En 2008, la vie était encore très rose pour Viktor Vekselberg. L'oligarque russe était un citoyen du monde. Il n'était pas seulement un invité apprécié du Kremlin: partout, les portes lui étaient ouvertes. Il possédait par ailleurs un appartement très bien situé à Zurich, à côté du zoo, où il profitait du forfait fiscal encore en vigueur à l'époque.
Mais cela ne lui suffisait pas. Il a décidé de se procurer d'autres biens immobiliers dans le monde entier, comme le décrit un acte d'accusation qu'un tribunal new-yorkais a rendu public cette semaine, et que la rédaction de CH-Media, partenaire de watson, a pu consulter.
A New York, Vekselberg a décidé d'acheter deux appartements dans l'une des rues les plus connues de la ville: Park Avenue, à Manhattan. A l'époque, il ne figurait encore sur aucune liste de sanctions; mais un homme d'affaires comme lui se prépare à toute éventualité. Il ne voulait pas acheter les appartements sous son nom, et a donc intercalé trois sociétés-écrans ainsi qu'une fondation qu'il a fait créer au Panama et aux îles Vierges britanniques. Cette pratique permet d'économiser des impôts et de vivre de manière plus anonyme.
Pour l'achat, il a toutefois dû révéler son identité à la propriétaire de l'immeuble. Celle-ci a, en effet, souhaité connaître les dessous de la société-écran. Par l'intermédiaire d'un avocat, Vekselberg s'est présenté, en envoyant en même temps la liste des personnes les plus riches du monde du magazine américain Forbes. Il y figurait à la 44e place avec dix milliards de dollars américains.
Un tribunal new-yorkais évalue la valeur des biens immobiliers de Vekselberg aux Etats-Unis à 75 millions de dollars.
Après l'occupation de la Crimée par la Russie, puis l'invasion de l'Ukraine, Vekselberg a eu un problème. Le gouvernement américain l'a mis sur liste noire, a fait geler ses biens, dont il est propriétaire à plus de 50%, et a interdit à toute personne ou institution américaine d'effectuer des transactions en dollars américains avec lui.
Vekselberg avait camouflé ses biens immobiliers américains avec des sociétés-écrans. Il ne lui restait plus qu'à trouver un moyen de continuer à financer l'entretien des biens immobiliers, les impôts et les taxes. Dans une telle situation, il est bon de pouvoir compter sur les services d'un ami. Pour Viktor Vekselberg, cette bonne âme s'appelle Vladimir Voronchenko, marchand d'art avec qui l'oligarque est allé à l'école.
L'entrepreneur russe vivait alors avec sa famille dans les différents appartements américains de Vekselberg et s'occupait de l'entretien. Lorsque Vekselberg n'a plus été en mesure de le financer lui-même, Voronchenko s'est chargé de trouver une solution. Avec une société-écran aux Bahamas et le compte bancaire russe de ses proches, il a organisé un flux d'argent censé passer sous le radar des autorités américaines.
Cela a fonctionné un temps, mais la task force américaine, Klepto Capture, a fini par les repérer. En septembre dernier, le FBI a perquisitionné les appartements de Park Avenue. Les agents ont ensuite rendu visite à Voronchenko à Fisher Island et lui ont remis une convocation pour un interrogatoire. Une semaine plus tard, celui-ci s'est envolé pour Dubaï. Il n'a pas embarqué sur le vol de retour réservé pour Miami. A la place, il a pris un avion pour Moscou. La justice américaine le recherche désormais pour blanchiment d'argent et violation des sanctions.
Dans l'acte d'accusation du tribunal new-yorkais, le procureur cite une précédente audition de Voronchenko. A l'époque, ce dernier ne tarissait pas d'éloges sur ses relations étroites avec l'oligarque russe.
La justice américaine a déjà confisqué le yacht et le jet privé de Vekselberg. Elle s'en prend désormais à ses complices, les uns après les autres. Une plainte a d'abord été déposée à l'encontre des hommes d'affaires qui ont aidé Vekselberg à camoufler son yacht via des sociétés-écrans. Petit à petit, le réseau est ainsi affaibli. L'un des accusés, qui travaillait également pour la société immobilière suisse Züblin de Vekselberg, a dû démissionner de cette fonction dès que le premier acte d'accusation a été publié.
Viktor Vekselberg peut toutefois conserver ses biens immobiliers en Suisse, car il ne figure sur aucune liste de sanctions suisse. En effet, contrairement aux Etats-Unis, l'Union européenne ne l'a pas sanctionné. C'est pourquoi l'oligarque peut également garder son appartement à Zoug, qu'il a déclaré à l'administration cantonale comme étant sa résidence principale.
En effet, lorsque Zurich a aboli l'imposition forfaitaire, il a déménagé à Zoug. Ce déménagement a été contesté au sein de l'administration zougoise, car personne ne croyait vraiment qu'il allait vivre dans le petit canton. Vekselberg a donc dû affirmer dans une procédure judiciaire à quel point il était sérieux. Il a ainsi indiqué qu'il vendrait son appartement zurichois dès que sa demande de résidence à Zoug aurait été examinée. C'était il y a dix ans.
Des recherches dans le registre foncier montrent, pourtant, que l'appartement zurichois appartient toujours à Vekselberg. Il est enregistré comme seul propriétaire.
La loi ne permet en principe pas l'acquisition de plusieurs appartements en Suisse par des étrangers. C'est pour cette raison que Vekselberg a souligné auprès des autorités zougoises qu'il allait abandonner son appartement zurichois. Pourtant, il a agi en toute légalité sur ce point-là. Une disposition d'exception stipule, en effet, que les étrangers qui changent de domicile à l'intérieur de la Suisse ne doivent pas abandonner leurs biens à cette occasion. Vekselberg connaît toutes les astuces.