En Russie, la propagande soutenant l'invasion de l'Ukraine par le régime de Poutine est tenue d'une main de fer. En Europe, c'est une autre histoire. Car depuis le début de l'application des sanctions en mars, l'interdiction de plusieurs plateformes jugées propagandistes a été décidée et les informations trop favorables à la Russie sont — légitimement — regardées d'un œil critique.
Aussi, le gouvernement russe a ressorti une de ses armes favorites: les trolls. Outre les réseaux sociaux, où ils reviennent en force, ils n'ont pas hésité à «copier» des sites d'information occidentaux pour faire passer la pilule de la propagande poutinienne.
Le 20 minutes français a vu son site volontairement imité par exemple, tout comme le tabloïd britannique Daily Mail ou l'agence de presse italienne Ansa.
Comment les trolls s'y sont-ils pris techniquement? Le code source de la page entière a été allègrement copié-collé et grossièrement adapté. On accède à la copie du site avec un lien différent. Toutes les photos et logos téléchargés sont rajoutés manuellement. Il y a même de la publicité! Pour un œil peu habitué, il peut être facile de tomber dans le panneau.
Les sujets abordés? Le prix (beaucoup trop élevé) du gaz et de l'électricité, l'inflation et les réfugiés ukrainiens. Parfois, il faut l'avouer, certains titres sont assez smart:
En Allemagne, pays particulièrement dépendant du gaz russe, les faux sites sont en effet encore plus nombreux. Le magazine Spiegel, mais aussi les quotidiens Welt et Bild ont été victimes de cette méthode, tout comme le site du pure player (et partenaire de watson) t-online.
Im europäischen Ausland ist das nach meinem Eindruck nicht so massiv wie in Deutschland. Ich habe da aber auch nicht so genau hingeschaut. Die #Netflixfrauen zumindest sind fast ausschließlich Deutsche. pic.twitter.com/BTAcCA4LJH
— Lars Wienand (@LarsWienand) August 29, 2022
Nos collègues de t-online ont décidé de mener l'enquête. Ils ont cherché à identifier les créateurs des sites, mais sans succès. Les serveurs sur lesquels les sites étaient hébergés étaient situés aux Pays-Bas.
Lorsque t-online a réussi à faire bloquer le faux site en expliquant la situation au fournisseur informatique néerlandais, le site a réapparu après peu de temps, cette fois-ci hébergé sur un serveur colombien. T-online est ensuite passé par le service d'enregistrement des sites allemand, qui a pu désactiver l'adresse web.
Derrière ces efforts, on peut se demander: combien de sites d'information sont passés à côté de ces clones ou n'auront pas eu les ressources en personnel ou les connaissances pour agir rapidement contre les trolls russes?
Selon Julia Smirnova est membre de l'Intitute for Strategic Dialogue, un think tank qui s'intéresse à la propagande et la surveillance de la haine en ligne. Selon elle:
Car la campagne utilise des craintes justifiées auprès de la population, comme celles de la pénurie de gaz ou de l'inflation. Pour elle, la trace du gouvernement russe derrière ces trolls ne fait aucun doute:
Dans certains articles, on trouve d'ailleurs encore quelques traces mal effacées des auteurs: la mention «signature» ou «source» laissée en cyrillique russe sous la vidéo ou des erreurs dans les articles utilisés.
Selon les recherches de t-online, des faux profil Facebook sortis de nulle part prennent part à cette offensive en publiant ces faux contenus ou en commentant allègrement sous des commentaires de vraies publications. Plus 100 000 commentaires ont été publiés. Des cas similaires ont aussi été détectés sur Twitter, dans une moindre mesure.
Il existe même une division du travail au sein de «l'usine à trolls»: certains faux comptes publient des articles ou des vidéos de propagande sur leurs pages. Puis des faux profils viennent les partager au sein de pages Facebook actives. Parfois, les faux profils discutent entre eux sous l'article, donnant une impression d'opinion générale discutée sous les faux articles.
Selon l'outil Crowdtangle, qui permet de calculer les partages sur Facebook, environ 40 000 publications du faux Spiegel ont recensé, tout comme 55 000 du faux Welt.
Pour s'assurer que ces faux articles étaient visibles d'un maximum de personnes, plusieurs publications ont été intégrées dans le fil d'actualité des utilisateurs en tant que publicité payante.
Dans ce cas, le sujet est d'ailleurs sensible, car de l'argent a fini dans les poches de Facebook. Selon t-online, un des contenus mis en avant via la publicité de Facebook a notamment été vu par près de 600 000 utilisateurs. Contactée, l'entreprise Meta a dit prendre l'affaire très au sérieux, ayant mis des spécialistes sur le coup pour traquer et supprimer les fausses informations.
Facebook avait d'ailleurs déjà fait état publiquement d'un cas similaire, début août, dans son rapport trimestriel. Le réseau social avait combattu une usine à trolls nommée «Cyber Front Z».
Ses «employés» écrivaient des commentaires sur Facebook pour 400 francs par mois (45 000 francs). Près de 45 comptes Facebook et plus de 1000 comptes Instagram avaient été supprimés ou bloqués.
Nos collègues enquêteurs de t-online ont d'ailleurs trouvé un pattern très intéressant: nombre de faux profils s'appellent Odetta et travaillent pour Netflix. Mais elles habitent dans différentes villes d'Allemagne.
Les Allemands ont même créé un hashtag pour parler et ironiser au sujet de ces faux comptes: les #Netflixfrauen, les «dames de Netflix». On peut imaginer la forme que prendraient ces faux profils dans le monde francophone: Josette Dupond à Marseille et Josette Martin à Strasbourg, peut-être?
Certains politiciens, par exemple la présidente des Verts allemands et ministre des Affaires étrangères, en prennent pour leur grade:
Les trolls n'hésitent également pas à aller commenter sous les publications de partis politiques, d'institutions réputées ou d'organes fédéraux allemands. De grandes entreprises, par exemple Mercedes ou l'opérateur téléphonique Vodafone, ont aussi été ciblées.
Traduit et adapté par Alexandre Cudré