Tendance mode ou symptôme des ratés de l’intégration ? Les médias allemands s’interrogent. Depuis le début de l’été, ils rendent compte d’un phénomène apparu ces derniers mois sur le réseau social TikTok. Son nom: Talahon. Dérivé des mots arabes «taeal» et «huna», le mot signifie littéralement «viens ici!». Il désigne des adolescents et jeunes hommes issus de l’immigration moyenne orientale vivant en Allemagne et qui se nomment eux-mêmes ainsi.
L’expression est à présent reprise par d’autres, l’extrême droite AfD notamment, qui y met une connotation négative. Mais l’extrême droite n’est pas seule à s’inquiéter ou dénoncer un mouvement qu’on pourrait traduire en français par «racaille» ou «caillera», sa version en verlan.
Les Talahons s’affichent dans des vidéos TikTok avec du rap en fond sonore. A la fois prudes et exhibitionnistes, ils donnent dans un univers masculiniste décomplexé: exaltation des armes et de la violence, discours misogynes cantonnant la femme à la maison, allusions sexuelles appuyées.
La panoplie vestimentaire, avec casquette-survêt-pochette de marque, Gucci, Lacoste et Armani de préférence, rappelle le look des «mecs de cités» des années 90 et 2000 en France. Ceux-là mêmes qui, par leur comportement de bad boys, ont perpétué le mot «racaille», qui existait avant l’immigration maghrébine et subsaharienne ici visée. En usage dans les classes populaires, y compris dans les familles immigrées, il désignait et désigne encore la «mauvaise graine» avec qui il ne faut pas traîner. Les racailles sont devenues des cailleras, lesquelles se sont parfois approprié le stigmate.
En Allemagne, le terme «Talahon» procède davantage de l’autostigmatisation, avec une dimension provocatrice qui paraît évidente. A-t-on affaire à du second degré? Au contraire, à une beauferie qui se prend au sérieux? Les origines, arabes ou afghanes, par exemple, participent de l'affirmation virile.
Interrogée dans son édition du 17 juillet par le quotidien allemand à grand tirage Bild, la directrice du Centre de recherche sur l'islam global à l'Université Goethe de Francfort, Susanne Schröter, ne minimise pas le phénomène:
Susanne Schröter dirige un centre de recherche sur l’islam. Y a-t-il un rapport entre le conservatisme de ces jeunes migrants originaires de pays musulmans et le rigorisme islamique en vogue parmi la jeunesse musulmane en Europe? Pour la Suisso-Tunisienne Saïda Keller-Messahli, auteure du livre «La Suisse, plaque tournante de l'islamisme: un coup d'œil dans les coulisses des mosquées» (éditions Alphil), la réponse est oui.
Pour Saïda Keller-Messahli:
La Suisso-Tunisienne ajoute, à propos de ces garçons: «Eux-mêmes sont des produits du capitalisme, qui tire profit des niches identitaires. Nike y participe en promouvant le hijab dans le sport. Ce faisant, très loin du côté faussement hype de cette publicité, la marque donne raison à l’islam rigoriste, qui, lui, n’est pas un jeu ou un sport, mais une vision politique de la société.»
En Allemagne, où «Talahon» est en passe de s’imposer comme le mot de l’année parmi la jeunesse, un producteur de musique a généré une chanson par intelligence artificielle, assortie d’un clip, comme le rapportait mardi watson. Son titre, bien placé dans les charts d’outre-Rhin: «Verknallt in einem Talahon» («Crush avec un Talahon»).
La chanson, qui semble être inspirée du vieux tube de Sylvie Vartan «2’35 de bonheur», s’amuse des représentations peu flatteuses associées au style «caillera» des Talahons. Cette production s’est attiré les critiques de ceux qui y voient un biais xénophobe et raciste. En Suisse, singulièrement dans la partie alémanique où le phénomène Talahon est observé, celui-ci n'aurait pas pris.
Reste la question peut-être de fond. Celle du masculinisme, ou, si l’on préfère, de l’exaltation de la virilité, qui trouve toujours plus d’adeptes chez les jeunes hommes sur les réseaux sociaux. L’époque Alain Delon censée révolue, reviendrait-elle, en mode très peu galant?