cadres du Hamas au même endroit, au même moment. Mais ce genre de fenêtres, il y en a souvent. La vraie raison est liée à la politique intérieure de Benjamin Netanyahou et est parfaitement réfléchie.
Justement, ce dernier a ouvertement revendiqué ces frappes. Quelle est sa stratégie?
Le gouvernement Netanyahou doit faire face aux manifestations politiques, dans la rue, qui sont grandissantes. Il veut montrer qu'il frappera les cadres du Hamas partout où ils se trouvent. En Israël, même l'opposition à Netanyahou est unanime sur la question de l'élimination du Hamas. Il a tout à gagner en frappant des cadres dominants du mouvement, même à l'étranger. C'est un gain politique sans danger auprès de la société israélienne. Il a tout à y gagner.
Diplomatiquement, qu'est-ce que cela représente?
Au Qatar se trouvait un bureau officiel du Hamas, car il est utilisé comme place de négociation au Moyen-Orient. Les membres du Hamas tués mardi sont donc plus proches de la branche politique du mouvement et moins militarisés que les combattants présents à Gaza.
Il est clair que le Hamas et le Qatar ne vont pas se remettre immédiatement aux négociations. C'est l'autre objectif important de cette frappe, lié à Gaza: Israël pourra argumenter que le Hamas ne veut pas discuter et envoyer des troupes israéliennes à Gaza-Ville sans être freiné diplomatiquement.
Il n'empêche, c'est un coup dur pour le Hamas, non?
Au sein du gouvernement israélien, il y a des gens qui pensent qu'on peut faire avec le Hamas ce qu'on a réussi à faire avec le Hezbollah l'année dernière:
Entre les frappes sur le Sud-Liban et les attaques aux bipeurs, Israël a particulièrement affaibli le mouvement chiite, qui ne s'en est pas vraiment remis. Son action militaire a abouti à un changement de donne politique sur le terrain. Le Hamas n'a pas été détruit avec cette frappe, c'est clair, mais le gouvernement israélien espère à terme atteindre un point de rupture.
Qu'en pensent les pays du Golfe?
Israël, même s'il n'était pas un allié, agissait pour la majorité de ces pays comme un stabilisateur vis-à-vis de l'Iran, en tout cas jusque vers 2023. Désormais, il est de plus en plus perçu comme un Etat déstabilisateur et qui se moque des intérêts de ses partenaires. Cette attaque est un cas de plus: les Etats du Golfe, dont l’Arabie saoudite, étaient en désaccord avec le Qatar de 2017 à 2021.
Netanyahou se met aussi à dos Donald Trump. Cela pourrait lui coûter cher, non?
En fait, ce n'est pas la première fois que Donald Trump critique Netanyahou. L'alliance entre les Etats-Unis et Israël devrait survivre à cet épisode sans problème majeur. Pour les pays du Golfe, y compris le Qatar, Washington — qui a par ailleurs une base militaire au Qatar, qui ne va pas bouger — sont le plus grand pourvoyeur de sécurité. Le problème possible, à terme, c'est plutôt si ces pays considèrent qu'Israël est une plus grande menace que l'Iran et que Trump fait partie de cette équation en leur défaveur.
Qu'en pensez-vous: y aura-t-il d'autres frappes israéliennes?
C'est possible, mais peu probable.
La situation évolue toutefois d'un mois à l'autre. Mais les Israéliens ne vont jamais attaquer la Turquie, par exemple, cela n'aurait aucun sens.