International
Reine Elizabeth II

Elizabeth II a changé la relation entre la Chine et le Royaume-Uni

Queen Elizabeth II stands on the balcony during the Platinum Jubilee Pageant at the Buckingham Palace in London, Sunday, June 5, 2022
Image: Keystone

Comment Elizabeth II a changé la relation entre la Chine et le Royaume-Uni

La Reine avait été le premier monarque britannique à effectuer une visite dans l'empire du Milieu. Mais depuis, l'ambiance s'est nettement refroidie entre les deux pays.
18.09.2022, 08:38
Richard Arzt / slate
Plus de «International»
Un article de Slate
Slate

Lorsque le décès d'Elizabeth II a été annoncé, les dirigeants chinois ont tenu à montrer leur respect pour l'institution royale britannique et pour celle qui l'a incarnée pendant soixante-dix ans, laissant de côté les différends qui existent depuis quelques années entre la Grande-Bretagne et la Chine.

Le développement d'échanges amicaux entre les deux pays

Le 9 septembre, la télévision publique chinoise, CCTV, a ainsi indiqué:

«Au nom du gouvernement et du peuple chinois ainsi qu'en son nom propre, le président Xi Jinping a présenté ses profondes condoléances à la famille royale, au gouvernement et au peuple britannique»

Le message a été adressé au roi Charles III tandis que le Premier ministre chinois Li Keqiang a envoyé ses condoléances à la Première ministre britannique, Liz Truss.

Puis, l'une des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a déclaré que la reine avait apporté des contributions importantes pour renforcer la compréhension entre les peuples chinois et britannique, et avait développé les échanges amicaux entre les deux pays. Enfin, le 12 septembre, Wang Qishan, vice-président chinois, s'est rendu à l'ambassade du Royaume-Uni à Pékin. Il s'est recueilli en silence devant un portrait de la reine Elizabeth, avant de signer le livre de condoléances.

Le vice-président a par la suite rappelé que le Royaume-Uni et la Chine fêtaient cinquante ans de relations diplomatiques et a ajouté:

«Nous espérons que le Royaume-Uni pourra adopter une perspective stratégique et à long terme et travailler avec la Chine pour renforcer le dialogue et les échanges, afin que les relations bilatérales progressent sur une voie de développement solide et stable»

La première monarque britannique à visiter la Chine

La presse chinoise a largement repris tous ces propos officiels en rappelant également qu'en 1986, Elizabeth II avait été le premier monarque britannique à effectuer une visite en Chine. Elle avait alors été reçue à Pékin avec égards et sourires par Deng Xiaoping, l'homme fort du régime, avait pu visiter la Cité interdite, le Temple du Ciel, la Grande Muraille. On devine sa popularité dans cette Chine qui, dans les années 1980, commence à s'ouvrir au monde.

En marge de ce séjour, le prince Philip, qui accompagne son épouse, s'était rendu à la grande université de Pékin pour y rencontrer les étudiants anglais. Avec la forme d'humour particulière qui le caractérisait, il leur avait alors conseillé de «ne pas rester trop longtemps en Chine, au risque d'avoir les yeux bridés». Le Foreign Office formulera des excuses et s'efforcera de faire en sorte que ces propos soient le moins possible repris dans la presse anglaise.

La semaine du couple royal s'était ensuite poursuivie à Xi'an (Shaanxi), Kunming (Yunnan), Canton (Guangdong) et Shanghai, où la reine avait invité des membres du gouvernement chinois à un banquet à bord du royal yacht Britannia. Cette visite incontestablement réussie d'Elizabeth II a montré que le Parti communiste chinois ne souhaitait plus faire allusion aux relations passées entre la Grande-Bretagne et la Chine.

Entre la Chine et le Royaume-Uni, il y a Hong Kong

Au XIXe siècle, la Compagnie britannique des Indes orientales importait du pays asiatique de la soie, du thé et de la porcelaine qu'elle envoyait vers l'Europe. Et payait ces produits à l'aide d'opium récolté en Inde, qui s'est donc répandu dans de nombreuses fumeries en Chine. Le gouvernement de l'Empire chinois s'opposant à ce commerce, deux «guerres de l'opium» furent déclenchées.

En 1859, des troupes françaises s'associèrent au corps expéditionnaire anglais. Mais, alors que le but officiel de l'expédition française était d'installer des missionnaires catholiques en Chine, la Grande-Bretagne visait surtout à préserver ses intérêts économiques. Ce qui fut le cas avec la victoire franco-anglaise qui, en 1860, obligea la Chine à se plier aux exigences des deux nations européennes.

