Evgueni Prigojine veut s'accorder, ainsi qu'à ses mercenaires du groupe Wagner, une pause dans le combat après la bataille extrêmement coûteuse pour la ville de Bakhmout dans l'est de l'Ukraine. Après un vol en hélicoptère, le chef de l'armée privée Wagner montre fièrement dans une vidéo un camp de campagne souterrain dans une forêt au sol sablonneux: des logements communs, une cuisine, un réfectoire et un sauna. Le tout construit en bois, quelque part en Russie.
Les mercenaires doivent se préparer à de nouvelles missions de combat en Ukraine. Mais la troupe est loin d'être la seule organisation paramilitaire employée par la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine, bien que les armées privées ne soient pas autorisées en Russie.
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Certes, Wagner dispose de loin des plus grandes ressources avec des dizaines de milliers de combattants, des chars, des avions et de l'artillerie lourde et agit également en Afrique. Mais Prigojine lui-même a confirmé qu'il n'était pas seul à combattre en Ukraine. Le géant énergétique public Gazprom y est actif également et aurait créé trois armées privées: Courant, Flamme et Torche.
Il existe une multitude d'autres organisations qui ne remettent pas seulement en question le rôle de l'armée régulière russe. On se demande déjà si le chef du Kremlin ne voit pas lui échapper le monopole de la violence de l'Etat. Les services secrets occidentaux parlent déjà d'une «paramilitarisation» en Russie.
Les entreprises militaires privées s'appellent Patriot, Storm, Redut et Jenot et sont, selon les experts, financées par des oligarques et de grands groupes de matières premières. Officiellement, elles apparaissent souvent comme des sociétés de surveillance, bien que cela relève de la compétence des services de sécurité de l'Etat.
Mais les médias russes rapportent désormais ouvertement que les entreprises privées prospèrent dans le cadre de la guerre contre l'Ukraine. Sergueï Ermakov de l'Institut russe de recherches stratégiques explique au magazine moscovite sur papier glacé Expert:
Pourtant, ces entreprises paramilitaires opèrent dans une zone d'ombre juridique. Les projets de loi visant à les légaliser n'avancent pas depuis des années. Les opposants au Kremlin considèrent ces armées privées comme des structures mafieuses qui doivent aider Poutine à remporter la victoire en Ukraine ou, en cas de défaite, lui assurer, ainsi qu'à ses hommes, au moins la sécurité et, au mieux, le pouvoir. Les critiques déplorent que ces entreprises ne servent pas les intérêts de l'Etat, mais ceux d'oligarques, de groupements et de groupes individuels qui les paient.
Le modèle de Wagner, en particulier, fait école depuis longtemps. Ramzan Kadyrov, le chef de la République russe de Tchétchénie dans le Caucase du Nord, lui-même actif en Ukraine avec ses combattants, s'est montré enthousiaste quant à l'action «de fer» de Wagner. Il souhaiterait lui-même créer une telle armée après avoir quitté la fonction publique et faire concurrence à «notre cher frère Evgueni Prigojine».
Les médias proches du Kremlin ne cessent de s'extasier sur l'organisation, l'efficacité et le succès de Wagner. Et ce alors que Moscou a longtemps fait comme si ce groupe n'existait pas et n'était pas lié à l'Etat russe.
Entre-temps, Prigojine est omniprésent. L'homme de 61 ans critique la corruption, la vanité et la bureaucratie au sein de l'armée. Il rend le ministre de la Défense Sergei Choïgou et son chef d'état-major Valeri Guerassimov personnellement responsables des dysfonctionnements et des défaites.
Alors que de simples citoyens se retrouveraient en prison pendant des années pour de tels débordements, Prigojine polémique comme s'il était intouchable. L'ultranationaliste russe et ancien officier des services secrets Igor Guirkine, également connu sous le nom de guerre de Strelkov, vient d'accuser le chef Wagner d'avoir déclaré la «guerre» à une partie de l'armée et de l'élite et de planifier un renversement.
Guirkine a critiqué les «insultes» inacceptables de Prigojine contre l'armée russe, les qualifiant de crime, et a demandé que le Kremlin prenne des mesures contre ce proche de Poutine. Il a souligné:
Si Moscou subit une défaite lors de la contre-offensive prévue par Kiev, la Russie risque le chaos dès la fin de l'été.
La politologue russe Tatiana Stanovaya estime que Poutine lui-même est encore relativement fort pour préserver l'équilibre du pouvoir. Toutefois, Wagner a depuis longtemps développé sa propre vie et Prigojine lui-même, des opinions révolutionnaires, estime-t-elle également. La moindre faiblesse peut faire basculer le système.
En Russie, des partisans et des saboteurs travaillent notamment contre Poutine. Le fait que la région de Belgorod, située à la frontière avec l'Ukraine, soit attaquée depuis plusieurs jours est une source d'insécurité supplémentaire.
Le gouverneur Vyacheslav Gladkov a également déclaré avoir été pris sous le feu. Après que des citoyens en fuite et horrifiés se soient plaints de savoir pourquoi l'Etat russe était en guerre en Ukraine, mais ne protégeait pas son propre territoire des attaques, il a déclaré qu'il avait lui-même beaucoup plus de questions à poser au ministère de la Défense.
Le ministère a annoncé que plus de 70 combattants avaient été «détruits» dans la région de Belgorod. Mais dans cette région, comme dans d'autres régions frontalières régulièrement attaquées, les autorités affirment que des groupes de défense civile se sont formés depuis longtemps.
Entre-temps, des voix s'élèvent pour demander que ces groupes de volontaires soient équipés d'armes. En outre, des sociétés militaires privées se forment en Crimée, annexée par la Russie probablement aussi parce que l'on ne fait pas assez confiance à l'armée régulière.
Le politologue Abbas Galliamov a rappelé, en évoquant les attaques de Belgorod, que le pouvoir avait déclaré à pleines dents pendant des décennies que la Russie était entourée d'ennemis et qu'elle développait et renforçait donc sa défense. «Maintenant qu'il faut passer aux choses sérieuses, les gens doivent soudain se défendre eux-mêmes contre l'ennemi», déclare l'ancien rédacteur de discours de Poutine. Il voit même le pays au bord d'une révolution en raison de la situation difficile de la guerre et de la multitude de groupes armés.
Traduit et adapté par Noëline Flippe