J’ai roulé en Mustang jusqu’au «paradis des gays»
Je quitte Miami au volant d’une Mustang décapotable qui brille presque autant que le soleil, déjà bouillant à 8 heures ce samedi matin. Cliché? Oui. Le rêve américain ou rien. Et avant que vous ne pensiez que les journalistes sont trop bien payés, sachez que ce petit caprice m’a coûté moins de 250 francs.
A mesure que je m’éloigne de la ville, les gratte-ciel disparaissent, remplacés par des palmiers et des stations-service à l’ancienne. La route s’allège, mes nerfs aussi. Direction Key West et ses influences cubaines, qu'on présente comme un havre de paix pour la communauté LGBT+.
Je traverse les petites villes où le temps semble s’être arrêté. Diners aux néons fatigués, lotissements sans charme, supermarchés gigantesques… Enfin, je laisse le béton de Homestead et Florida City derrière et m’enfonce dans le paysage verdoyant des Everglades.
Une route mythique et David Hasselhoff
L’horizon s’ouvre, me voilà sur l’Overseas Highway. Cette longue bande d’asphalte déroule ses quarante-deux ponts qui relient des dizaines d’îles. Comme un collier de perles jeté sur l’Atlantique à gauche, le golfe du Mexique, ou d’Amérique comme dirait l’autre, à droite.
Par moments, j’aperçois un pont délabré, rongé par la rouille. C’est l’ancienne voie de chemin de fer du début du XXᵉ siècle.
A l’époque, on pouvait rejoindre Key West en train. Mais en 1935, un ouragan monstre ravage la ligne.
Une Mustang et un tel décor appellent une bande-son à la hauteur; Jolene de Dolly Parton, Country Roads par David Hasselhoff... L’Amérique qu’on mérite, celle des routes interminables et du too much assumé.
Je file de Key en Key: Islamorada, terre promise des pêcheurs sportifs, Marathon et son ambiance familiale, Big Pine Key et ses cerfs nains endémiques.
Et enfin, Key West. La ville colorée se dévoile, avec ses maisons victoriennes en bois, les chaises sous les porches, les poulets qui traversent la route. Bienvenue au bout du monde, ou en tout cas, au bout de la Floride.
Le charme de l’île réside dans cette lenteur, cette douceur de vivre qui a séduit Hemingway lui-même, venu chercher ici un refuge face au vacarme du monde.
Des gays (et des) retraités
Key West est aussi un «paradis pour les gays». Dans le centre, les drapeaux arc-en-ciel sont omniprésents. Aux balcons, peints sur les vitrines, déclinés en mugs ou en slips moulants.
Par curiosité, j’entre dans une boutique de slips en cuir et demande au vendeur pourquoi cette île, qui me semble tout de même passablement peuplée de retraités blancs un brin MAGA, affiche autant de couleurs.
On reste dans un Etat républicain, où le gouverneur Ron DeSantis a tenté, via son projet de loi surnommé «Don’t Say Gay», d’interdire l’évocation de l’homosexualité et de l’identité de genre dans les écoles. Pas vraiment le genre de climat qu’on imagine favorable à une telle liberté d’expression.
Il me sourit. «Vous savez, parmi ces retraités américains, il y en a beaucoup qui sont eux-mêmes gays.»
L'île est un échappatoire, où l’on vient chercher à la fois le soleil et l’anonymat bienveillant. Ici, on accepte tout le monde: les Cubains, les couples gays, les touristes. Sans oublier les retraités MAGA; ceux qui n’en pensent pas moins mais qui vous foutent la paix.
J’interroge des locaux dans la rue, ils me tiennent exactement le même discours. C’est d’ailleurs aussi le message affiché devant la St. Paul's Episcopal Church, l’une des églises de l'île.
Devant le lieu de culte, un homme m'explique que c'est le «paradis des gays», ici.
Il fait référence à l'indépendance de Key West; la création de la République de Conch le 23 avril 1982, une sécession fictive des Etats-Unis pour protester contre la police des frontières. Un «micro-Etat pour de faux» qui fait vendre de nombreux magnets aux touristes.
Après un crochet par la maison d’Hemingway et le Southernmost Point, une borne de près de quatre mètres qui rappelle qu’on se trouve au point le plus au sud des Etats-Unis...
... un incroyable sandwich cubain au porc, un «pan con lechón» et une part de Key lime pie, LE dessert local par excellence, il est temps de dire au revoir à cette parenthèse insulaire.
En fin de journée, l’Overseas Highway s’offre une nouvelle mise en scène. Cette fois, le soleil tombe derrière moi.
Summertime Sadness de Lana Del Rey fait vibrer l’habitacle. Rien que pour cette route d'île en île, le road trip au paradis des gays, des coqs libres et des sandwichs cubain, vaut le détour. Bonus si vous la faites en Mustang avec une playlist cliché.