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Le viol, arme de guerre au Soudan: «Ils ont ruiné ma vie»

epa11898826 A group of women collect water from the water point set up by Medecins Sans Frontieres, an organisation distributing water tanks for the entire population, in Gerbana, a village 22km from  ...
Selon Amnesty International, les paramilitaires recourent de manière évidente à la violence sexuelle.Image: keystone

Ces survivantes soudanaises racontent: «ils nous ont toutes violées»

Le Soudan est en proie à une guerre civile dont les conséquences s'avèrent particulièrement graves pour les femmes. La violence sexuelle fait partie de leur quotidien, comme en atteste un récent rapport d'Amnesty International.
27.04.2025, 18:5627.04.2025, 18:56
Lena Schibli
Lena Schibli
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Depuis deux ans, le Soudan est en proie à une guerre civile sanglante entre l'armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire. La situation est particulièrement grave pour les femmes et les filles, victimes de viols, d'esclavage, d'exploitation sexuelle, de mariages forcés. Les auteurs de ces méfaits: les membres des FSR.

Le phénomène se serait systématisé dans le pays, affirme Amnesty International. L'organisation de défense des droits humains documente dans un nouveau rapport le sort de 36 filles et femmes soudanaises.

Avertissement
Ce texte parle de violence sexuelle. Il contient des descriptions explicites de viols et d'agressions qui peuvent choquer.

Esclave pendant 30 jours

Le document détaille comment le groupe a soumis des femmes à l'esclavage sexuel à Khartoum en les enfermant pendant plusieurs jours – voire parfois plus d'un mois – dans des maisons choisies arbitrairement à proximité de points de contrôle.

C'est le cas de Mariam* (*prénoms d'emprunt), 34 ans et mère de cinq enfants. En mai 2023, les paramilitaires l'ont retenue prisonnière un mois durant. Ils l'ont violée presque quotidiennement. Lorsque elle tentait de se défendre, ses agresseurs la torturaient avec des liquides chauds et des lames tranchantes.

Dans la maison, Mariam a trouvé trois autres captives, incapables de se mouvoir. Les viols à répétition avaient provoqué chez elles des troubles moteur.

«Ils nous ont toutes violées»

Dans un autre portrait, Suhair* raconte à Amnesty comment on lui a arraché son bébé du sein alors qu'elle l'allaitait. Des hommes ont jeté son enfant par terre et lui ont ensuite planté un couteau dans le dos. Un soldat des FSR l'a ensuite violée sous les yeux de ses trois autres enfants.

epa12037511 A handout satellite image taken 16 April 2025 and provided 17 April 2025, made available by Maxar Technologies shows the ongoing Rapid Support Forces (RSF) assault, widespread destruction  ...
Une vue aérienne du camp de réfugiés de Zamzam.Keystone

Fin décembre 2023, c'était le tour d'Amina*, une mère de six enfants âgée de 32 ans. Lorsque son fils de 11 ans a essayé de l'aider, il s'est fait battre par un homme armé:

«Mon fils Mohamed leur a crié: "Laissez ma mère tranquille, laissez-là!"»

Mohamed est mort 17 jours plus tard des suites de ses blessures. Amina est tombée enceinte après le viol. Son mari l'a quittée à cause de sa grossesse. Elle a eu honte de dire la vérité à ses enfants. Elle confie:

«Je ne peux pas dire à ma famille qui est cet enfant. C'est une énorme honte pour moi. Les FSR ont ruiné ma vie».

Tous ces portraits ont un point commun: chaque femme qui a tenté de se défendre a risqué la torture voire la mort.

Soupçons discutables d'espionnage

Les FSR s'en sont souvent pris aux femmes en invoquant leur proximité avec l'armée soudanaise. Ils en ont accusé d'être des espionnes des forces régulières.

Des professionnelles de la santé racontent des viols quand, par exemple, elles ne parvenaient pas à sauver des miliciens blessés.

C'est le cas de Batul*, une infirmière: treize soldats l'ont enlevée et l’ont emmenée dans un hôpital du nord de Khartoum. Là, ils l'ont forcée à soigner des hommes grièvement touchés. Un groupe tout entier a violé la soignante jusqu'à ce qu'elle perde connaissance. Ses violeurs l'ont ensuite retenue 45 jours à l'hôpital. Autre cas: les paramilitaires ont abattu une médecin qui essayait de résister à une agression.

Le viol, véritable arme de guerre

Dans son rapport, Amnesty International parle d'une «cruauté inimaginable». Si le groupe s'en prend de manière ciblée aux femmes et aux filles, c'est pour détruire les communautés et humilier la population. Ces pratiques ne s'inscrivent pas seulement dans le cadre d'une guerre brutale, mais constituent également une méthode pour briser le tissu moral et social des régions concernées, selon l'ONG.

Les FSR recourent à la violence sexuelle comme à une arme de guerre.

Ces crimes sont commis en public - aussi bien en présence de civils que d'autres soldats. Et ce constat devrait alerter. Il suggère que les auteurs ne craignent aucune réaction ou poursuite judiciaire.

Les effets de cette violence sont dévastateurs, déplore Amnesty sans équivoque. Les victimes ne subissent pas seulement des traumatismes physiques et psychologiques. Elles doivent souvent aussi faire face à la stigmatisation et à l'exclusion sociale qui en découlent. La plupart du temps, les survivantes racontent avoir dû fuir leur lieu d'origine pour échapper aux paramilitaires.

Critique de la communauté internationale

L'ONG demande à la communauté internationale de prendre des mesures conséquentes pour que les FSR et leurs dirigeants rendent des comptes:

«Le monde doit agir pour mettre fin à ces atrocités, en stoppant les livraisons d'armes au Soudan et en faisant pression sur ses dirigeants [...]»
Deprose Muchena, Amnesty International

Car les actes commis par les FSR, notamment les viols, les viols collectifs et l'esclavage, constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Défi de l'aide humanitaire

Et ce qui vient encore noircir un tableau déjà bien sombre pour les femmes abusées, c'est une situation humanitaire fondamentalement précaire. Le conflit a détruit 80% des infrastructures de santé du pays. Comme les combats persistent, de nombreuses survivantes n'ont par ailleurs pas recours à l'aide médicale ou ne dénoncent pas les crimes.

La guerre civile soudanaise a éclaté en avril 2023 entre les FSR et l'armée, faisant des dizaines de milliers de morts. Les deux camps bafouent les droits humains et le droit humanitaire international. Sur 50 millions d'habitants, environ 12,5 millions de personnes sont en fuite et près de la moitié de la population dépend de l'aide humanitaire. On recense 70% d'enfants dans cette catégorie.

Adaptation française par Valentine Zenker

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