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Ukraine: «Certains sont ivres»: un soldat russe raconte

epa10112976 A man looks at boots that belonged to Russian soldiers as he visits the 'Ukraine Crucifixion' exhibition at the National Museum of the History of Ukraine in the Second World War, ...
Bottes de soldats russes lors d'une exposition à Kiev.image: keystone

«Certains sont ivres»: un soldat russe critique l'état de son armée

Les récits de guerre de soldats russes sont extrêmement rares. Toutefois, Daniil Froklin, un jeune homme de 21 ans, a raconté son expérience en Ukraine en tant que soldat de l'armée de Poutine.
30.08.2022, 06:07
Tobias Esser / t-online
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Daniil Frolkin a 21 ans. Il a participé à la guerre en Ukraine en tant que soldat russe dans la 64e brigade de fusiliers motorisés qui, le 24 février – premier jour de la guerre –, avançait du Nord vers la capitale ukrainienne. Son bataillon faisait partie de l'unité qui occupait les villages d'Andriivka et de Makariv, près de Kiev.

C'est un hasard si l'histoire de Frolkin est aujourd’hui publique. Avec un téléphone portable volé, il avait pris des photos de lui à Andriivka. Après le départ de son unité, les anciens propriétaires ont retrouvé le téléphone et ses photos. Ils ont remis les images au portail d'investigation russe indépendant Important Stories (iStories) qui, après avoir identifié le jeune soldat, l'a contacté pour une interview.

Daniil Frolkin a accepté de raconter son histoire.

Le jeune homme de 21 ans raconte qu'il a rejoint l'armée russe en 2020. Il n'aurait pas reçu d'entraînement au combat avant le début de l'invasion russe. Ses supérieurs auraient fait faire des photos d'un «pseudo entraînement» pour, ensuite, les envoyer au haut commandement. C'est de cette manière que l'intégration des troupes partant pour l'Ukraine aurait été possible pour certains Russes. «Nous nous tenions au stand de tir avec des armes et des cibles», raconte Frolkin. «Dès que les photos étaient prises, nous pouvions nous en aller.» D'autres soldats racontent également que des séances de photos de la sorte ont été programmées pour le haut commandement.

Une guerre cachée sous le prétexte de l'intimidation

L'unité du jeune homme n'a pratiquement reçu aucun avertissement avant l'invasion russe de l'Ukraine et l'ordre de marche correspondant, raconte l'ex-soldat.

«J'ai appris notre départ pour l'Ukraine deux heures avant»

Ses supérieurs auraient dit à son unité qu'ils seraient envoyés en Ukraine pour trois jours afin d'intimider le pays voisin. Ils n'auraient reçu que très peu de nourriture, les forçant ainsi à voler de la nourriture dans les villages occupés pour survivre.

Frolkin et ses compagnons ont atteint le village de Makariv le premier jour de l'invasion russe. Outre le manque de nourriture, l'armée n'aurait pas non plus fourni de vêtements de rechange. «Lorsque j'ai dû changer de vêtements, je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre des vêtements dans des maisons civiles», raconte le soldat. Il aurait laissé l'uniforme russe portant son nom dans l'une des maisons.

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    «J'ai compris qu'on pouvait mourir très vite ici»

    Le 1er mars, après l'arrivée à Makariv, l'unité de Frolkin a été prise sous le feu de l'artillerie ukrainienne. «Nous nous sommes enfuis et avons vu un soldat à qui il manquait une jambe», raconte Frolkin.

    «Nous avons essayé de l'emporter et avons vu un deuxième homme avec une seule jambe. C'est là que j'ai compris qu'on pouvait mourir très vite en Ukraine.»

    Après trois semaines à Makariv, l'unité du jeune soldat de 21 ans avait subi de lourdes pertes, mais maintenait tout de même sa position dans le village près de Kiev. Afin de se remettre de la fatigue causée par les coups d'artillerie incessants, l'unité aurait été transférée à Andriivka autour du 13 mars. Là aussi, les soldats russes ont pillé, raconte Frolkin. Cette fois-ci, les vols auraient été systématiques:

    «Un commandant a chargé des réfrigérateurs et des chaussures de sport sur des camions et les a envoyés en Russie via la Biélorussie»

    Chris Owen, auteur et chercheur indépendant en histoire militaire et auteur d'un livre, a rapporté que les objets et denrées volés étaient envoyés aux veuves de soldats russes.

    Le moral des troupes n'a cessé de se dégrader. Certains soldats ont commencé à boire, raconte Daniil Frolkin. Les ivrognes seraient devenus insupportables, mais aussi une cible facile pour les partisans ukrainiens. «Un soldat était tellement ivre que ses camarades ne pouvaient plus le réveiller», raconte le jeune homme de 21 ans. «Le lendemain matin, il était mort, il avait été blessé par balle.»

    Au moins 13 civils tués

    L'unité de Frolkin est restée cinq longues semaines à Andriivka. Ils ont tué au moins 13 habitants de la commune. Frolkin et ses camarades ont agi brutalement contre les habitants parce qu'ils soupçonnaient que ceux-ci transmettent leurs positions à l'armée ukrainienne et causent ainsi de lourdes pertes dans les rangs russes. Le jeune homme lui-même a été impliqué dans la mort de trois personnes.

    Début avril, l'unité de Frolkin a été retirée de la région de Kiev et transférée à Belgorod, en Russie, via la Biélorussie. Là, les soldats devaient être directement renvoyés au front, mais de nombreux hommes ont refusé l'ordre et ont présenté leur démission de l'armée.

    «Les supérieurs étaient furieux. L'un d'eux a frappé un soldat avec la crosse de son fusil, il a mis son pistolet sur la tête d'un autre et l'a menacé de le tuer s'il ne voulait pas retourner au front»

    Frolkin a continué à se battre pendant plusieurs semaines dans les forêts de la zone frontalière entre l'Ukraine et la Russie. Il a été «démobilisé entre juin et juillet», lorsque son unité a été presque entièrement décimée. Sur les 1500 hommes que comptait initialement sa brigade, au moins 400 ont été tués en Ukraine. Selon le jeune russe, lorsque les soldats restants auraient dû être envoyés à Kherson en Ukraine, une révolte a éclaté. De nombreux hommes auraient fui la caserne et seraient rentrés par avion dans leur ville natale Khabarovsk, située à des milliers de kilomètres de l'Ukraine, à la frontière chinoise.

    Le jeune homme a quitté l'armée

    Daniil Frolkin ne voulait plus non plus se battre et a quitté l'armée. Le sens de la guerre lui échappe encore aujourd'hui: «Je ne sais pas contre qui nous nous battons. Peut-être que nous nous battons contre l'armée ukrainienne. Mais ce ne sont pas des nazis. Comme nous, l'Ukraine est une nation slave».

    L'Ukraine enquête sur le cas du soldat Frolkin. Il est accusé d'avoir tué un civil et volé une voiture. A présent, il veut que la guerre se termine. Il a notamment déclaré:

    «Je veux dire à tout le monde quels sont les crimes que nous avons commis en Ukraine et je veux expliquer ce qui se passe dans notre pays. Pour ces informations, je peux aller en prison»

    En conclusion, le jeune homme de 21 ans porte un jugement accablant sur les haut placés de l'armée russe: «Les commandants chient sur les simples soldats», raconte-t-il. «Il aurait mieux valu que cette guerre n'ait jamais commencé».

    Ce chien robot bizarre ne va pas aider la Russie à gagner en Ukraine
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