Ces différents épisodes n'ont toutefois pas provoqué un ressentiment démesuré à l'égard du Royaume-Uni lorsque la Chine est devenue une république populaire en 1949. Cette année-là, les Britanniques, à la différence des autres pays occidentaux, ont décidé de ne pas supprimer leur ambassade à Pékin. Un simple chargé d'affaire en assurait la responsabilité et un autre dirigeait leur représentation à Taïwan.

Surtout, la Grande-Bretagne avait, depuis 1898, une colonie attenante à la Chine: Hong Kong.

Sous la reine Victoria, en 1898, les Britanniques s'y étaient installés et y disposaient d'un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans

Sur ce territoire hongkongais densément peuplé, les compétences commerciales et financières se sont rapidement développées. À partir de 1949, l'économie communiste chinoise, largement coupée du reste du monde, a donc abondamment profité de Hong Kong: une importante partie de ses devises étrangères en provenait.

Mais la question de la fin du bail, prévue en 1997, se posait à la Grande-Bretagne. Deng Xiaoping et les dirigeants chinois ne semblaient pas avoir hâte de l'aborder et ont, semble-t-il, été surpris lorsque la Première ministre anglaise Margaret Thatcher, au cours d'une visite officielle à Pékin en 1982, a fait savoir que son pays ne souhaitait pas garder Hong Kong après 1997.

Un deuxième voyage en 1984 fixera les conditions de cette «restitution», notamment une période de cinquante ans de semi-autonomie pour le territoire (une disposition largement bafouée en 2020, lorsque Pékin a unilatéralement repris Hong Kong en main). Enfin, en 1986, le voyage d'Elizabeth II était symboliquement venu clore le processus de négociations en vue de la restitution de Hong Kong à la Chine. D'ailleurs, avant d'arriver à Pékin, la reine était passée par ce territoire alors britannique.

Carrosse et grossièreté

En ce mois de septembre 2022, les Hong Kongais ont chaleureusement salué sa mémoire. Bien que les rassemblements soient interdits sous prétexte de Covid, ils ont été très nombreux à se rendre devant le consulat du Royaume-Uni pour y déposer des fleurs. Le média en ligne HK01 a par ailleurs rappelé qu'avant 1986, Elizabeth II s'était déjà rendue une première fois à Hong Kong en 1975, au cours de laquelle:

«Elle avait rendu visite à des familles ordinaires hongkongaises, était allée au marché en portant des talons hauts, s'était rapprochée des commerçants, montrant ainsi son côté convivial»

Tout cela exprime une discrète nostalgie de l'époque coloniale. Personne ne rappelle qu'en 1967, au plus fort de la révolution culturelle en Chine, de violentes manifestations antibritanniques avaient été organisées par des maoïstes et qu'une vingtaine d'entre eux avaient été abattus par la police. À la suite de quoi, la Hong Kong Police force avait été félicitée par le gouvernement britannique, tandis que la reine lui attribuait l'honneur d'ajouter l'épithète «royal» à son nom.

«Une officière de police anglaise en uniforme raconte à la reine qu'elle a participé à la sécurisation du voyage de Xi Jinping sept mois plus tôt. Oh! pas de chance, répond Sa Majesté»

Au cours des quarante dernières années, les principaux dirigeants chinois ont effectué des visites officielles à Londres et ont rencontré la reine. Outre les visites des Premiers ministres successifs, en 1999, Jiang Zemin est le premier président de la République populaire de Chine à faire une visite d'État en Grande-Bretagne et à être accueilli pour un dîner officiel à Buckingham Palace. En 2005, c'est Hu Jintao qui est tout aussi officiellement reçu par la reine. Puis, en 2015, c'est le tour de Xi Jinping. La réception d'octobre 2015 est entourée du faste habituel. Le président chinois arrive au palais dans un carrosse doré attelé de chevaux blancs et est accueilli par Elizabeth II.

Mais en mai 2016, au cours d'une garden-party dans le parc de Buckingham, une officière de police anglaise en uniforme raconte à la reine qu'elle a participé à la sécurisation de ce voyage de Xi Jinping sept mois plus tôt. «Oh! pas de chance», répond Sa Majesté.

Le lord chambellan qui est présent explique que la policière a été bousculée par le service d'ordre chinois de Xi Jinping tandis que l'officière confie:

«Je ne sais pas si vous l'avez su, mais ça a été des moments assez éprouvants pour moi»

Elle explique notamment que des responsables chinois ont quitté une rencontre avec Barbara Woodward, ambassadrice du Royaume-Uni en Chine, affirmant subitement que leur visite était terminée.

«Oui je sais. Ils ont été très grossiers avec l'ambassadrice»
Elizabeth II

L'ensemble de cette conversation a été filmé par une équipe de télévision de Buckingham Palace. La reine ne l'avait pas remarqué ou pensait parler trop bas pour pouvoir être enregistrée... Mais il y avait là de quoi jeter une ombre sur la visite de Xi Jinping alors qu'à cette époque, le Premier ministre David Cameron tenait particulièrement à développer les relations commerciales entre le Royaume-Uni et la Chine.

