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«L'Occident ne comprend pas comment les Russes négocient»: interview

Selon Hans-Jürgen Heimsoeth, «ce n'est que si l'Ukraine est forte sur le champ de bataille que Poutine changera d'attitude».
Selon Hans-Jürgen Heimsoeth, «ce n'est que si l'Ukraine est forte sur le champ de bataille que Poutine changera d'attitude».Image: sda
Interview

«L'Occident ne comprend pas comment les Russes négocient»

L'ancien diplomate de carrière Hans-Jürgen Heimsoeth a été ambassadeur en Ukraine de 2008 à 2012. Il raconte la radicalisation de Poutine, les manifestes de paix et les ambassadeurs peu diplomatiques.
27.02.2023, 05:5927.02.2023, 11:59
Miriam Holstein
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t-online

Monsieur Heimsoeth, dans quelle mesure cette guerre va-t-elle changer le monde à long terme?
Hans-Jürgen Heimsoeth
: J'ai longtemps considéré la réunification allemande comme le plus grand événement historique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Maintenant, je n'en suis plus sûr. Pour l'Allemagne, ce le sera toujours, mais pour l'Europe et probablement le monde, ce sera sans doute cette guerre de la Russie contre l'Ukraine souveraine et ses conséquences. Il suffit de voir comment d'autres autocraties accompagnent attentivement le conflit.

Après un an de conflit en Ukraine, quelques chiffres 👇

Vous connaissez bien la région, vous avez travaillé à l'ambassade de Moscou et plus tard comme ambassadeur en Ukraine. La main sur le cœur: avez-vous cru possible que la guerre froide revienne avec une telle force?
Non, je ne croyais pas à une attaque russe aussi massive contre l'Ukraine à l'époque où je travaillais à Kiev.

«Peu après la guerre russo-géorgienne de 2008, nous avons vu que la Crimée et le Donbass pouvaient être des points de départ pour une déstabilisation russe»

L'Allemagne en a tiré les conséquences, a ouvert un consulat général à Donetsk en 2009 et a soutenu plusieurs projets de développement en Crimée et dans l'Est afin d'élever le niveau de vie dans ces régions. Il aurait toutefois fallu s'attendre à un conflit au plus tard à partir de 2014.

Hans-Jürgen Heimsoeth
Hans-Jürgen HeimsoethImage: Twitter
Hans-Jürgen Heimsoeth, âgé de 69 ans, est né dans l'Uttarakhand, en Inde. Il a grandi à New York, en Indonésie et en Belgique. Il a travaillé de 1984 à 1987 au service politique de l'ambassade d'Allemagne à Moscou. De 2008 à 2012, il a été ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en Ukraine.

La guerre aurait-elle pu être évitée?
Oui. Et ce, en 2014, lorsque Poutine a annexé la Crimée en violation du droit international. L'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine avaient été garanties en 1994 par la Fédération de Russie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis dans le Mémorandum de Budapest...

… en échange de l'abandon par l'Ukraine de ses armes nucléaires.
Exactement. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni auraient dû réagir immédiatement. Mais il ne s'est pas passé grand-chose.

Une grave erreur?
Absolument. A l'époque, Poutine ne savait pas comment l'Occident allait réagir. Il a envoyé des «petits hommes verts» dont il aurait pu se distancer rapidement. La prise de pouvoir dans le Donbass s'est également faite de manière insidieuse.

«Si l'Occident avait réagi clairement à l'époque, nous n'aurions probablement pas de guerre aujourd'hui»

Au lieu de cela, l'impression que Poutine avait déjà eue lors du conflit sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie s'est confirmée: dans le doute, les Etats-Unis préfèrent ne pas intervenir.

En 2001, Poutine a prononcé un discours en allemand au Bundestag, dans lequel il a évoqué les valeurs de la démocratie. Nous sommes-nous laissés bluffer par lui, ou a-t-il changé?
Il s'est probablement radicalisé dans les années 2003/2004, au plus tard après la révolution orange en Ukraine, avant de retomber dans la paranoïa des services secrets. Malgré tout, je n'ai pas cru possible qu'il aille jusqu'à attaquer l'Ukraine que lorsqu'il a publié son fameux article nominatif en juillet 2021.

Pourquoi à partir de ce moment-là?
Parce qu'il dit très clairement qu'il considère l'Ukraine comme une partie d'un empire grand-russe et qu'il n'accepte pas une Ukraine pleinement souveraine.

L'Ukraine reproche régulièrement à l'Allemagne de ne pas la soutenir suffisamment. Craignez-vous un dommage irréparable pour les relations germano-ukrainiennes?
L'humeur des populations évolue très rapidement. L'Allemagne a parcouru un long chemin depuis le début de la guerre. Elle fait déjà énormément, par exemple en soutenant la défense aérienne ukrainienne. D'après mes observations, cela est de plus en plus reconnu. Et ce qu'il ne faut pas oublier: avant la guerre déjà, l'Allemagne était l'un des principaux partenaires de l'Ukraine après les Etats-Unis. Parmi de nombreux autres projets, elle a fortement soutenu la décentralisation du pays et le renforcement des administrations communales. Cela a également contribué à la résilience de l'Ukraine dans la guerre actuelle.

Les livraisons de chars Leopard 2, décidées après de longues discussions, ne sont-elles pas malgré tout trop tardives?
Je les aurais souhaitées plus tôt. Si nous voulons que l'Ukraine ne perde pas, nous devons aider à empêcher les innommables attaques terroristes aériennes, à protéger les femmes et les enfants innocents, et aussi à limiter autant que possible les pertes humaines parmi les soldats.

«Ce n'est que si l'Ukraine est forte sur le champ de bataille que Poutine changera d'attitude»

Le président ukrainien Zelensky commet-il à l'inverse une erreur en donnant sans cesse l'impression que l'Europe n'en fait pas assez?
Il faut voir la situation de l'Ukraine. Ce qui est décisif, c'est d'analyser ce qui est nécessaire pour que l'Ukraine ne perde pas cette guerre asymétrique. Comment aider l'Ukraine à priver la Russie de la possibilité de frapper sans discernement les infrastructures ukrainiennes et les habitants des villes avec des missiles, des drones et des missiles de croisière.

Combien de temps les Ukrainiens tiendront-ils?
La résilience des Russes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi dans d'autres situations, est légendaire. Les Ukrainiens disposent de la même résilience et d'une volonté de fer. Actuellement, le pays est démoralisé par les attaques aériennes. De plus, contrairement à Poutine, l'Ukraine ne peut pas mobiliser 300 000 soldats supplémentaires en un clin d'œil.

«C'est pourquoi une guerre qui s'éternise est dangereuse. Le soutien de l'Occident est donc d'autant plus important»

Que pensez-vous des manifestes appelant à des négociations de paix?
En tant que jeune diplomate en Union soviétique, j'ai appris deux choses:

«l'Occident a du mal à comprendre comment les Russes négocient et comment les amener à négocier. Ce n'est pas par le biais d'un dialogue rationnel»

Mais alors?
Les dirigeants russes prennent des décisions en fonction de considérations de politique de pouvoir. Et ils ne les prennent pas sur la base de discussions, mais plutôt après analyse des faits. Nous avons toujours surestimé notre influence. C'est pourquoi je suis convaincu que le seul moyen de négocier est que la partie russe comprenne qu'elle ne peut pas gagner cette guerre à long terme.

«Pour cela, nous devons rendre l'Ukraine aussi forte que possible»

Comment et quand cette guerre peut-elle se terminer?
Ce sera très difficile, car au cœur du conflit se trouve une mythologie russe historiquement erronée, datant d'une époque impériale révolue, selon laquelle l'ensemble de l'Ukraine appartient en fait à la Russie. Poutine prévoit désormais apparemment une étape intermédiaire: un accord de paix sur la base des territoires officiellement annexés, mais pas encore totalement conquis.

«En Russie, il existe déjà des cartes qui indiquent que ces territoires sont russes»

Mais il ne se contentera pas de cela. Je crains donc que le conflit ne dure encore longtemps. Et que les conséquences désastreuses ne soient pas seulement celles que nous voyons actuellement en Ukraine. Mais qu'il va aussi diviser la société russe pendant des générations.

Malgré tout, un regard sur l'après-guerre: de quoi s'agit-il alors?
Il est essentiel de préserver l'espoir légitime des Ukrainiens de pouvoir décider eux-mêmes de leur destin en tant qu'Etat pacifique dans le cercle des Etats de l'UE.

L'Ukraine devrait-elle pour cela être rapidement admise dans l'UE?
Il ne faut pas donner de faux espoirs. Pour cela, l'Ukraine doit, comme les autres pays candidats, remplir toutes les conditions. Mais elle a déjà fait de grands progrès sur la voie de l'intégration depuis l'accord d'association de 2014. Dans la lutte contre la corruption par exemple: il y a dix ans, l'indice de corruption de Transparency International la plaçait à égalité avec la Russie à la 137e place - aujourd'hui, elle est à la 116e place et se rapproche d'autres pays candidats comme la Serbie. La Russie n'a pas bougé.

Mais il n'y a eu que deux cas spectaculaires de corruption au sein du gouvernement ukrainien.
Oui, la corruption reste un sujet important sur la voie de l'adhésion à l'UE. Mais c'est peut-être là que réside le plus grand atout de l'Ukraine, même en comparaison avec les pays des Balkans occidentaux et certains pays de l'UE:

«Elle dispose d'une société civile extrêmement vigilante, de nombreux activistes et lanceurs d'alerte»

De plus, de bonnes institutions, un parquet et des tribunaux ont été mis en place pour lutter contre la corruption. La transparence est bien meilleure dans de nombreux domaines. Et comme on le voit maintenant, le président réagit.

L'ancien ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andrij Melnyk, a traité le chancelier Scholz de «saucisse de foie offensée» et a même qualifié d'autres personnes de «trous du cul». Le style de la diplomatie est-il en train de changer?
La nouvelle génération de diplomates doit être préparée à un monde de médias sociaux. Mais une chose ne changera jamais: la monnaie de la diplomatie est la confiance. Si un diplomate perd la confiance de son gouvernement hôte, il continuera à être perçu, mais ne sera plus pris au sérieux.

Melnyk s'est toujours défendu en disant que personne d'autre ne l'aurait écouté. N'a-t-il pas raison?
En public, sa présence était perceptible, beaucoup disent importante. Mais son influence directe était faible, car il perdait ses entrées.

La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock s'est récemment fait remarquer en déclarant publiquement que l'Occident était «en guerre» contre la Russie. Quel est le degré de nocivité d'un tel comportement peu diplomatique?
Remettons l'église au milieu du village.

«Le fait est que Poutine mène une véritable guerre contre l'Ukraine, même s'il ne l'a jamais déclarée, et une guerre hybride contre l'Occident»

D'ailleurs, Angela Merkel a également parlé en 2020 d'une «guerre hybride» de la Russie contre nous après le piratage russe du Bundestag. Ce n'était pas un dérapage. Occupons-nous plutôt des véritables dangers.

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