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Propagande russe et cyberattaque: «C'est une guerre intensive»

Le vice-amiral allemand Thomas Daum aux Journées suisses de la cybersécurité de cette année à Berne.
Le vice-amiral allemand Thomas Daum, inspecteur du cyberespace et de l’espace de l’information.Image: Bojan Stula

Il lutte contre les hackers de Poutine: «C'est une guerre intensive»

La guerre fait rage depuis deux ans non seulement sur le front ukrainien, mais aussi dans le cyberespace. Thomas Daum, vice-amiral allemand, explique comment cet aspect du conflit se manifeste et les risques pour l'Occident.
02.04.2024, 05:5202.04.2024, 07:00
Bojan Stula / ch media
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Fin février à Berne, le vice-amiral Thomas Daum, 61 ans, a tenu un discours très médiatisé sur le rôle de la défense nationale dans la cyberguerre qui fait actuellement rage. Depuis septembre 2020, l'ancien commandant de marine dirige, en tant qu'inspecteur, le domaine de la cyberdéfense au sein de l'armée allemande. Ce docteur en informatique résume son expérience après deux ans de guerre contre l'Ukraine.

Il y a deux ans, la Russie a envahi l'Ukraine. Pas seulement physiquement, mais aussi dans le cyberespace. Quelle est la situation actuelle de cette guerre de l'information?
Thomas Daum: Il n'y a pour l'instant ni gagnant ni perdant dans la cyberguerre. Les forces russes ont procédé au piratage de Viasat [réd: entreprise américaine spécialisée dans les télécommunications par satellite] au tout début de la guerre. Il y a eu ensuite une grande pause, certainement parce que les Russes avaient prévu un autre scénario. Ils ont certes réussi à paralyser brièvement le système de communication ukrainien le premier jour de la guerre, mais ils n'ont pas réussi à prendre Kiev en trois jours.

Que s'est-il passé ensuite?
La Russie a ensuite connu un certain calme, car les forces armées ont dû se réorganiser après l'échec de l'attaque de Kiev. Mais depuis, la guerre fait rage, tant dans le cyberespace que dans le domaine de l'information. La lutte pour les récits en est un signe.

«Et on ne peut pas dire que les Russes y excellent»

Qu'est-ce qui vous fait dire cela?
L'Ukraine résiste remarquablement bien aux attaques russes dans ces deux domaines. Les cyberforces ukrainiennes sont parfaitement entraînées, notamment grâce au soutien de l'étranger. Elles se préparent à cette guerre depuis 2014. L'Ukraine dispose d'une force de haute performance, que je salue. Malheureusement, elle aussi a subi des pertes. L'Allemagne prend d'ailleurs part à la formation de nouvelles forces pour combler ces lacunes.

Après la chute d'Avdiïvka, la guerre se trouve-t-elle actuellement à un tournant?
Je ne peux pas en juger de mon point de vue et de ma fonction. Mais ce qui m'inquiète, c'est le fait que l'Ukraine ne peut pas être considérée comme un adversaire à la hauteur de la Russie sur la seule base du rapport numérique. L'histoire de la guerre montre que le camp qui l'emporte est celui qui sait le mieux gérer les pertes. Et dans ce domaine, l'Ukraine court depuis le début un grand risque...

Comment l'Allemagne soutient-elle la cyberdéfense ukrainienne?
En ce qui concerne la formation, nous apportons un soutien important, il y a un échange d'experts dans le domaine de la formation informatique et de la communication opérationnelle. En ce qui concerne la guerre des récits, il y a un échange d'expériences.

«Tout le reste dans ce contexte est confidentiel»

Comment les hackers russes procèdent-ils?
Les groupes de hackers russes sont parfois parrainés par l'Etat. Les deux parties sont très actives dans la cyberguerre et la guerre de l'information. Ils ne se limitent pas à l'Ukraine, mais s'attaquent également aux nations occidentales. Nous le constatons toujours: dès que notre chancelier Olaf Scholz parle de livrer de nouveaux chars Leopard à l'Ukraine, nos pare-feux s'allument. Ensuite, les réseaux de l'armée allemande sont massivement attaqués, et le tout est suivi par des messages sur Telegram et Instagram.

