Il se passe peu de choses sur le front ukrainien en ce moment. Les forces armées des deux pays s'abstiennent de mener de grandes attaques terrestres et aucun camp n'enregistre de gains importants sur le terrain. Mais les missiles et les drones russes continuent leurs attaques sur l'Ukraine. La semaine passée, plusieurs drones ont également été abattus au-dessus de Moscou. Selon les experts, il s'agit d'un prélude à la grande offensive ukrainienne.
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Mais alors que l'attaque annoncée par Kiev avec des chars occidentaux n'a pas commencé, les nerfs sont déjà à vif du côté russe. Les dirigeants autour du président Vladimir Poutine se font mutuellement de graves reproches et s'insultent en public. Pour le Kremlin, l'attente d'une éventuelle attaque semble être une épreuve aussi éprouvante que l'attaque elle-même. Bien que la contre-offensive doive être moins importante que ne le craignaient les blogueurs militaires russes, la balle est à nouveau dans le camp de l'Ukraine. Vladimir Poutine ne peut que réagir.
Les succès militaires dépendent de la confiance des soldats en leurs généraux. Ce sont eux qui décideront de leurs chances de survie. Or, du côté russe, cette confiance semble pour le moins altérée.
Le ministère britannique de la Défense ou le think tank américain «Institute for the Study of War» ne cessent de souligner dans leurs analyses que le moral de l'armée russe au combat est mauvais. Ce n'est pas un hasard: un commandement militaire qui ne cesse de se disputer publiquement peut-il réellement inspirer confiance?
Les déclarations d'Evgueni Prigojine en sont l'exemple le plus récent. Après les attaques de drones sur Moscou, le chef du groupe Wagner a traité le commandement militaire russe de «bâtards puants» et de «trous du cul» sur son canal Telegram. «Pourquoi diable permettez-vous à ces drones de voler vers Moscou?», s'est-il insurgé.
Roublevka est une zone située à l'ouest de Moscou, connue pour ses nombreuses villas de luxe – Poutine y aurait également une propriété.
Evgueni Prigojine se présente comme un homme du peuple défendant les soldats russes dans ce conflit. Il reproche notamment au ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et au chef d'état-major Valeri Guerassimov la lenteur de l'invasion russe en Ukraine. Selon lui, c'est de leur faute si la Russie a des «années, voire des décennies» de retard sur ses adversaires en matière de développement de drones.
En temps normal, le chef de Wagner serait dans le collimateur en Russie, car ses incessantes pluies d'insultes sont aussi une critique indirecte de Vladimir Poutine. Mais le chef du Kremlin ne semble pas vouloir – ou pouvoir – contrôler son protégé.
Evgueni Prigojine reste toutefois dépendant de Vladimir Poutine, car ce n'est que grâce aux faveurs du Kremlin qu'il obtient des armes et de l'équipement pour ses combattants. Inversement, Poutine semble lui aussi être de plus en plus dépendant des armées privées. C'est la troupe de mercenaires Wagner qui a permis au Kremlin de s'emparer de la ville ukrainienne de Bakhmout, après des mois de combats et de lourdes pertes.
Selon les estimations, le groupe Wagner disposerait de 80 000 combattants. Pour Poutine, une société militaire privée est normale pour une «grande puissance avec des ambitions géopolitiques», estime la politologue russe Tatiana Stanovaya.
Toutefois, le groupe Wagner a depuis longtemps développé une forme d'autonomie vis-à-vis du Kremlin – et Prigojine lui-même semble avoir des opinions révolutionnaires. La moindre faiblesse pourrait faire basculer le système.
Les médias proches du Kremlin ne cessent toutefois de s'extasier sur la bonne organisation, l'efficacité et le succès du groupe Wagner. Cela pourrait être le signe que Vladimir Poutine a encore besoin de son «cuisinier», comme on le surnomme. Mais parallèlement, le mécontentement grandit à Moscou. L'ultranationaliste russe et ancien officier des services secrets Igor Guirkine a dénoncé les «insultes» inacceptables d'Evgueni Prigojine à l'encontre de l'armée russe, les qualifiant de crimes et demandant au Kremlin de prendre des mesures.
Si Moscou subit une défaite lors de la contre-offensive prévue par Kiev, la Russie risque de connaître le chaos dès la fin de l'été.
Evgueni Prigojine continue à se manifester depuis le front, mettant en garde contre la contre-offensive ukrainienne. L'ancien président russe Dimitri Medvedev, quant à lui, fait des erreurs, en déclarant par exemple mardi que les représentants du gouvernement britannique sont des cibles militaires légitimes dans la guerre menée contre l'Ukraine.
De l'extérieur, Vladimir Poutine donne l'image d'une grande puissance désunie. Cela montre également sa faiblesse, il semble incapable de mettre un terme aux querelles. C'est peut-être aussi pour cela que l'Ukraine prend son temps avant d'attaquer.
Elle en profite également pour former ses soldats sur des chars de combat M1 Abrams. Même si l'armée ukrainienne n'a pas reçu suffisamment d'armes, de munitions et d'équipement militaire de l'Ouest, elle semble avoir l'avantage pour le moment.
«Le temps joue contre Poutine, car l'armée russe ne peut manifestement pas se munir facilement», explique l'expert militaire Christian Mölling.
L'armée ukrainienne profite de tout cela.
La contre-offensive ukrainienne ne commencera pas par un assaut sur les lignes de front. Il y a déjà eu des attaques ukrainiennes contre des dépôts de munitions et des lignes de ravitaillement. Certes, le président Volodymyr Zelensky sait qu'il ne pourra pas immédiatement vaincre la Russie. Mais de premiers succès militaires ukrainiens seraient une bombe politique à gérer pour le Kremlin. Les disputes actuelles pourraient n'en être qu'un avant-goût.
Pour Vladimir Poutine, ces conflits sont presque plus dangereux que l'offensive ukrainienne attendue elle-même. «Si l'Ukraine peut avancer vers le sud et prendre la Crimée pour cible, cela mettra le président russe en très mauvaise posture», continue Christian Mölling. «Cela pourrait alors modifier la structure du pouvoir au Kremlin.»
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder