Mercredi, juste avant de croquer dans une pause de midi (forcément) méritée, un message privé déboule sur Twitter: «Enchantée! Jusqu'à présent, vous êtes le premier journaliste qui me contacte au sujet de mes fesses.» Il faut dire que Melaniya Podolyak a plutôt l'habitude de s'exprimer sur des sujets moins futiles. Par exemple sur CNN ou Fox News, à peine quelques jours avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février dernier.
Mais, rassurez-vous, si nous avons contacté cette (très sérieuse) blogueuse ukrainienne pour lui parler de ses fesses, c'est que son anatomie s'est retrouvée au coeur d'une actualité qui, mardi, a fait trembler simultanément une base militaire russe en Crimée et les réseaux sociaux du monde entier.
Cette photo dévoile bien plus que le postérieur de Melaniya Podolyak. En équilibre sur la ligne d'horizon, un champignon menaçant et une traînée de fumée noire perturbent l'apparente décontraction qui se dégage du premier plan.
L'image en question est le fruit d'un montage. (Désolé.)
Mais, cette semaine, beaucoup d'autres ne l'ont pas été.
Vous avez besoin d'un peu de contexte? Allons-y.
Mardi, plusieurs impressionnantes explosions ont ébranlé une base aérienne russe en Crimée, la péninsule ukrainienne annexée en 2014 par le Kremlin. Des déflagrations qui ont notamment perturbé la quiétude de milliers de plagistes russes en vacances au bord de la mer Noire.
Pour l'heure, le gouvernement ukrainien se refuse toujours à revendiquer les évènements (et semble même prendre tout ça avec ironie). Le Kremlin, lui, nie avoir subi la moindre attaque.
Peu importe, en réalité. Car, pour le peuple ukrainien, l'explosion d'une base aérienne russe basée dans cette Crimée qui est «une forteresse protégée violemment par Poutine depuis huit ans», nous dira Melaniya Podolyak, c'est déjà une victoire.
Mardi, en marge des boules de flammes qui se forment dans le ciel, c'est Internet qui prend donc littéralement feu. Des vidéos de nuages de fumée ont d'abord commencé à pulluler sur les réseaux sociaux. La plupart provenant des téléphones portables de citoyens russes alors paisiblement allongés sur les plages. Ensuite, des séquences d'embouteillages sur les autoroutes, en direction de la Russie.
Dans la foulée, de la fierté et beaucoup d'humour: l'arme fatale d'une grande majorité d'internautes ukrainiens face aux horreurs. (Nous y reviendrons.)
Et puis, soudain, les fesses.
Un «cul» rapidement repartagé en quantité industrielle. Notamment sur Twitter et Telegram. Au début, la photo semble être revendiquée par une poignée de trolls du Kremlin. Dans leur esprit, aucun montage. Encore moins une Melaniya Podolyak inexorablement ukrainienne. Juste une jeune femme russe patriote, courageuse et soucieuse de signifier une certaine indifférence face aux explosions. Comme disait Macron (ou Chirac avant lui), «ça m'en touche une sans faire bouger l'autre».
Sur l'écran, malgré la gravité de la situation dans son pays, Melaniya est hilare. Jamais elle n'aurait osé imaginer que son fessier deviendrait le symbole d'un événement majeur pour tout le peuple ukrainien. «C'est une vieille photo de moi en vacances. Plus précisément, en Egypte, en 2020. Un cliché que j'avais posté sur Instagram. Comment je pourrais être en colère, franchement? Je suis en colère contre la Russie du matin au soir de toute façon. La photo n'est pas obscène, je suis habillée, rien de bien grave. Je suis néanmoins agacée de constater une nouvelle fois que la propagande russe ne se soucie pas une seconde de vérifier l'origine de ce qu'ils publient. Ils sont stupides.»
On profite évidemment d'avoir Melaniya Podolyak à portée de voix pour tenter de comprendre à quel point la guerre des images est une nourriture précieuse pour le peuple ukrainien. «Il se trouve que, cette fois, c'est mon cul qui fait sensation mais, sur internet, c'est chaque seconde que les Ukrainiens postent des mèmes. Et depuis huit ans. Mes fesses ont permis cette semaine de rappeler aux Russes que la Crimée ne leur appartient pas.»
L'humour, c'est pour maintenir le moral des troupes à flot? «Oui, entre autres. C'est une manière de dire que nous avançons. Qu'il faut tenir bon. Que nous allons finir par gagner cette guerre.» Melaniya Podolyak nous explique que les mèmes et les images détournées sont aussi un moyen particulièrement efficace pour informer la population autrement. De leur expliquer la guerre de manière extrêmement claire, avec peu de mots.
Vous l'aurez compris, Melaniya Podolyak n'est pas une Lena Situations des pays de l'Est. Encore moins une humoriste qui passe ses journées à déposer des blagues sur la bande passante. Si la jeune femme ukrainienne a bien voulu jouer le jeu de cette «interview fesses», c'est pour prouver qu'une guerre se mène sur tous les fronts. Entre deux saillies sur Twitter, où elle compte tout de même 40 000 followers, Melaniya a un emploi du temps chargé.
Прямо зараз даю інтерв‘ю вестернам про попу, цей таймлайн
— Melaniya Podolyak (@MelaniePodolyak) August 10, 2022
«Sur ma chaîne YouTube, avant la guerre, je parlais politique, corruption, scandales d'Etat. Aujourd'hui, je couvre la guerre sur les réseaux sociaux et je suis active dans plusieurs importantes fondations.» Et notamment Charity Serhiy Prytula, qui aide l'armée ukrainienne à se fournir en équipements, véhicules, drones ou encore nourriture, depuis l'annexion de la Crimée en 2014. Aujourd'hui, c'est une militante à la verve tranchante et au verbe largement écouté, devenue au fil de la guerre une véritable boussole pour moult internautes ukrainiens.
Une dernière question nous brûle les lèvres: Melaniya a-t-elle un quelconque lien de parenté avec Mykhailo Podolyak, le proche confident du président? «Ah, ah, non!» Mais, là encore, les réseaux sociaux et les mèmes s'invitent dans la discussion.
En revanche, sa maman (Iryna) n'est autre que l'ancienne vice-ministre ukrainienne de la Culture.
On prend congé de Melaniya sur l'idée qu'il n'est pas toujours fastoche de faire tenir en équilibre un discours intelligent sur un fil souvent ironique. «Ma mère est députée, je travaille dur, j'ai une vie sérieuse et puis, un jour, mes fesses font sensation au milieu d'une guerre effroyable. Je suis obligée d'en rire!»
C'est donc ça avoir le cul entre deux chaises?