«Ils nous déclarent la guerre»

Cette guerre ne va-t-elle que dans un sens?
Non, ce n'est pas seulement unilatéral. Le groupe de hackers européens Anonymous a également opéré contre les réseaux russes, il y a une cyberguerre intensive. Nous observons aussi de plus en plus de véritables mercenaires du piratage informatique; ce sont des spécialistes étrangers recrutés et payés par la Russie pour attaquer les réseaux occidentaux.

En tant qu'observateur neutre des réseaux sociaux, on a le sentiment que la propagande russe détermine de plus en plus le discours et influence l'opinion dominante.
Les trolls de Poutine sont puissants, mais leurs modèles sont désormais connus. Un opérateur gère 400 faux comptes qui se likent et se suivent mutuellement, et gagnent ainsi en visibilité. C'est ce qui leur permet d'être crédibles sur la toile.

Comment lutter contre cette influence?
Il faut lutter contre cela par l'éducation. Si le nom d'un compte contient quelques lettres et beaucoup, beaucoup de chiffres, on sait qu'il sort tout droit d'une usine de trolls russe. Leurs messages ne sont généralement pas assez subtils pour être difficiles à détecter.

«A mes yeux, ce n'est pas ce genre de propagande le plus grand risque»

Qu'est-ce que c'est alors?
Il y a quelques spécialistes de haut niveau qui formulent leurs récits de manière si intelligente que leurs messages sont largement repris. C'est vraiment inquiétant. La guerre russe contre l'Ukraine est une chose, les répercussions politiques sur l'Europe en sont une autre. Cela a d'abord concerné la question de la sécurité énergétique. Nous voyons maintenant le risque qu'après l'Ukraine, les Russes lorgnent peut-être sur les pays baltes. Tout cela conduit à une réévaluation de la menace, et pour le moment, il est difficile de se montrer optimiste.

Y a-t-il de l'espoir pour l'Occident sur ce champ de bataille?
Mon espoir vient du fait que l'Europe s'est soudée. Tout le monde a compris que nous devons désormais nous serrer les coudes, que ce soit sur la question des sanctions ou sur la montée en puissance de nos propres forces militaires. Si nous ne le faisons pas maintenant, il sera peut-être trop tard un jour. Il est également important que nous restions étroitement liés aux Etats-Unis, de sorte qu'en Russie, on y réfléchisse à deux fois avant d'entrer en conflit avec l'Otan.

Que signifie la cyberguerre pour les individus?
Il revient à chacun de se construire une certaine résilience mentale. Cela signifie tout simplement ne pas croire tout ce qui est dit sur les réseaux. Ne pas prendre pour argent comptant tout ce que l'on entend, mais examiner d'un œil critique si ce qui est affirmé peut réellement l'être.

«Dans ce domaine, la population occidentale est devenue, au cours de nombreuses années de paix, peu critique vis-à-vis de ce qu'on lui dit.»

Que demandez-vous donc à vos concitoyens?
D'être conscient que ce qui est écrit n'a pas forcément été dit pour notre bien, mais vise à nous manipuler, par exemple lors d'élections. Dans ce domaine, une plus grande méfiance de la population est requise.

Mais beaucoup ne cherchent et n'intègrent que les messages qui soutiennent leur vision du monde existante. C'est pour cela que la propagande russe est si efficace auprès de tous ceux qui, dans notre société, croient au grand complot dirigé par les Etats-Unis.
Oui, et il est difficile de changer cela. Mais une diversité d'opinions est souhaitable dans nos sociétés. Chacun peut croire ce qu'il pense être juste. C'est très bien, tant qu'il s'agit d'une opinion réfléchie. Mais il ne faut pas accepter et rediffuser n'importe quoi sans aucun sens critique, simplement parce que cela vient d'un endroit apparemment bienveillant.

«Il faut être conscient que ceux qui diffusent ces informations peuvent vouloir se jouer de nous»

Etes-vous en contact avec les responsables de la cyber-défense suisse?
Nous travaillons depuis de nombreuses années en étroite collaboration avec la Suisse ainsi qu'avec l'Autriche, dans le domaine de l'informatique; nous profitons des avancées et expériences des autres. Avec mon homologue suisse de la cybersécurité, nous avons des discussions très intenses, mais aussi très ouvertes.

Traduit et adapté par Tanja Maeder

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