À Pékin, le ministère des Affaires étrangères a alors rappelé avec force que la visite du numéro 1 chinois à Londres a été «très fructueuse». Mais chaque fois qu'il a été fait allusion à cet incident sur la chaîne BBC diffusée en Chine, les propos ont été coupés.

Des contentieux de plus en plus nombreux

Un contentieux beaucoup plus large s'est installé en 2021: Londres a révoqué la licence de diffusion en Grande-Bretagne de la CGTN, la chaîne internationale de la télévision chinoise, estimant que sa ligne éditoriale était exclusivement fixée par le Parti communiste chinois. Pékin a répliqué en accusant la BBC de «parti pris idéologique et de diffusion de fausses informations» à la suite d'un reportage sur le Covid-19 en Chine.

Bien d'autres sujets d'affrontements se sont par ailleurs déclenchés entre les deux pays. Le gouvernement britannique a ainsi accompagné la dégradation des relations entre la Chine et les États-Unis, instaurée par l'administration Trump et que la présidence Biden ne dément pas.

L'attitude autoritaire de Pékin à l'égard de Hong Kong est notamment vivement remise en cause à Londres. En janvier 2021, le gouvernement anglais a accordé des droits privilégiés à des ressortissants de son ex-colonie, qui leur ont permis d'émigrer en Grande-Bretagne et d'y demander leur naturalisation. La répression des populations ouïgoures du Xinjiang est également un solide différend entre Londres et Pékin.

Sur le plan économique, Boris Johnson a exclu Huawei, le géant chinois des télécoms, du réseau 5G britannique en 2021, en raison de préoccupations de sécurité intérieure. Ce qui a évidemment été très mal pris par le gouvernement chinois. Quant à Liz Truss, la nouvelle Première ministre britannique, elle a d'ores et déjà qualifié la Chine de «menace pour la sécurité nationale».

Charles III plutôt que le gouvernement britannique

De leur côté, avant la période Covid, les membres de la famille royale britannique ont régulièrement effectué des voyages en Chine. En 1997, le prince Charles représentait la couronne à Hong Kong lors de la cérémonie de restitution du territoire à la Chine. En 2015, le prince William, duc de Cambridge, a été reçu à Pékin par le président Xi Jinping, puis est allé dans la province du Yunnan où il a visité une réserve naturelle comprenant un sanctuaire pour éléphants.

En 2016, c'était au tour du prince Andrew d'être reçu par Xi Jinping. Dès le 10 septembre, le dirigeant a par ailleurs envoyé un message de félicitations au roi Charles III. Il écrit:

«J'attache une grande importance au développement des relations entre la Chine et le Royaume-Uni et je suis prêt à travailler avec le roi Charles III» afin de «promouvoir le développement sain et stable des relations bilatérales dans l'intérêt de nos deux pays et de nos deux peuples»

Ce genre de formulation révèle qu'après la trêve imposée par le décès d'Elizabeth II, le secrétaire général du Parti communiste chinois entend garder de bonnes relations avec Charles III, alors que cela semble plus difficile avec le gouvernement britannique. Mais dans l'immédiat, la plupart des badges, pin's et autres T-shirts à l'effigie d'Elizabeth II qui sont en vente en Grande-Bretagne sont «made in China».

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

Les chiens aussi ont dit bye bye à la Reine...
1 / 13
Les chiens aussi ont dit bye bye à la Reine...
Processed with VSCO with a6 preset
partager sur Facebookpartager sur X
Modèle ou héros: voici ce que les célébrités pensent de Roger Federer
Video: watson
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
«Hitler avait raison»: une jeune socialiste lynchée à cause de son nom
La Française Emma Rafowicz, 29 ans, est candidate aux européennes sur la liste PS. Son nom et son lien de parenté avec le porte-parole francophone de l'armée israélienne lui valent de nombreuses attaques antisémites. Autopsie d'une dérive.

Elle est candidate en France sur la liste socialiste pour les élections européennes de juin. Il est porte-parole francophone de l’armée israélienne. Ils portent le même nom: Rafowicz. Il est son oncle, elle est sa nièce. Présidente des Jeunes Socialistes, petite-fille de Polonais victimes de pogroms, Emma Rafowicz fait l’objet depuis plusieurs semaines d’incessantes attaques antisémites sur les réseaux sociaux. La raison? Son patronyme et son lien de parenté avec Olivier Rafowicz, colonel de réserve dans Tsahal, dont l’intervention à Gaza aurait fait plus de 30 000 morts, en majorité des civils, selon un bilan fourni par le Hamas.

L’article