«Ils sont venus chercher Chlosberg», titrent les médias russes et les réseaux sociaux. Une nouvelle qui a bouleversé autant les partisans que les détracteurs de l'opposant russe Lev Chlosberg, originaire de Pskov, dans le nord-ouest de la Russie, à la frontière avec l'Estonie. Chlosberg compte de nombreux amis. Y compris certains qui, au fil de la guerre en Ukraine, sont devenus ses adversaires.
On ne partageait pas toujours ses opinions, mais on ne pouvait que le respecter, écrivent ses compagnons de route, consternés de voir que Lev Chlosberg, 61 ans, se retrouve lui aussi dans le box sécurisé du tribunal de sa ville natale. Mercredi, après une brève audience à huis clos, il a été placé en résidence surveillée pour deux mois, accusé de «discréditer l'armée russe». Cet historien risque jusqu'à cinq ans de prison.
Chlosberg fait partie des tout derniers opposants restés en Russie après l'invasion de l'Ukraine, tout en continuant à critiquer publiquement le régime. Et ce, malgré les perquisitions, les interrogatoires et les sanctions. Ce politicien local s'était fait connaître en 2014 pour avoir rendu publics les enterrements de soldats russes morts en Ukraine — à une époque où le président, Vladimir Poutine, affirmait que son armée ne combattait pas dans ce pays. Chlosberg avait alors été passé à tabac et déchu de son mandat.
Depuis 1995, il est membre du parti d'opposition Iabloko, le seul dans le pays à ne pas seulement faire semblant de critiquer le Kremlin, mais à dénoncer régulièrement l'action de l'Etat, même si sa portée politique est aujourd'hui quasi nulle. En 2023, le régime l'a désigné comme «agent de l'étranger». En 2024, deux amendes administratives lui ont été infligées pour «discréditation de l'armée russe».
Certains ont écrit que Chlosberg avait fini par céder, qu'il marchait désormais main dans la main avec le régime — parce qu'il n'est tout simplement pas possible de faire autrement quand on choisit de rester dans le pays. Lui a toujours affirmé qu'il ne souhaitait rien de mauvais à son propre pays et qu'il voulait, avant tout, que les combats prennent fin au plus vite:
D'après les autorités russes, les déclarations de Chlosberg relèveraient de la «discréditation de l'armée». Cette interprétation s'appuie notamment sur un débat diffusé sur Youtube, au cours duquel Chlosberg a de nouveau affirmé qu'il fallait instaurer un cessez-le-feu le plus rapidement possible, estimant que l'Ukraine ne pourrait pas gagner cette guerre.
Cette discussion, tenue avec l'historien russe en exil Yuri Pivovarov, aurait selon toute vraisemblance conduit à son arrestation. Lorsqu'on lui a demandé qui portait la responsabilité du conflit, Chlosberg a évité de répondre clairement, avançant que la guerre trouvait son origine dans les conséquences de «l'effondrement incontrôlé de l'Union soviétique». Quelqu'un a ensuite partagé la vidéo sur le réseau social russe Odnoklassniki.
En Russie, la résidence surveillée est souvent considérée comme une invitation implicite à quitter rapidement le pays pour ceux qui expriment leur désaccord. Toutefois, Chlosberg ne semble pas prêt à répondre à cette «invitation». Il affirme à plusieurs reprises être un patriote et vouloir rester sur le sol russe.
Traduit et adapté Noëline Flippe