Benny Johnson est un petit malin. Cet homme de 37 ans est considéré comme le «parrain de l'internet conservateur». Il produit quasiment toutes les heures de courtes vidéos et des mèmes amusants avec lesquels il influence le débat politique aux Etats-Unis en faveur des républicains. Ces contributions n'ont certes rien de subtil, mais elles totalisent des centaines de milliers de clics, notamment sur X.
Mais mercredi, Johnson a joué les innocents. Le ministère de la Justice de Washington a publié un acte d'accusation explosif reprochant au militant d'avoir reçu des fonds du Kremlin pour financer une partie de ses activités. L'Américain s'est alors immédiatement présenté comme une victime. Il a affirmé n'avoir aucune idée de qui pouvait bien se cacher derrière tout cela, tout en dénonçant un complot.
Sa réaction est plausible. Il n'en demeure pas moins que les accusations du ministère de la Justice sont très lourdes. Sur 32 pages, on découvre comment deux employés de la chaîne publique russe RT – le bras médiatique du Kremlin – ont soutenu le travail d'une entreprise médiatique américaine par des versements d'environ dix millions de dollars. Cette société anonyme a pour nom Tenet Media. Elle se vante sur son site de pouvoir compter sur des influenceurs comme Benny Johnson, Dave Rubin, Tim Pool et Lauren Southern.
L'objectif de ces généreuses subventions, versées à partir de 2023, était de diffuser quelque 2000 séquences prorusses sur des plateformes aux Etats-Unis, explique le ministère de la Justice. Les propriétaires de Tenet Media - les Canadiens Lauren Chen et son époux Liam Donovan - auraient été mis au courant des plans des employés de RT. L'acte d'accusation ne précise pas si les dirigeants connaissaient également la véritable identité des commanditaires. (Le ministère de la Justice ne reproche qu'aux deux Russes d'avoir enfreint les lois américaines.)
Protégés par des pseudonymes, les Russes donnaient des instructions directes à Tenet Media sur les sujets à thématiser. C'est en filigrane ce que l'éditorialiste de droite Tucker Carlson, qui a par exemple interviewé Vladimir Poutine au printemps et qu'il a fait l'éloge des supermarchés russes. Les employés de RT ont alors voulu faire circuler une vidéo. Un producteur de Tenet Media a déclaré en interne que cela allait trop loin. La séquence de Carlson a tout de même été publiée sur ordre de Laura Chen, sur des plateformes comme Youtube ou X.
Aux yeux des autorités américaines, cette ingérence ne représente que la partie émergée de l'iceberg. Moscou s'est fixé pour objectif d'attiser les conflits aux Etats-Unis, et d'influencer les votes lors des prochaines élections. Voilà ce qu'a déclaré le ministre de la Justice Merrick Garland lors d'une conférence de presse mercredi. Moscou a ainsi mis en place un réseau de sites anglophones de propagande alimentés par des acteurs du Kremlin. 32 de ces sites, tous de mauvaises copies d'originaux américains, ont entre-temps été saisis et fermés par les pouvoirs publics.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)