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«Les hommes sont aussi négligés dans le domaine médical»

Si les médicaments ne sont testés que sur des sujets d'un seul sexe, cela peut coûter cher.
Si les médicaments ne sont testés que sur des sujets d'un seul sexe, cela peut coûter cher.Image: Getty / Malte Mueller

«Les hommes sont aussi négligés dans le domaine médical»

Les femmes réagissent différemment aux médicaments que les hommes, et de nombreux dispositifs ou traitements restent conçus selon une norme masculine. Dans cet entretien, la professeure américaine Londa Schiebinger explique pourquoi la recherche sur le genre bénéficie aussi aux hommes.
08.11.2025, 19:0208.11.2025, 19:02
Anna Wanner / ch media

Depuis des années, Londa Schiebinger étudie comment la prise en compte du genre dans la recherche influence les résultats. En médecine notamment, il n'est pas anodin que des femmes participent à l'élaboration de nouvelles thérapies et que les différences avec le corps masculin soient reconnues.

L'universitaire américaine connaît bien les enjeux liés à la santé des femmes, et souligne les domaines dans lesquels la Suisse fait figure de pionnière. Nous rencontrons la professeure à Berne.

Madame Schiebinger, jusqu'en 1993, les connaissances médicales sur les femmes étaient lacunaires. Elles étaient systématiquement exclues des essais cliniques, notamment en raison de leur cycle hormonal, jugé susceptible d'influencer leur état de santé. Qu'est-ce qui a changé depuis?
Londa Schiebinger: Après 1993, les femmes ont été intégrées aux études cliniques, car on s'est rendu compte que de nombreux médicaments étaient inefficaces chez elles ou agissaient différemment que chez les hommes.

A propos de Londa Schiebinger
Agée de 73 ans, elle est historienne des sciences et professeure à la prestigieuse université Stanford, en Californie. Elle tire trois axes d'action pour corriger les déséquilibres actuels. Le premier vise à accroître la présence des femmes et des groupes sous-représentés dans les domaines scientifiques, médicaux et technologiques, car ses recherches montrent que les équipes mixtes obtiennent de meilleurs résultats. Le deuxième concerne les institutions, qu'il s'agit de transformer pour briser les biais inconscients et les schémas culturels persistants. Enfin, le troisième, «Fix the Knowledge», invite à repenser le savoir lui-même, en questionnant et en améliorant les connaissances produites par les universités et les milieux médicaux. (wan)
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Image: dr
«En 2001, le gouvernement américain a constaté que, sur dix médicaments retirés du marché au cours des trois années précédentes pour des raisons de sécurité, huit présentaient des risques plus élevés pour les femmes que pour les hommes. Ce fut un tournant.»

Qu'est-ce qui a changé?
La recherche a alors commencé à utiliser à la fois des souris mâles et femelles dans les tests de laboratoire, puis des hommes et des femmes dans les essais cliniques. Cela a permis d'améliorer la sécurité et l'efficacité des médicaments.

Vous dites que huit médicaments sur dix présentaient un risque plus élevé pour les femmes? Est-ce largement connu?
C'est vraiment considérable. Je ne pense pas que la plupart des gens en aient conscience. Et même si c'était le cas, que peut-on faire lorsqu'un médicament n'a pas été suffisamment testé scientifiquement?

«Nous n'avons guère d'autre choix que de faire confiance à la recherche»

Pour cela, l'agence américaine des médicaments, la FDA, propose un site internet permettant de vérifier quels groupes ont été inclus dans les essais cliniques.

Et qu'y trouve-t-on?
Beaucoup de choses laissent à désirer.

«Aux Etats-Unis, les essais de médicaments n'ont pratiquement jamais inclus de personnes de plus de 65 ans. Or, qui prend le plus de médicaments? Les plus de 65 ans!»

Cela montre que de nombreux protocoles de test ne sont tout simplement pas conçus de manière pertinente.

Le problème de la «norme masculine» est connu depuis vingt ans. Beaucoup de choses ont-elles changé depuis?
Oui, plusieurs progrès ont été réalisés, surtout dans la recherche. Un bon exemple est l'infarctus du myocarde. Les symptômes communément admis correspondent, en réalité, aux hommes. Les femmes présentent souvent d'autres signes, ce qui les amène en moyenne à arriver quinze minutes plus tard aux urgences, un retard potentiellement mortel lors d'un infarctus.

«Souvent, les femmes ne réalisent même pas qu'elles sont en train d'avoir un infarctus»

Quels sont les symptômes typiques chez les femmes?
Il ne s'agit pas forcément de la douleur classique à la poitrine ou au bras gauche. On peut également observer de la fatigue, des nausées ou des troubles digestifs.

«Aux Etats-Unis, une vaste campagne de sensibilisation a permis de sauver des vies»

Bien sûr, la prévention reste primordiale pour les infarctus, notamment grâce à une alimentation saine et à une activité physique.

Médicaments, instruments chirurgicaux ou cœurs artificiels: la technologie reste encore conçue selon des normes masculines.
La prise de conscience de ce problème a certes augmenté, mais il n'a pas disparu. Je me réjouis toutefois des avancées dans le domaine du «Femtech», c'est‑à‑dire des technologies spécifiquement adaptées aux besoins des femmes. Certains de mes étudiants ont découvert ce sujet dans mon cours et ont créé une start-up: Evvy.

Que fait Evvy?
Lorsqu'une femme présente des troubles dans la région intime et que le médecin ne détecte rien, on lui dit souvent: «Il n'y a rien». Mais ce n'est souvent pas vrai. Evvy analyse le microbiome vaginal et peut aider à le rééquilibrer.

«C'est un exemple de la manière dont les problèmes féminins sont pris au sérieux, surtout lorsque la médecine traditionnelle ne propose pas de solution.»

Y a-t-il d'autres exemples de technologies adaptées aux femmes?
Oui, par exemple au Japon. Avez-vous déjà passé une mammographie?

Non.
Les mammographies sont très douloureuses: le sein est fortement compressé. Cette méthode n'aurait probablement jamais été inventée par une femme. Au Japon, une nouvelle technique a donc été mise au point: le sein est plongé dans un bain d’eau tiède et scanné ainsi, sans aucune compression.

Vous semblez enthousiaste.
Oui, je le suis. Beaucoup de choses évoluent, notamment parce que de nombreux médecins hommes n'ont jamais fait certaines expériences eux-mêmes. Des innovations longtemps attendues voient désormais le jour.

«Et lorsqu'on parle de médecine genrée, il ne s'agit pas seulement des femmes: les hommes sont aussi négligés, par exemple en ce qui concerne l'ostéoporose»

Comment ça?
L'ostéoporose est considérée comme une «maladie féminine», car les femmes en sont touchées plus tôt et plus fréquemment, dès environ 65 ans. Les hommes, eux, en sont généralement atteints à partir de 75 ans et ne sont souvent ni diagnostiqués ni correctement traités.

«Ils ont également besoin de thérapies ciblées. La médecine genrée concerne donc tout le monde»

Pourquoi faut-il autant de temps pour intégrer ces connaissances dans la recherche, par exemple lors des tests sur animaux?
Cela tient à des questions de financement et de formation. C'est pourquoi je me réjouis que les universités suisses souhaitent intégrer ces contenus dans l'enseignement médical. A Stanford, nous n'en sommes pas là: il existe très peu de cours spécifiques sur la médecine genrée. Pourtant, les différences, par exemple au niveau du cœur ou des reins, devraient être systématiquement incluses dans la formation. C'est la seule manière de progresser.

«Si la Suisse devient pionnière dans ce domaine, cela pourrait servir d'exemple à d'autres pays»

Les régulations pour les essais cliniques seraient pourtant plus faciles à mettre en place, le savoir existe déjà. Pourquoi la politique tarde-t-elle?
Je ne m'occupe pas directement de l'industrie, mais la FDA prend davantage en compte les différences entre les sexes. Et lorsque les autorités agissent, l'industrie pharmaceutique doit suivre.

«La régulation est essentielle: en tant que consommatrices et consommateurs, nous ne pouvons pas simplement dire "non", nous dépendons des médicaments.»

Les politiques jouent donc un rôle central pour l'avenir de la santé des femmes. Voyez‑vous un recul face aux tendances autoritaires dans de nombreux pays?
Oh oui, surtout aux Etats‑Unis.

«Sous Trump, beaucoup de choses ont été remises en cause»

Il a supprimé le terme «gender» de toutes les bases de données pour le remplacer simplement par «sex», sans vérifier la portée du concept. De nombreux programmes de santé des femmes ont été annulés, et le budget des NIH (National Institutes of Health) a été réduit.

«C'est une attaque contre la science: beaucoup d'initiatives efficaces ont tout simplement été supprimées.»

Pouvez‑vous poursuivre vos recherches malgré tout?
Pour ma part, je travaille dans une université privée et je n'ai pas été affectée jusqu'à présent. Mais une ancienne étudiante à Harvard a dû fermer son laboratoire consacré au genre et licencier son personnel. Elle continue aujourd'hui seule. Trump a visé Harvard de manière ciblée.

«Cela montre à quel point il est important de savoir qui détient le pouvoir. Nous devons aller voter»

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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