Les nombres varient largement d'une source à l'autre, mais une chose est sûre: la Russie a perdu beaucoup d'hommes en Ukraine. Le Kremlin est à court de combattants. Une vidéo tournée mercredi a par ailleurs fait le tour du web: on y voit un proche de Poutine, Evgueni Prigojine, en train de recruter de nouveaux soldats... dans la cour d'une prison.
La récente débâcle de l'armée russe dans la région de Kharkiv, où les forces ukrainiennes ont libéré 6000 km2 de territoire en l'espace de quelques jours, a poussé des politiciens russes a appeler à la mobilisation générale, rapporte Franceinfo. Pour l'heure, c'est hors de question, a répondu le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
La mobilisation générale n'est pas la seule option dont la Russie dispose pour recruter de nouveaux soldats, estime Anna Colin Lebedev. Dans un thread Twitter, la maîtresse de conférences à l'Université Paris Nanterre et spécialiste des sociétés post-soviétiques en liste trois autres. Voici les avantages et les (nombreux) désavantages de chacune d'entre elles.
Dans les guerres du passé, la conscription était le principal vivier de l'armée russe, explique la chercheuse. Rien n’interdit légalement d’envoyer des conscrits en zone de combat, ni de leur faire signer des contrats, volontairement ou sous pression.
Le Kremlin vise notamment des jeunes issus des régions et des milieux les plus pauvres, et il dispose d'un atout de taille pour les attirer: de grosses sommes d'argent.
Problème: la qualité et la quantité font souvent défaut. Les officiers déplorent chaque année la baisse du niveau de formation des recrues, rappelle Anna Colin Lebedev. La baisse de la natalité n'arrange pas les choses, et les objectifs fixés ne sont pas toujours atteints.
Le volontariat peut prendre des formes différentes: bataillons territoriaux, «réserve de mobilisation», sorte de pré-enrôlement avant la signature d’un contrat, mercenaires, y compris ceux recrutés dans les prisons.
Cette méthode n'est pas nouvelle: pendant la Seconde Guerre mondiale déjà, les prisonniers des camps du Goulag s'étaient vu proposer d'expier leur faute sur le front par le sang.
Mais là encore, cette solution est loin d'être efficace. Et ce, bien que le pouvoir ait tout fait pour élargir la base possible de volontaires, rappelle la chercheuse. L’âge limite a été allongé, et un projet de loi pour permettre aux pères de trois enfants et plus de s’enrôler est actuellement en cours.
Dans les faits, les bataillons territoriaux peinent à recruter, la «réserve» a l'air théorique, et on ne sait rien des qualités des recrues.
Revenons à la mobilisation. Si le Kremlin évite d'utiliser ce terme, c'est qu'il a de très bonnes raisons: pour Moscou, la guerre en Ukraine est toujours une «opération militaire spéciale», menée par une armée performante et professionnelle. Parler de «mobilisation» revient à admettre que les choses se passent autrement.
Sur le plan légal également, la situation n'est pas avantageuse: la mobilisation peut être décrétée lorsqu'une situation de menace est identifiée pour le pouvoir.
Anna Colin Lebedev rappelle cependant que «la loi est souple». La mobilisation peut être générale ou partielle. Mobiliser un nombre limité de combattants, dans certaines régions seulement par exemple, est tout à fait faisable. Cela se heurterait pourtant à de nombreux obstacles, énumère la chercheuse:
C'est la dernière option qui reste au Kremlin, qui l'applique depuis le printemps. Selon Anna Colin Lebedev, ça va se multiplier. Le mode d'emploi est simple: des réservistes sont convoqués au commissariat militaire pour une formalité et sont ensuite envoyés au front dans la foulée, en toute illégalité.
Les intéressés et leurs familles protestent, mais ne peuvent pas faire grand-chose une fois dans le train qui file vers la garnison. Selon la spécialiste, les enrôlements illégaux vont se multiplier.
«Avec un effet limité. Ce besoin d’hommes, le pouvoir ne l’a pas prévu et ne sait pas - ne peut pas - pour l’instant y faire face». (asi)