En avril de cette année, je me suis rendu dans un studio photo pour faire prendre quelques clichés pour ma carte d'identité. Le photographe me tournait autour en criant: «Plus aimable! Plus aimable!» et il lui a fallu une dizaine d'essais pour prendre la bonne photo.
Bien que j'étais de bonne humeur, mes traits restaient tendus et concentrés sur quelque chose, comme si je n'étais pas venu faire une photo, mais subir un interrogatoire.
Je suppose que mes traits sont une conséquence de la vie en Russie. Un de mes anciens collègues vivant à New York m'a dit que de nombreux Russes se promenaient à Brighton Beach et avaient, eux aussi, une attitude tendue. Comme s'ils se préparaient à une bagarre.
Vivre en Russie dans des conditions d'interdiction totale a obligé les gens à s'isoler encore plus. Pourtant, plus personne ne se prépare à la bagarre. Il n'y a plus d'énergie pour cela. On s'enferme plutôt chez soi, en espérant ne pas recevoir un appel à la guerre en Ukraine ou une convocation pour un interrogatoire dans les bureaux du FSB.
L'année 2023 a montré que les gens se sont résignés au fait qu'ils n'auront aucune influence sur les autorités et ne détermineront pas le cours que prendra la Russie à l'avenir. C'est le gouvernement qui dicte comment les gens vivront demain: s'ils iront à la guerre, s'ils iront à l'étranger et quels impôts ils paieront.
C'est l'une des principales différences entre la Russie et les pays européens: en Suisse, les gens remplissent eux-mêmes leurs déclarations d'impôts et décident de l'utilisation de ces fonds par le gouvernement.
Le Russe typique, à l'exception des entrepreneurs, ne remplit pas de déclaration d'impôts. C'est son employeur qui le fait légalement pour lui. Cela lui évite de la paperasse inutile et ne lui donne, en même temps, aucune raison de penser que l'argent a été dépensé pour bombarder des villes ukrainiennes pacifiques ou pour construire un palais de plus pour un fonctionnaire du Kremlin.
Le plus triste de tout: l'année qui vient de s'écouler a montré que les gens s'y sont habitués. Les Russes se sont habitués à ce que leur pays soit dirigé par un homme reconnu comme criminel de guerre et recherché par un tribunal de La Haye.
Ils se sont habitués aux cercueils fermés qui arrivent du front. Ils se sont habitués à l'isolement et ont trouvé son remplaçant: au lieu de voitures européennes et américaines, ce sont des voitures chinoises qui circuleront en Russie, le tourisme vers la République tchèque sera remplacé par le tourisme vers l'Egypte, le chinois sera enseigné dans de nombreuses écoles.
Pourquoi observons-nous une telle soumission? Le fait est que nous n'avons pas tous appris à parler aux bandits dans une langue qui leur est claire. Nombreux sont ceux qui, en Europe, espéraient début 2023 un mouvement anti-guerre fort en Russie et rêvaient même naïvement que l'ancien chef du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, entrerait dans Moscou et changerait l'Histoire.
Bien que cela n'ait pas fonctionné, Evguéni Prigojine est le seul à avoir tenté de parler à Poutine dans une langue qu'il comprenait, et l'a payé de sa vie. Les bandits ne comprennent que le langage de la violence.
Au cours de l'année écoulée, nous avons pu observer de nombreuses tentatives de l'opposition russe de jouer avec le Kremlin selon les règles démocratiques et juridiques. Il est temps de reconnaître que de telles méthodes ne fonctionnent pas contre le système de Poutine.
Vladimir Poutine est insatiable dans son comportement criminel. La répression politique et les violations des droits de l'homme ont dépassé toutes les limites raisonnables en Russie. Il poursuit sa guerre contre l'Ukraine avec toute la brutalité possible. Poutine se réjouit de ce que l'on parle de plus en plus en Europe de «pourparlers de paix aux conditions de la Russie». Il rêve que l'Occident tout entier s'incline devant lui et se soumette.
Je suggérerais de ne pas faire un tel cadeau à Vladimir Poutine en 2024. Il est vorace et insatiable. Et si nous continuons à faire des concessions à l'agresseur, je crains qu'à l'avenir, nous ne nous promenions tous dans les rues le visage tendu, prêts à nous battre. Mais après une bagarre, il est trop tard pour agiter les poings, dit un proverbe russe.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)