Sur la base militaire russe de Hmeimim, en Syrie, l'activité reste intense. Les gros avions de transport Ilyushin Il-76 décollent régulièrement, escortés par des hélicoptères de combat russes volant à toute vitesse pour assurer leur sécurité. Cette vigilance traduit une inquiétude évidente: la crainte que les nouveaux dirigeants syriens n'attaquent les appareils russes. Les images relayées récemment montrent l'ampleur de l'humiliation géopolitique subie par Moscou ces dernières semaines.
Le Kremlin n’a pas seulement perdu un allié clé au Moyen-Orient, mais aussi un client fidèle pour ses entreprises d’armement. En début de guerre civile syrienne en 2011, l'armée syrienne disposait d’un arsenal impressionnant: 700 avions et hélicoptères, 5000 chars, 4000 véhicules blindés, 3400 pièces d’artillerie, et bien plus encore, majoritairement d’origine russe ou soviétique.
Busy Sunday at the Khmeimim airbase. Russia keeps on airlifting its troops and equipment from Syria. Ka-52 helicopter accompanying Il-76 during take off. pic.twitter.com/noKthj7oLz
— Vaclav Cernohorsky (@Vcernohorsky) December 15, 2024
Mais il y a une différence majeure: la retraite de la Russie en Syrie est, sur les plans militaire et géopolitique, bien plus coûteuse pour Moscou. L'armée russe démonte son infrastructure militaire, alors même que le futur gouvernement syrien ne l'avait pas explicitement exigé. En transférant ses troupes en Libye, Poutine active un plan de secours qui pourrait engendrer de nouvelles tensions dans toute la région méditerranéenne. Cette relocalisation pourrait également être motivée par un désir de vengeance.
Les pertes réelles subies par la Russie suite à la chute d’Assad restent difficiles à quantifier. Avec Assad, le Kremlin perd non seulement un allié clé au Moyen-Orient, mais également un client fidèle de son industrie de l’armement. Au début de la guerre civile syrienne en 2011, l'armée de l'air syrienne disposait de quelque 700 avions et hélicoptères de combat, dans des états de préparation variés. Les forces terrestres possédaient environ 5000 chars, 4000 véhicules blindés, 3400 pièces d'artillerie, 2600 armes antichars et 600 véhicules de reconnaissance, pour la plupart issus de productions soviétiques ou russes.
Durant les combats pour reprendre les bastions rebelles, une grande partie de cet arsenal a été détruite. Bien que la Russie ait continué de livrer des armes et des munitions, l'état réel des réserves syriennes reste flou. Des chercheurs en sources ouvertes ont documenté que la milice dominante Haya Tahrir al-Cham (HTS) s'est emparée de 150 chars, 75 pièces d'artillerie, 69 véhicules de combat d’infanterie et 64 lance-roquettes multiples, laissés par l'armée syrienne.
Pour Moscou, c'est un désastre. Des armes russes tombent entre les mains de leurs ennemis ou sont revendues, parfois jusqu’en Iran ou au Liban. L’armée israélienne estime que 60 à 70% des armes saisies à la milice Hezbollah lors de son offensive d'automne au Liban provenaient de Russie. Même si Israël s'efforce de neutraliser ces menaces, la Syrie risque de devenir un immense marché noir d'armes, alimenté par les stocks russes. Moscou pourrait devoir payer la facture de ce chaos.
A cela s'ajoute la perte géostratégique des bases de Tartous et de Hmeimim, uniques points d’appui russes en Méditerranée et portes d’entrée vers le Moyen-Orient. La base de Hmeimim servait également de hub logistique pour des opérations en Afrique.
Il est surprenant de voir la Russie abandonner ces positions sans véritable opposition. En 2017, le régime syrien avait accordé à Moscou un bail gratuit de 49 ans pour Tartous. Mais les nouveaux dirigeants à Damas envisagent de revoir ces accords.
L’Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW) estime que l'armée russe semble se préparer à un départ définitif de Syrie. Les systèmes de défense antiaérienne, pilier de la stratégie russe dans la région, ont été transférés en Libye. Des avions cargos russes ont récemment acheminé des systèmes S-300 et S-400 vers l’est libyen, contrôlé par le général Khalifa Haftar, allié de Moscou. Bien que ce déplacement compense en partie les pertes syriennes, il ne saurait remplacer la position stratégique que représentait la Syrie.
Cependant, cette manœuvre comporte des risques. Les bases russes en Libye sont moins développées et nécessitent d'importants investissements. De plus, Haftar cherche à améliorer ses relations avec l'Occident, tandis que certains dirigeants libyens critiquent l'influence de Moscou.
Avec la Libye, Poutine pourrait cependant ouvrir un nouveau front de tensions. La Turquie, principal soutien militaire du gouvernement libyen reconnu par l'ONU, pourrait être confrontée à une opposition renforcée. Ce scénario pourrait permettre à Poutine de prendre sa revanche sur Erdogan, qu’il tient pour responsable de la situation actuelle en Syrie.
Lors de sa conférence annuelle, Poutine a déclaré avoir «atteint les objectifs en Syrie.» Mais le maintien au pouvoir d’Assad, principal objectif de Moscou, a échoué. Et cela, Poutine ne l’oubliera pas de sitôt.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci