La nouvelle a fait les gros titres dans le monde entier: la Russie veut limiter ses opérations militaires autour de Kiev, a-t-on appris mardi par le ministère de la Défense de Moscou. Ce qui pourrait théoriquement être un motif d'espoir n'a déclenché qu'une seule chose sur le plan international: le scepticisme.
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Cette annonce est-elle une nouvelle fausse information de la Russie? C'est ce que l'on soupçonne. Les observateurs militaires ont constaté des régressions des forces russes autour de Kiev, mais jusqu'à présent, pas de retrait significatif. Dans la nuit de mardi à mercredi, des informations ont rapporté la poursuite des combats près de la capitale.
La Russie a attisé elle-même cette méfiance au cours des dernières années. Si l'on cherche de fausses informations utilisées à des fins militaires par le Kremlin, on en trouve des exemples récents dans la guerre en Ukraine, mais aussi ailleurs. Le schéma semble toujours se répéter. La Russie se montre prête à faire des compromis mais en vérité, elle intensifie la confrontation.
Ce fut le cas en février, peu avant le début de la guerre. La Russie avait déjà déployé plus de 150 000 soldats le long de la frontière ukrainienne, mais niait vouloir envahir le pays. Le 15 février, Moscou a surpris tout le monde en annonçant le retrait de troupes après des manœuvres dans le sud et l'ouest du pays. D'autres exercices, y compris en Biélorussie voisine, devaient toutefois se poursuivre. Lors d'une rencontre avec le chancelier allemand Olaf Scholz (SPD), le chef du Kremlin a assuré que la Russie ne voulait pas d'une nouvelle guerre en Europe.
L'Occident avait exprimé des doutes quant au retrait des troupes. Le secrétaire général de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) Jens Stoltenberg avait annoncé une autre version des faits: «La Russie semble poursuivre le déploiement militaire». Le Kremlin avait quant à lui reproché à l'organisation de ne pas évaluer correctement la situation. Une vidéo du ministère de la Défense montrant le retrait de ses propres soldats de la péninsule de Crimée était censée atténuer les doutes de l'Occident.
Peu de temps après, il s'est avéré que ces déclarations n'avaient aucune signification. Le 24 février, les troupes russes ont envahi l'Ukraine, déclenchant une guerre qui dure maintenant depuis plus d'un mois.
Alors pourquoi Poutine a-t-il menti et lancé cette guerre d'agression? «D'une part, il voulait tromper l'adversaire», explique l'expert russe Stefan Meister à t-online.
«D'autre part, il voulait faire passer les Etats-Unis, qui n'ont cessé de mettre en garde contre une potentielle guerre, pour des menteurs», poursuit l'expert. Selon lui, Poutine s'est laissé une ouverture jusqu'au dernier moment avant de savoir s'il allait vraiment attaquer. «C'est ce qui transparaît dans la mauvaise préparation et exécution de cette guerre», poursuit Meister. Ce mensonge est clairement une manœuvre tactique.
Les «couloirs humanitaires» sont un autre exemple de fausses promesses russes. Ils ont été mis en place en Ukraine pour permettre l'évacuation des civils. Le principe: les belligérants se mettent d'accord pour un cessez-le-feu temporaire sur un itinéraire donné. Des corridors humanitaires ont également été mis en place lors de la guerre en Syrie.
«C'est typique de la Russie», explique Stefan Meister. «On crée des couloirs humanitaires pour signaler que l'on fait un pas vers l'adversaire, puis on l'accuse, dans le cas actuel l'Ukraine, de ne pas respecter l'accord et on attaque les couloirs». Car actuellement, il n'est pas toujours possible de vérifier immédiatement qui est responsable des attaques et qui a donc rompu le cessez-le-feu.
Le problème est que les civils sont alors pris dans les combats. Parallèlement, en Ukraine comme en Syrie, la Russie a considéré toutes les personnes se situant dans la zone comme des ennemis à abattre. Les couloirs ont donc servi de prétexte pour réduire en cendres des endroits comme la ville de Marioupol, dans l'est de l'Ukraine. En Syrie, les couloirs auraient surtout été utilisés par la Russie à des fins tactiques, comme pauses pour réorganiser les troupes.
Pourquoi Poutine ment-il ainsi? «La guerre en Ukraine est menée contre la population civile, comme en Syrie», a déclaré Stefan Meister. On déstabilise l'Ukraine, on l'insécurise et on augmente la pression sur le pays en bombardant systématiquement des civils.
Dans le cas de l'annexion de la Crimée en février 2014, la Russie a poussé la tactique du mensonge à l'extrême.
Selon les discours officiels, le Kremlin n'était pas du tout impliqué et une annexion de la Crimée n'était absolument «pas envisagée» - selon ce qu'affirmait publiquement Poutine.
C'était en fait tout le contraire. Ce n'est que bien des mois plus tard que le chef du Kremlin a admis que des soldats russes avaient été impliqués dans l'invasion. Ces derniers ont occupé des infrastructures importantes, le parlement et des bâtiments gouvernementaux. La Russie a donc pris de facto le contrôle de la péninsule.
La version initiale de Poutine était la suivante: les séparatistes prorusses, qui ont organisé un référendum sur le rattachement de la région à la Russie, agissaient de manière autonome. L'armée russe ne faisait alors «que» de garantir leur sécurité. Bien que ce mensonge ait pu être réfuté en très peu de temps, le gouvernement de Poutine a longtemps maintenu sa version des faits.
«Lorsqu'il a menti concernant l'annexion de la Crimée, Poutine voulait obtenir un effet de surprise», explique Stefan Meister. Il s'agissait d'une opération secrète dont l'issue était d'abord incertaine. L'adversaire devait tout ignorer des intentions de la Russie. «Plus tard, Poutine a reconnu l'engagement de soldats russes parce que des sanctions avaient déjà été imposées. Et parce qu'il était très fier que l'opération se soit si bien déroulée. Cela a ensuite été très bien perçu par sa propre population.»
Même pendant la guerre en Ukraine, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a régulièrement nié le rôle d'agresseur de son pays. Ce constat est encore ressorti lors de son discours suite aux négociations de paix à Istanbul: «Nous n'avons pas attaqué l'Ukraine».
Ces trois exemples le prouvent: la tactique de Poutine consiste à affirmer le contraire de ce qu'il fait véritablement.
Ce qui entraîne plusieurs conséquences: tout d'abord, une grande méfiance de la part de l'Occident, comme le montre aujourd'hui ce prétendu retrait des troupes près de Kiev. Ensuite, selon Stefan Meister, il s'agit aussi d'une manœuvre tactique. «Les troupes russes sont épuisées pour le moment, la stratégie actuelle a échoué, l'armée russe va se regrouper.» La Russie veut donc gagner du temps.
«Et ensuite, les soldats attaqueront à nouveau pendant que nous discuterons encore de la question de savoir s'il y a un cessez-le-feu ou non», spécule Stefan Meister. «Le Kremlin sait que les mensonges peuvent être rapidement démasqués par des images satellites, mais il s'en accommode.»
Il s'agit simplement de faire diversion. «C'est pourquoi le gouvernement russe n'inspire aucune confiance. En retour, la Russie ne fait pas non plus confiance à l'Occident», poursuit l'expert. La campagne de désinformation du Kremlin a un objectif important: